Interview exclusive avec Oprah Winfrey

Oprah Winfrey Network a diffusé son entretien avec Thich Nhat Hanh le dimanche 6 mai 2010, dans le cadre de sa série ‘Super Soul Sunday’. Au cours de l’émission, Thich Nhat Hanh guide Oprah dans une méditation du thé, expliquant comment le simple fait de déguster une tasse de thé peut constituer un véritable entraînement pour développer une plus grande attention au moment présent.

Le texte proposé ci-dessous est la traduction du texte intégral de l’interview, telle que l’a publié le magazine Oprah, en mars 2010.

Voir l’Interview Vidéo en anglais

TRADUCTION de l’Anglais – Interview parue dans le Magazine Oprah en mars 2010 et diffusée le dimanche 6 mai 2010 dans le cadre de la série ‘Super Soul Sunday’
Par Oprah Winfrey
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Moine bouddhiste depuis plus de 60 ans, Thich Nhat Hanh est également enseignant, écrivain et fervent opposant à la guerre – une position qui lui a valu d’être exilé durant quarante années de son pays natal, le Viêt Nam. Aujourd’hui, l’homme que Martin Luther King Jr. n’a pas hésité à qualifier d’apôtre de la paix et de la non-violence réfléchit à la beauté du moment présent, à la reconnaissance de chaque respiration ainsi qu’à la liberté et au bonheur, tous deux disponibles dans une simple tasse de thé.

Dès ma rencontre avec Thich Nhat Hanh à l’hôtel Four Seasons de Manhattan, j’ai été gagnée par sa sérénité. Une présence profondément tranquille se dégageait de ce maître bouddhiste zen.

Et pourtant, sous l’attitude sereine de Thich Nhat Hanh se cache un guerrier courageux. Ce vietnamien de 83 ans (2010), entré au monastère à l’âge de 16 ans, s’est vaillamment opposé à son propre gouvernement pendant la guerre du Vietnam. Alors même qu’il embrassait la vie contemplative d’un moine, la guerre l’a confronté à un choix : devait-il rester caché dans le monastère à s’occuper de questions d’esprit, ou fallait-il sortir et aider les habitants du village en pleine souffrance ? La décision de Thich Nhat Hanh de mener de front les deux actions est à l’origine du “Bouddhisme Engagé”, un mouvement qui implique un activisme pacifique dans un but de réforme sociale. C’est également ce qui a incité Martin Luther King Jr. à le proposer comme candidat au prix Nobel de la paix en 1967.

Dans le cadre de sa dénonciation de la violence infligée à ses compatriotes, Thich Nhat Hanh a fondé une organisation humanitaire qui a permis de reconstruire des villages vietnamiens bombardés, de créer des écoles et des centres médicaux, et de réinstaller des familles sans abri. Thich Nhat Hanh a également créé une université bouddhiste, une maison d’édition et un magazine militant pour la paix, ce qui a conduit le gouvernement vietnamien à lui interdire, en 1966, de regagner son pays natal alors qu’il l’avait quitté pour une mission de paix. Il resta en exil pendant 39 ans.

Avant son exil, Thich Nhat Hanh avait séjourné en Occident (étudiant à Princeton et enseignant à l’université Columbia au début des années 1960), et c’est également en Occident qu’il retourna ensuite. Voyant une occasion de diffuser la pensée bouddhiste et d’encourager l’activisme pacifique, il a mené la délégation bouddhiste pour la paix aux pourparlers de paix de Paris en 1969, a créé l’Église bouddhiste unifiée en France et a écrit plus de 100 ouvrages, dont le best-seller de 1995 : “Bouddha vivant, Christ vivant”, qui ne quitte jamais ma table de nuit.

Thich Nhat Hanh s’installera finalement dans le sud de la France et y fondera le Village des Pruniers, centre de pratique de méditation bouddhiste et monastère où il vit toujours. Depuis 2018, et suite à son accident vasculaire cérébral, Thây a fait le choix de retourner vivre à son temple racine, au Vietnam.Des milliers de personnes s’y rendent chaque année pour explorer avec lui les principes du bouddhisme, notamment la pleine conscience (qui invite à se concentrer intentionnellement sur le moment présent), la mise en place d’une pratique (une activité régulière, comme la marche en pleine conscience, qui nous ramène à la pensée juste) et l’éveil (la libération de la souffrance qui survient lorsque l’on s’éveille à la véritable nature de la réalité). Ces principes ont été présentés au monde il y a plus de 2 000 ans par Siddhartha Gautama, le Bouddha, prince d’origine indienne qui abandonna une vie d’aisance et d’indulgence pour rechercher l’illumination  – et dont le parcours a conduit au développement d’un nouveau courant spirituel.

Thich Nhat Hanh – que ses étudiants appellent aussi Thây (terme vietnamien signifiant “Enseignant”) – est accompagné d’un groupe de moines et de nonnes du Village des Pruniers qui assistent à notre conversation. Dans certaines traditions spirituelles, il existe un concept appelé ‘tenir l’espace’ – ou se présenter comme un auditeur compatissant. Les amis de Thây, qui l’ont suivi depuis la France, sont les gardiens de l’espace. Alors que nous prenons une photo ensemble juste avant notre conversation, ils créent une atmosphère paisible en chantant collectivement un chant bouddhiste : “Nous sommes tous les feuilles d’un même arbre ; nous sommes tous les vagues d’une même mer ; il est temps pour nous tous de vivre et de ne faire qu’un.

