Mourir en paix, une ultime leçon de Pleine Conscience

Une nouvelle interview de Frère Phap Dung sur la façon dont Thây vit ses derniers jours.
Par Eliza Barclay | 11 mars 2019

Thich Nhat Hanh allant se promener avec ses assistants, temple de Tu Hieu, février 2019.

«Lâcher prise, ce n’est pas seulement lâcher, c’est aussi faire de la place en vous à votre maître, le laisser vivre en vous», explique un disciple monastique chevronné du maître et auteur zen.
Thich Nhat Hanh a fait plus que peut-être aucun autre bouddhiste vivant aujourd’hui pour expliquer et diffuser les principaux enseignements de la pleine conscience, de la douceur et de la compassion à un large public international.

Le moine vietnamien, qui a écrit plus de 100 livres, n’est devancé que par le Dalaï Lama en renommée et en influence.
Thich Nhat Hanh s’est fait un nom en tant que défenseur des droits de l’homme et de la réconciliation pendant la guerre du Vietnam, ce qui a amené Martin Luther King Jr. à le nominer pour le prix Nobel.
Il est considéré comme le père du «bouddhisme engagé», un mouvement liant la pratique de la pleine conscience à l’action sociale. Il a également construit un réseau de monastères et de centres de retraite dans six pays du monde, dont les États-Unis.

En 2014, Nhat Hanh, qui a maintenant 92 ans, a eu un accident vasculaire cérébral au Village des Pruniers, le monastère et centre de retraite situé dans le sud-ouest de la France, qu’il a fondé en 1982 et qui était aussi son domicile. Bien qu’il n’ait pas pu retrouver la parole après son accident vasculaire cérébral, il a continué à être présent dans la communauté, utilisant son bras gauche et ses expressions faciales pour communiquer.
En octobre 2018, Nhat Hanh a surpris ses disciples en les informant qu’il aimerait rentrer chez lui au Vietnam pour passer ses derniers jours au temple racine de Tu Hieu à Huê, où il est devenu moine en 1942 à 16 ans.

Comme l’écrivait Liam Fitzpatrick de Time, Thich Naht Hanh a été exilé du Vietnam pour son activisme anti-guerre de 1966 jusqu’à ce qu’il soit finalement invité à revenir en 2005. Mais son retour dans son pays natal est moins une réconciliation politique que quelque chose de plus profond. Et il contient des leçons pour nous tous sur la façon de mourir paisiblement et de laisser partir les gens que nous aimons.

Quand j’ai appris que Thich Nhat Hanh était rentré au Vietnam, j’ai voulu en savoir plus sur cette décision. J’ai donc appelé frère Phap Dung, un disciple et moine chevronné qui aide à diriger le Village des Pruniers en l’absence de son fondateur. (J’ai rencontré Phap Dung en 2016, juste après que Donald Trump ait remporté l’élection présidentielle, pour parler de la manière dont nous pouvons utiliser la pleine conscience en temps de conflit.)
Notre conversation a été modifiée pour gagner en clarté.

Frère Phap Dung

Eliza Barclay
Parlez-moi de la décision de votre professeur d’aller au Vietnam et de la façon dont vous l’interprétez.
Phap Dung
Il revient définitivement à ses racines.
Il est revenu à l’endroit où il a été formé en tant que moine. Le message transmis par cette décision, c’est nous ne venons pas de nulle part. Nous avons des racines. Nous avons des ancêtres. Nous faisons partie d’une lignée ou d’un flux.
Se considérer comme faisant partie d’un courant, d’une lignée, c’est l’enseignement le plus profond du bouddhisme: le non-soi. Nous sommes vides d’un soi séparé, et pourtant, nous sommes pleins de nos ancêtres.
Il a mis l’accent sur la tradition vietnamienne du culte ancestral en tant que pratique dans notre communauté. Culte signifie ici se souvenir. Pour lui, rentrer au Vietnam, c’est souligner que nous sommes un courant qui remonte à l’époque du Bouddha en Inde, au-delà même du Vietnam et de la Chine.

Eliza Barclay
Donc, il est en train de se reconnecter au torrent qui l’a précédé. Et cela suggère que la communauté plus large qu’il a construite est également connectée à ce courant. La rivière continuera de couler après lui.