Oprah : Merci de me faire l’honneur de vous parler. Je sens que le simple fait d’être en votre présence me libère du stress que j’avais en début de journée. Vous dégagez une véritable aura de paix. Êtes-vous toujours aussi serein ?

Thich Nhat Hanh : C’est mon entraînement, ma pratique. J’essaie de vivre chaque moment de cette façon, afin de conserver la paix en moi.

Oprah : Parce que vous ne pouvez pas la transmettre aux autres si vous ne l’avez pas en vous.

Thich Nhat Hanh : En effet.

Oprah : Je vois. Je sais que vous êtes né au Vietnam en 1926. Auriez-vous un magnifique souvenir de votre enfance à nous partager ?

Thich Nhat Hanh : Le jour où j’ai vu une photo du Bouddha dans un magazine.

Oprah : Quel âge aviez-vous ?

Thich Nhat Hanh : J’avais 7 ou 8 ans. Il était posé sur l’herbe, très paisible, souriant. J’étais impressionné. Autour de moi, les gens n’étaient pas comme ça, alors j’ai eu le désir d’être comme lui. J’ai nourri ce désir jusqu’à l’âge de 16 ans, lorsque j’ai eu la permission de mes parents d’aller me faire ordonner moine.

Oprah : Vos parents vous ont-ils encouragé ?

Thich Nhat Hanh : Au début, ils étaient réticents car ils pensaient que la vie d’un moine est difficile.

Oprah : à l’âge de 16 ans, aviez-vous déjà une perception de ce que serait la vie ?

Thich Nhat Hanh : Pas vraiment, non. Seul existait un profond désir. Le sentiment que je ne serais pas heureux si je ne pouvais pas devenir moine. On appelle cela l’esprit du débutant – l’intention profonde, le désir le plus profond qu’une personne puisse avoir. Et je peux dire que, jusqu’à ce jour, cet esprit de débutant a toujours été vivant en moi.

Oprah : C’est ce que beaucoup de gens appellent la passion. C’est ce que je ressens la plupart du temps dans mon travail. Lorsque vous êtes passionné par votre travail, vous avez l’impression que vous pourriez vous y consacrer même si personne ne vous payait.

Thich Nhat Hanh : Et vous aimez vraiment ce que vous faites.

Oprah : Vous aimez vraiment. Parlons de votre première arrivée en Amérique. Vous étiez étudiant à Princeton. Était-ce un défi, en tant que moine bouddhiste, de nouer des amitiés avec d’autres étudiants ? Vous sentiez-vous seul ?

Thich Nhat Hanh : En fait, l’université de Princeton était comme un monastère. Il n’y avait que des étudiants masculins à l’époque. Et il y avait encore peu de vietnamiens vivant aux États-Unis. Au cours des six premiers mois, je n’ai jamais parlé vietnamien. Mais le campus était très beau. Et tout était nouveau : les arbres, les oiseaux et la nourriture. Ma première neige, c’était à Princeton, et ma première utilisation d’un radiateur. Le premier automne, c’était à Princeton.

Oprah : Et les feuilles qui changent de couleur…

Thich Nhat Hanh : Au Vietnam, on ne pouvait pas admirer de telles choses.

Oprah : Portiez-vous une robe de moine à l’époque ?

Thich Nhat Hanh : Oui.

Oprah : Cela a l’avantage d’éviter de se soucier d’acheter des vêtements ! Juste la robe monastique…

Thich Nhat Hanh : En effet.

Oprah : Avez-vous différentes robes monastiques, selon les circonstances ?

Thich Nhat Hanh : Nous avons la robe de cérémonie, de couleur safran. C’est tout. Je me sens très confortable dans ce type de vêtement. Et puis, cela nous rappelle joyeusement que nous sommes moines.

Oprah : Qu’est-ce que signifie être moine ?

Thich Nhat Hanh : La personne monastique a le temps de pratiquer pour effectuer le processus de transformation et guérison. Ensuite, il peut aider les autres personnes à leur propre transformation et guérison.

Oprah : La plupart des moines et nonnes sont-ils éveillés, ou cherchent-ils l’éveil ?

Thich Nhat Hanh : L’Éveil est toujours là. Un petit Éveil apportera un grand Éveil. Si vous respirez et que vous êtes conscient d’être vivant – que vous pouvez toucher le miracle d’être vivant – alors c’est une sorte d’Éveil. De nombreuses personnes sont en vie mais ne touchent pas le miracle d’être en vie.

Oprah : Je suis sûre que vous voyez tout autour de vous à quel point nous essayons constamment de passer d’une chose à l’autre – et j’en ai moi-même le défaut. Dans notre pays, les gens sont toujours très occupés. Même les enfants sont constamment occupés. J’ai l’impression que très peu d’entre nous mettent en pratique ce que vous venez de dire – toucher le miracle d’être en vie.

Thich Nhat Hanh : Oui, c’est l’environnement dans lequel les gens vivent. Mais grâce à la pratique, nous pouvons toujours demeurer vivants dans le moment présent. La pleine conscience nous permet de nous établir dans le présent afin de toucher les merveilles de la vie qui sont disponibles à ce moment-là. Il est possible de vivre heureux dans l’ici et le maintenant. Il existe une multitude de conditions de bonheur – plus qu’assez pour être heureux à l’instant même. Il n’est pas nécessaire de courir vers le futur pour en obtenir davantage…

Oprah : Qu’est-ce que le bonheur ?

Thich Nhat Hanh : Le bonheur est la cessation de la souffrance. Le bien-être. Ainsi, quand je pratique en suivant ma respiration, je prends conscience de mes yeux lors de l’inspiration et, sur l’expiration, je peux sourire à mes yeux ; c’est  alors que je me rends compte qu’ils sont toujours en bon état. Le monde est un paradis de formes et de couleurs. Et comme nos yeux sont encore en bon état, nous pouvons entrer en contact avec ce paradis. En prenant conscience de mes yeux, je touche l’une des conditions du bonheur. Et à leur contact le bonheur apparaît.

Oprah : Et nous pouvons appliquer cela à n’importe quelle partie du corps…

Thich Nhat Hanh : Bien sûr. En inspirant, je suis conscient de mon cœur. En expirant, je souris à mon cœur et je sais que mon cœur fonctionne toujours normalement. Je suis empli de gratitude pour mon cœur.

Oprah : Il s’agit donc d’être conscient et reconnaissant pour ce que nous avons.

Thich Nhat Hanh : Oui, c’est cela.

Oprah : Non seulement les choses matérielles, mais aussi le fait que nous avons notre souffle.

Thich Nhat Hanh : Bien sûr. La pratique de la pleine conscience est nécessaire pour ramener l’esprit au corps et s’établir dans l’instant présent. Si nous sommes pleinement présents, il nous suffit de faire un pas ou de prendre une respiration pour entrer dans le Royaume de Dieu. Et une fois au Royaume, nous n’avons plus besoin de courir après les objets de nos désirs, comme le pouvoir, la gloire, le plaisir sensuel, etc. La paix est possible. Le bonheur est possible. Et cette pratique est suffisamment simple pour que tout le monde puisse la mettre en œuvre.

Oprah : Expliquez-moi comment faire.

Thich Nhat Hanh : Disons que vous êtes en train de boire une tasse de thé. Lorsque vous tenez votre tasse, vous pourriez décider de respirer consciemment pour ramener votre esprit vers votre corps et ainsi devenir pleinement présente. Et si vous êtes vraiment présente, quelque chose d’autre est également présent – la vie, représentée par la tasse de thé. À ce moment-là, vous êtes réelle, et la tasse de thé est réelle. Vous n’êtes pas perdue dans le passé, dans le futur, dans vos projets, dans vos soucis. Vous êtes libre de toutes ces afflictions. Et dans cet état de liberté, vous savourez pleinement votre thé. C’est un moment de bonheur et de paix. Lorsque vous vous brossez les dents, vous n’avez peut-être que deux minutes mais, avec cette pratique, il est possible de produire de la liberté et de la joie pendant ce temps, parce que vous vous établissez dans l’ici et maintenant. Si vous êtes capable de vous brosser les dents en pleine conscience, alors vous serez capable d’apprécier tout autre moment, comme le fait de prendre une douche, préparer votre petit-déjeuner, ou de savourer votre thé.

Oprah : Ainsi, sous cet angle les conditions du bonheur sont infinies.

Thich Nhat Hanh : Oui. La pleine conscience vous aide à rentrer chez vous, dans le présent. Et chaque fois que vous y allez et que vous reconnaissez une condition de bonheur dont vous disposez, le bonheur apparaît.

Oprah : En votre présence, le thé est vraiment réel.

Thich Nhat Hanh : Je suis réel, et le thé est réel. Je suis dans le présent. Je ne pense pas au passé. Je ne pense pas à l’avenir. Il y a une rencontre réelle entre moi et le thé ; la paix, le bonheur et la joie sont possibles tout au long de ma dégustation.

Oprah : Je n’ai jamais vraiment pris le temps de songer à une tasse de thé.

Thich Nhat Hanh : Nous avons la pratique de la méditation du thé. Nous nous asseyons, profitons d’une tasse de thé et de notre fraternité. Nous pouvons consacrer une heure à la dégustation d’une tasse de thé.

Oprah : Une simple tasse de thé comme celle-ci ? [Oprah indique sa tasse.]

Thich Nhat Hanh : Tout à fait.

Oprah : Une heure.

Thich Nhat Hanh : Chaque moment est un moment de bonheur. Et tout au long de cette heure de méditation du thé, vous cultivez la joie, la fraternité, la sororité et vous demeurez dans l’ici et le maintenant.

Oprah : Et vous appliquez la même chose à la nourriture ?

Thich Nhat Hanh : Oui. Nous prenons nos repas en silence, de manière à entrer en contact avec le cosmos à chaque bouchée de nourriture.

Oprah : Combien de temps vous faut-il pour terminer un repas ? Toute la journée ?

Thich Nhat Hanh : Une heure suffit. Nous nous asseyons en communauté, et nous profitons de notre repas ensemble. Ainsi, que vous mangiez, buviez votre thé ou fassiez la vaisselle, vous le faites de manière à ce que la liberté, la joie et le bonheur soient possibles. De nombreuses personnes viennent dans notre centre et apprennent cet art de vivre en pleine conscience. Et quand elles rentrent chez elles, elles créent une sangha, une communauté, afin de pratiquer de la même manière. Nous avons contribué à la création de sanghas dans le monde entier.

Oprah : Une sangha, c’est la ‘communauté bien-aimée’.

Thich Nhat Hanh : Oui.

Oprah : Quelle importance cela revêt-il dans nos vies ? Chaque personne peut connaître cela au sein de sa propre famille, puis élargir cette communauté bien-aimée afin d’y inclure d’autres personnes. Donc, plus votre communauté bien-aimée est grande, plus vous pouvez accomplir de choses dans le monde.

Thich Nhat Hanh : En effet.

Oprah : Au sujet de la communauté, revenons à l’année 1966. Vous avez alors été invité à venir parler à l’Université Cornell et, peu de temps après, vous avez été interdit de retour dans votre pays. Vous avez connu l’exil pendant 39 ans. Comment avez-vous fait face aux émotions?

Thich Nhat Hanh : Et bien, j’étais un peu comme une abeille arrachée de la ruche. Mais comme je portais la communauté bien-aimée dans mon cœur, j’ai cherché des éléments de la sangha autour de moi, en Amérique et en Europe. Et j’ai commencé à construire une communauté œuvrant pour la paix.

Oprah : Avez-vous ressenti de la colère au début ? De la peine ?

Thich Nhat Hanh : Oui, j’étais en colère, inquiet, triste, blessé… La pratique de la pleine conscience m’a aidé à le reconnaître. La première année, je rêvais presque toutes les nuits de rentrer chez moi. Je grimpais une belle colline, très verte, et j’étais très heureux ; soudain, je me réveillais pour découvrir que j’étais en exil. Ma pratique a donc consisté à entrer en contact avec les arbres, les oiseaux, les fleurs, les enfants, les gens en Occident – et à en faire ma communauté. C’est grâce à cette pratique que j’ai pu trouver un foyer en dehors de chez moi. Un an plus tard, les rêves se sont arrêtés.

Oprah : Pour quel motif étiez-vous interdit de retour dans votre pays ?

Thich Nhat Hanh : Durant la guerre, les parties belligérantes ont toutes déclaré qu’elles voulaient se battre jusqu’à la fin. Et ceux d’entre nous qui tentaient de parler de réconciliation entre frères en ont été empêchés.

Oprah : Et comme vous étiez un homme privé de patrie, vous vous êtes installé dans d’autres pays.

Thich Nhat Hanh : Oui.

Oprah : Les États-Unis en faisaient partie.

Thich Nhat Hanh : Oui.

Oprah : Parlez-nous de votre rencontre avec Martin Luther King.

Thich Nhat Hanh : En juin 1965, je lui ai adressé une lettre dans laquelle j’expliquais pourquoi plusieurs moines du Vietnam faisaient le choix de s’immoler. J’ai précisé qu’il ne s’agissait pas d’un suicide. Je lui ai dit qu’il était très difficile, dans des situations comme celle du Vietnam, de faire entendre sa voix. Il arrive que l’on doive s’immoler pour se faire entendre. C’est par compassion que vous faites ce choix. C’est un acte d’amour, et non de désespoir. Un an après cette lettre, je l’ai rencontré à Chicago. Nous avons eu une discussion sur la paix, la liberté et la communauté. Et nous avons convenu que, sans communauté, nous ne pouvons pas aller bien loin.

Oprah : Combien de temps avez-vous pu vous parler ?

Thich Nhat Hanh : Cinq minutes environ. Et après cela, il y a eu une conférence de presse au cours de laquelle il s’est prononcé très fermement contre la guerre au Vietnam.

Oprah : Pensez-vous que c’était le résultat de votre conversation ?

Thich Nhat Hanh : Je pense que oui. Nous avons poursuivi notre travail et, la dernière fois que je l’ai rencontré, c’était à Genève, pendant la conférence de paix.

Oprah : Avez-vous pu encore vous parler à cette occasion ?

Thich Nhat Hanh : Oui. Il m’a invité à prendre le petit-déjeuner, pour reparler de ces questions. J’ai été retenu par une conférence de presse au rez-de-chaussée et je suis arrivé en retard, mais il m’a gardé le petit-déjeuner au chaud. Alors je lui ai dit que les gens au Vietnam l’appelaient un bodhisattva – un être éveillé – en raison de ce qu’il faisait pour son peuple, son pays et le monde.

Oprah : Et le fait qu’il le faisait de manière non violente.

Thich Nhat Hanh : Oui. C’est le travail d’un bodhisattva, d’un bouddha, toujours empreint de compassion et de non-violence. Quand j’ai appris son assassinat, je ne pouvais pas y croire. C’est alors que j’ai pensé : “Le peuple américain a produit King mais il est incapable de le préserver.” J’étais un peu en colère. Je n’ai ni mangé, ni dormi. Mais ma détermination à poursuivre la construction de la communauté bien-aimée se poursuit encore et toujours. Et je pense que j’ai toujours pu sentir son soutien.

Oprah : Toujours ?

Thich Nhat Hanh : Oui.

Oprah : Bien. Nous avons parlé de la pleine conscience, et vous avez mentionné la marche consciente. En quoi consiste-t-elle ?

Thich Nhat Hanh : Lorsque vous marchez, vous touchez le sol en pleine conscience, et chaque pas peut vous apporter solidité, joie et liberté. La liberté vis-à-vis de vos regrets concernant le passé, et la liberté de vos craintes concernant l’avenir.

Oprah : En marchant, la majorité des gens pensent à l’endroit où ils doivent aller et à ce qu’ils doivent faire. Mais vous diriez que cela nous éloigne du bonheur.

Thich Nhat Hanh : Les gens sacrifient le présent pour l’avenir. Mais la vie n’est disponible que dans le présent. C’est pourquoi nous devons marcher de telle sorte que chaque pas puisse nous amener à l’ici et au maintenant.

Oprah : Et si mes factures doivent être payées ? Je marche, mais je pense aux factures.

Thich Nhat Hanh : Il y a un temps pour chaque chose. Il y a un moment où je m’assieds, où je me concentre sur le problème de mes factures, mais je ne m’inquiète pas avant cela. Une chose à la fois. Nous pratiquons la marche en pleine conscience afin de nous guérir, parce que marcher de cette façon soulage vraiment nos soucis, la pression, la tension dans notre corps et dans notre esprit.

Oprah : Il en va de même pour l’écoute profonde, à laquelle je vous ai entendu faire référence.

Thich Nhat Hanh : L’écoute profonde est le type d’écoute qui permet de soulager la souffrance d’une autre personne. Vous pouvez la qualifier d’écoute compatissante. Vous écoutez dans un seul but : aider cette personne à vider son cœur. Même si elle dit des choses chargées de perceptions erronées, emplies d’amertume, vous êtes toujours capable de continuer à l’écouter avec compassion. Parce que vous savez qu’en écoutant ainsi, vous offrez une chance à cette personne de moins souffrir. Si vous voulez l’aider à corriger sa perception, vous attendez une autre occasion. Pour l’instant, vous ne l’interrompez pas. Vous ne discutez pas. Sinon, la personne perd sa chance. Vous vous contentez d’écouter avec compassion et de l’aider à moins souffrir. Une seule heure comme celle là peut apporter transformation et guérison.

Oprah : J’aime cette idée de l’écoute profonde car, bien souvent, lorsque quelqu’un vient vers nous et veut se décharger, la tentation est grande de commencer à donner des conseils. Mais si vous permettez à la personne de simplement exprimer ses sentiments, et d’attendre un autre moment pour apporter des conseils ou des commentaires, cette personne ressentira une guérison plus profonde. C’est ce que vous enseignez.

Thich Nhat Hanh : Oui. L’écoute profonde nous aide à reconnaître l’existence de perceptions erronées chez l’autre personne et de perceptions erronées en nous. L’autre personne a des perceptions erronées sur elle-même et sur nous. Et nous avons des perceptions erronées sur nous-mêmes et sur l’autre personne. Et c’est là le fondement de la violence, du conflit et de la guerre. Les terroristes, eux, ont une perception erronée. Ils pensent que l’autre groupe essaie de les détruire en tant que religion, en tant que civilisation. Ils veulent donc nous abolir, ils veulent nous tuer pour éviter que nous le fassions nous. Et l’antiterroriste peut penser à peu près la même chose : “ce sont des terroristes qui essaient de nous éliminer, donc nous devons les éliminer avant qu’ils ne puissent le faire”. Les deux camps sont motivés par la peur, la colère et une perception erronée. Mais les perceptions erronées ne peuvent être éliminées par des armes et des bombes. Elles doivent être enrayées par une écoute profonde, une écoute compatissante et un espace d’amour.

Oprah : La seule façon de mettre fin à la guerre est la communication entre les gens.

Thich Nhat Hanh : Oui. Nous devrions être capables de dire ceci : “Chers amis, chers habitants, je sais que vous souffrez. Je n’ai pas suffisamment compris vos difficultés et vos souffrances. Ce n’est pas notre intention de vous faire souffrir davantage. C’est tout le contraire. Nous ne voulons pas que vous souffriez. Mais nous ne savons pas quoi faire et nous pourrions faire une erreur si vous ne nous aidez pas à comprendre. Alors, s’il vous plaît, parlez-nous de vos difficultés. Je suis impatient d’apprendre, de comprendre.” Nous devons avoir une parole aimante. Et si nous sommes honnêtes, si nous sommes vrais, ils ouvriront leur cœur. Ensuite, nous pratiquons l’écoute compatissante, et nous pouvons apprendre beaucoup de choses sur notre propre perception et sur leur perception. Ce n’est qu’après cela que nous pouvons aider à lever les perceptions erronées. C’est la meilleure façon, la seule façon, d’éliminer le terrorisme.

Oprah : Mais ce que vous dites s’applique également aux difficultés entre vous et les membres de votre famille ou vos amis. Le principe est le même, quel que soit le conflit.

Thich Nhat Hanh : C’est vrai. Et les négociations de paix devraient être menées de cette manière. Quand nous arrivons à la table, nous ne devrions pas négocier tout de suite. Il convient de consacrer d’abord un peu de temps à marcher ensemble, à manger ensemble, à faire connaissance, à se raconter nos propres souffrances, sans blâmer ni condamner. Cela nécessite peut-être une, deux ou trois semaines pour y parvenir. Et si la communication et la compréhension sont possibles, la négociation sera plus facile. C’est pour cela que si je devais organiser une négociation de paix, ce serait de cette façon.

Oprah : Vous commenceriez donc par partager une tasse de thé ?

Thich Nhat Hanh : Oui, méditation du thé et marche méditative.

Oprah : Le thé en pleine conscience.

Thich Nhat Hanh : Et, bien sûr, partager nos souffrances et nos joies. De même que l’écoute profonde et la parole aimante.

Oprah : Y a-t-il place pour la colère ?

Thich Nhat Hanh : La colère est l’énergie dont les gens se servent pour agir. Mais lorsque vous êtes en colère, vous n’êtes pas lucide, et vous pouvez faire des choses inappropriées. C’est pourquoi la compassion est une meilleure énergie. Et l’énergie de la compassion est très forte. Nous souffrons, c’est une réalité. C’est réel. Mais nous avons appris à ne pas nous mettre en colère ni à nous laisser emporter par celle-ci. Nous reconnaissons tout de suite que c’est de la peur. C’est de la confusion.

Oprah : Et si, dans un moment de pleine conscience, vous étiez mis au défi ? Par exemple, l’autre jour, quelqu’un m’a présenté une action en justice, et il est difficile de se réjouir lorsque vous apprenez que quelqu’un va vous poursuivre en justice.

Thich Nhat Hanh : La pratique consiste à aller à la rencontre de l’anxiété, l’inquiétude…

Oprah : La peur. La première chose qui arrive, c’est que la peur s’installe, avec des questions comme : qu’est-ce que je vais faire ?

Thich Nhat Hanh : Donc vous reconnaissez cette peur. Vous l’embrassez tendrement et vous la regardez profondément. En embrassant votre douleur, vous êtes soulagé et vous découvrez comment gérer cette émotion. Si vous savez comment gérer la peur, alors vous avez suffisamment de recul pour résoudre le problème. Le défi est de ne pas laisser cette anxiété prendre le dessus. Lorsque ces sentiments surgissent, vous devez vous entraîner à utiliser l’énergie de la pleine conscience pour les reconnaître, les embrasser, les regarder profondément. C’est comme une mère quand son bébé pleure. Votre anxiété est votre bébé. Vous devez en prendre soin. Vous devez revenir à vous, reconnaître la souffrance en vous, l’embrasser, et vous sentirez le soulagement. En poursuivant votre pratique de pleine conscience, vous en comprenez les racines, la nature de la souffrance, et vous voyez comment la transformer.

Oprah : Vous utilisez souvent le mot ‘souffrance’. Je pense que beaucoup de gens assimilent la souffrance à la famine ou à la pauvreté. Or, que voulez-vous dire au juste quand vous parlez de souffrance ?

Thich Nhat Hanh : Je me réfère à la peur, à la colère, au désespoir, à l’anxiété si présents en nous. Si vous savez comment gérer ces éléments, alors vous serez capable de gérer les problèmes de guerre, de pauvreté et de conflits. Si nous sommes habités par la peur et le désespoir, nous ne pouvons pas supprimer la souffrance de la société.

Oprah : Si je comprends bien, la nature du bouddhisme est de croire que nous sommes tous purs et rayonnants en notre for intérieur. Et pourtant, nous voyons autour de nous de nombreuses preuves que les gens n’agissent pas à partir d’un lieu de pureté et de rayonnement. Comment concilier cela ?

Thich Nhat Hanh : Eh bien, le bonheur et la souffrance se soutiennent mutuellement. Être, c’est être ensemble. C’est comme la gauche et la droite. Si la gauche n’est pas là, la droite ne peut pas être là. Il en va de même pour la souffrance et le bonheur, le bien et le mal. En chacun de nous, il y a de bonnes et de mauvaises graines. Nous avons la graine de la fraternité, de l’amour, de la compassion, de la compréhension. Mais nous avons aussi la graine de la colère, de la haine, de la dissension.

Oprah : C’est la nature de l’être humain.

Thich Nhat Hanh : Oui. Il y a la boue, et il y a le lotus qui pousse au départ de la boue. Nous avons besoin de la boue pour produire le lotus.

Oprah : On ne peut pas avoir l’un sans l’autre.

Thich Nhat Hanh : Oui. Vous ne pouvez reconnaître votre bonheur que dans le contexte de la souffrance. Si vous n’avez pas souffert de la faim, vous n’appréciez pas le fait d’avoir quelque chose à manger. Si vous n’avez pas connu la guerre, vous ne pouvez mesurer la valeur de la paix. C’est pourquoi nous ne devons pas chercher à fuir une chose après l’autre. C’est en embrassant pleinement notre souffrance, en la regardant profondément, que nous trouvons le chemin qui mène au bonheur.

Oprah : Méditez-vous chaque jour ?

Thich Nhat Hanh : Oui, mais nous essayons de le faire non seulement chaque jour, mais à chaque instant. En buvant, en parlant, en écrivant, en arrosant notre jardin, il est toujours possible de nous entraîner à vivre dans l’ici et le maintenant.

Oprah : Mais vous arrive-t-il de vous asseoir en silence avec vous-même ou de réciter un mantra – ou de ne pas en réciter ?

Thich Nhat Hanh : Oui. Nous nous asseyons seuls, et nous nous asseyons ensemble.

Oprah : Au plus vous êtes nombreux à vous asseoir, au mieux c’est.

Thich Nhat Hanh : Oui, l’énergie collective est très utile. Permettez-moi de parler des mantras que vous venez de mentionner. Le premier est “Chéri, je suis là pour toi“. Lorsque vous aimez quelqu’un, le mieux que vous puissiez lui offrir est votre présence. En effet, comment pourriez-vous aimer si vous n’êtes pas là ?

Oprah : C’est un très beau mantra.

Thich Nhat Hanh : Vous regardez la personne dans les yeux et vous dites : “Chéri(e), tu sais quoi ? Je suis là pour toi“. Vous lui offrez votre présence. Vous n’êtes pas préoccupé(e) par le passé ou l’avenir ; vous êtes là pour votre bien-aimé(e). Le deuxième mantra est : “Chéri(e), je sais que tu es là et je suis si heureux(se).” Étant pleinement présent(e), vous reconnaissez la présence de votre bien-aimé(e) comme quelque chose d’extrêmement précieux. Vous embrassez votre bien-aimé(e) avec pleine conscience. Ainsi, il ou elle pourra s’épanouir comme une fleur. Être aimé(e) signifie être reconnu(e) comme existant. Et ces deux mantras peuvent apporter le bonheur immédiatement, même si l’être aimé n’est pas là. Vous pouvez utiliser votre téléphone et pratiquer le mantra.

Oprah : Ou par email…

Thich Nhat Hanh : Oui, par email aussi.. Et vous n’avez pas besoin de pratiquer ce mantra en sanscrit ou en tibétain ; Ça fonctionne très bien en français aussi !.

Oprah : Chéri(e), je suis là pour toi.

Thich Nhat Hanh : Et j’en suis très heureux, heureuse. Le troisième mantra est celui que vous pratiquez lorsque votre bien-aimé(e) est en souffrance. “Chéri(e), je sais que tu souffres. C’est pourquoi je suis là pour toi.” Avant même de faire quelque chose pour aider, votre présence peut déjà soulager.

Oprah : La simple reconnaissance de la souffrance ou de la douleur.

Thich Nhat Hanh : Oui. Le quatrième mantra est un peu plus difficile. C’est lorsque vous souffrez et que vous croyez que votre souffrance a été causée par votre bien-aimé(e). Si quelqu’un d’autre vous avait fait la même chose, vous auriez probablement moins souffert. Mais il s’agit de la personne que vous aimez le plus, alors vous souffrez profondément. Et, bien souvent, vous préférez vous réfugier dans votre chambre, fermer la porte et souffrir seul.

Oprah : Oui.

Thich Nhat Hanh : Vous êtes blessé. Et vous voulez le ou la punir de vous avoir fait souffrir. Le mantra consiste à surmonter cela : “Chéri( e), je souffre. Je fais de mon mieux pour m’entraîner. S’il te plaît, aide-moi.” Vous allez vers lui/elle, et vous pratiquez cela. Et si vous parvenez à vous décider à prononcer ce mantra, votre souffrance s’allège immédiatement. C’est parce que rien ne fait obstacle entre vous et l’autre personne.

Oprah :Chéri( e), je souffre. Je t’en prie, aide-moi.”

Thich Nhat Hanh :Aide-moi, s’il te plaît.

Oprah : Et si cette personne n’est pas prête à vous aider ?

Thich Nhat Hanh : Avant toute chose, lorsque vous aimez quelqu’un, vous voulez tout partager avec cette personne. Il est donc de votre devoir de dire : “Je souffre et je veux que tu le saches” – et il ou elle appréciera.

Oprah : S’il ou elle vous aime.

Thich Nhat Hanh : En effet. C’est le cas de deux personnes qui s’aiment. Votre bien-aimé(e).

Oprah : Oui, je comprends.

Thich Nhat Hanh :Dans différentes situations, j’ai fait de mon mieux pour regarder profondément, voir si cette souffrance provenait de ma perception erronée et voir si je pourrais peut-être la transformer ; mais dans le cas présent, je ne peux pas la transformer, tu devrais m’aider, chéri(e). Tu devrais me dire pourquoi tu m’as fait subir une telle chose, pourquoi tu m’as dit cela“. De cette façon, vous exprimez votre confiance, votre assurance. Vous ne voulez plus punir. Et c’est pourquoi vous souffrez moins aussitôt.

Oprah : Magnifique. J’aimerais à présent vous poser quelques questions au sujet de la vie monacale. Faites-vous de l’exercice pour rester en forme ?

Thich Nhat Hanh : Oui, bien sûr. Nous pratiquons les ‘dix mouvements de pleine conscience’. Chaque jour, nous faisons aussi la marche méditative. Et nous prenons nos repas en pleine conscience.

Oprah : Êtes-vous végétarien ?

Thich Nhat Hanh : Oui, en effet, complètement végétarien. Nous ne consommons plus aucun produit animal.

Oprah : Donc vous ne mangeriez pas un œuf.

Thich Nhat Hanh : Ni œuf, ni lait, ni fromage. Parce que nous savons que l’alimentation en pleine conscience peut aider à sauver notre planète.

Oprah : Regardez-vous parfois la télévision ?

Thich Nhat Hanh : Non. Mais je sais ce qui se passe dans le monde. S’il y a quelque chose d’important, quelqu’un me le communique.

Oprah : Je partage votre avis !

Thich Nhat Hanh : Vous n’avez pas besoin d’écouter les nouvelles trois fois par jour, ni de lire un journal après l’autre.

Oprah : En effet… Mais, si je ne fais pas erreur, la vie d’un moine, c’est aussi le célibat…

Thich Nhat Hanh : Effectivement.

Oprah : L’idée de renoncer au mariage ou aux enfants ne vous a jamais posé de problème ?

Thich Nhat Hanh : Un jour, alors que j’avais la trentaine, je pratiquais la méditation dans un parc en France. J’ai vu une jeune mère avec un beau bébé. Et, en un instant, j’ai pensé que si je n’étais pas moine, j’aurais une épouse et un enfant comme ça. Cette idée n’a duré qu’une seconde. Je l’ai surmontée très rapidement.

Oprah : Ce n’était pas une vie pour vous. Et en parlant de vie, qu’en est-il de la mort ? Que pensez-vous qu’il arrive quand on meurt ?

Thich Nhat Hanh : On peut répondre à votre question quand on peut répondre à celle-ci : ‘Que se passe-t-il dans le moment présent ?’ Dans le moment présent, vous produisez des pensées, des paroles et des actions. Et elles se poursuivent dans le monde. Tout porte votre signature : chacune des pensées que vous produisez, tout ce que vous dites, toute action que vous faites. L’action est appelée karma. C’est votre continuation. Lorsque ce corps se désintègre, vous prolongez vos actions. C’est comme le nuage dans le ciel. Quand le nuage n’est plus dans le ciel, il n’est pas mort. Le nuage continue sous d’autres formes, qu’il s’agisse de pluie, neige ou glace. Notre nature est la nature de non-naissance et non-mort. Il est impossible pour un nuage de passer de l’être au non-être. Il en va de même pour une personne aimée. Elle n’est pas morte. Elle a continué sous de nombreuses formes nouvelles ; vous pouvez regarder profondément et la reconnaître en vous et autour de vous.

Oprah : Est-ce là ce que vous vouliez dire lorsque vous avez écrit l’un de mes poèmes préférés, “Appelez moi par mes vrais noms” ?

Thich Nhat Hanh : Oui. Quand vous me dites européen, je dis oui. Quand vous m’appelez arabe, je dis oui. Quand vous me qualifiez de noir, je dis oui. Quand vous m’appelez blanc, je dis oui. Parce que je suis en toi et tu es en moi. Nous devons interagir avec tout ce qui existe dans le cosmos.

Oprah : [Extrait du poème] “Je suis un éphémère qui se métamorphose à la surface de la rivière. Et je suis l’oiseau qui descend en piqué pour avaler l’éphémère….. Je suis l’enfant en Ouganda, tout en peau et en os, les jambes aussi fines que des tiges de bambou. Et je suis le marchand d’armes qui vend des armes mortelles à l’Ouganda. Je suis la jeune fille de 12 ans, réfugiée sur un petit bateau, qui se jette dans l’océan après avoir été violée par un pirate des mers. Et je suis le pirate, mon cœur n’étant pas encore capable de voir et d’aimer…
Oh, appellez-moi par mes vrais noms, pour que j’entende à la fois mes rires et mes pleurs, pour que ma joie et ma peine ne fassent plus qu’une. Oh, appellez-moi par mes vrais noms, afin que je m’éveille, que la porte de mon cœur s’ouvre enfin à jamais; la porte de la compassion.

Pouvez-vous nous dire ce que signifie ce poème ?

Thich Nhat Hanh : Cela signifie que la compassion est notre pratique la plus importante. La compréhension fait naître la compassion. Comprendre la souffrance que subissent les êtres vivants permet de libérer l’énergie de la compassion. Et avec cette énergie, vous savez quoi faire.

Oprah : D’accord. À la fin de ce magazine, je consacre une rubrique au thème “Ce dont j’ai la certitude”. Et vous, quelles sont vos certitudes ?

Thich Nhat Hanh : Je sais que nous n’en savons pas assez. Nous devons continuer à apprendre. Nous devons être ouverts. Et nous devons être prêts à abandonner nos connaissances afin de parvenir à une meilleure compréhension de la réalité. Si, en montant une échelle, vous atteignez la sixième marche en estimant que c’est la plus haute, vous ne pourrez jamais atteindre la septième. La technique consiste donc à abandonner la sixième marche pour que la septième soit accessible. Et c’est là notre pratique : abandonner nos vues. La pratique du non-attachement aux vues est au cœur de la pratique bouddhiste de la méditation. Les gens souffrent parce qu’ils sont prisonniers de leurs points de vue. Dès que nous libérons ces points de vue, nous sommes libres et nous ne souffrons plus.

Oprah : La véritable quête n’est-elle pas d’être libre ?

Thich Nhat Hanh : Oui. Être libre, c’est d’abord être libéré des idées fausses qui sont à la base de toutes sortes de souffrances, de peurs et de violences.

Oprah : Ce fut un grand honneur de pouvoir vous parler aujourd’hui.

Thich Nhat Hanh : Merci. Un moment de bonheur qui peut aider d’autres personnes.

Oprah : Oui, je pense vraiment que cela les aidera.

Interview en anglais


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What is Mindfulness

Thich Nhat Hanh January 15, 2020

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