Phap Dung
C’est comme le cercle qu’il dessine souvent avec le pinceau de calligraphie. Il est rentré au Vietnam après 50 ans d’existence en Occident. Quand il est parti pour appeler à la paix pendant la guerre du Vietnam, c’était le début du cercle; lentement, il s’est aventuré dans d’autres pays pour enseigner. Et, toujours lentement, il est retourné en Asie, en Indonésie, à Hong Kong, en Chine. Finalement, le Vietnam s’est ouvert pour lui permettre de revenir trois autres fois. Ce retour ressemble maintenant à la fermeture du cercle.
C’est aussi comme si la flamme d’une bougie était transmise, à la prochaine, à beaucoup d’autres, pour que nous puissions continuer à vivre, à pratiquer et à continuer son travail. Pour moi, c’est comme ça, comme si la lumière était allumée en chacun de nous.
Eliza Barclay


Eliza Barclay Et en tant que l’un de ses principaux moines, avez-vous le sentiment de passer la lumière aussi?

Phap Dung
Avant de rencontrer Thay en 1992, je ne vivais pas en Pleine conscience. Je travaillais dur et je travaillais dans l’architecture avec ambition aux États-Unis. Il m’a appris à aimer vraiment vivre dans le moment présent, c’est quelque chose à quoi nous pouvons nous entraîner.
Maintenant que je pratique, je garde la lampe allumée et je peux également partager la pratique avec d’autres. Maintenant, j’enseigne et je prends soin des moines, des moniales et des amis laïcs qui viennent dans notre communauté, tout comme notre professeur.
Eliza Barclay
Il a donc 92 ans et sa santé est fragile, mais il n’est pas alité. Que fait-il au Vietnam?

Phap Dung
La première chose qu’il a faite quand il est arrivé a été d’aller au stupa [sanctuaire] pour allumer une bougie et toucher la terre. Rendre hommage de cette manière, c’est un peu comme se brancher directement à l’énergie des ancêtres. On peut avoir tellement d’énergie quand on se souvient de son maître.
Il ne reste pas assis à attendre. Il fait de son mieux pour profiter du reste de sa vie. Il mange régulièrement. Il peut même maintenant boire du thé et inviter ses étudiants à en prendre une tasse avec lui. Et ses actions sont très délibérées.
Un jour, avant le nouvel an lunaire, ses assistants l’ont amené profiter du marché aux fleurs. Au retour, il a demandé à son entourage de changer de cap et d’aller dans quelques temples particuliers. Au début, tout le monde était confus, jusqu’à ce qu’ils découvrent que ces temples étaient affiliés à notre communauté. Il s’est souvenu de l’emplacement exact de ces temples et de la direction à suivre pour s’y rendre. Ses assistants ont compris qu’il souhaitait visiter le temple d’un moine qui avait longtemps vécu au Village des Pruniers, en France; et un autre où il avait étudié quand il était jeune moine. Il est très clair que bien qu’il soit physiquement limité et en fauteuil roulant, il vit toujours, faisant ce que son corps et sa santé permettent. Chaque fois qu’il est en assez bonne forme, il se présente à des réunions de sangha, ou rassemblements communautaires même s’il n’a rien à faire. Pour lui, la retraite n’existe pas.
Eliza Barclay
Mais vous êtes également en train de le laisser partir, non?

Phap Dung
Bien sûr, le lâcher prise est l’une de nos pratiques principales. Cela va de pair avec la reconnaissance de la nature impermanente des choses, du monde et de nos proches.
Cette période de transition est son dernier et le plus profond enseignement qu’il donne à notre communauté. Il nous montre comment faire la transition avec élégance, même après une attaque et en étant limité physiquement. Il profite toujours de sa journée à chaque occasion.
Ma pratique est de ne pas attendre le moment où il rendra son dernier souffle. Chaque jour, je pratique de façon à le laisser partir, en le laissant être avec moi, en moi et en chacune de mes respirations conscientes. Il est vivant dans mon souffle, dans ma conscience.

En inspirant, je respire avec mon maître en moi; en expirant, je le vois sourire en moi. Lorsque nous faisons un pas avec douceur, nous le laissons marcher avec nous et nous lui permettons de continuer dans nos pas. Lâcher prise, ce n’est pas seulement lâcher, c’est aussi faire de la place en vous à votre maître, le laisser vivre en vous et voir qu’il est plus qu’un simple corps physique actuellement au Vietnam.
Eliza Barclay
Qu’avez-vous appris de votre maître sur le fait de mourir?

Phap Dung
Il y a la mort dans le sens de laisser ce corps, lâcher prise des sentiments, des émotions, de ces choses que nous appelons notre identité, et pratiquer pour les laisser partir.
Le problème, c’est que nous ne nous laissons pas mourir jour après jour. Au lieu de cela, nous nous attachons à des idées les uns sur les autres et sur nous-mêmes. Parfois, c’est bon, mais parfois, cela nuit à notre croissance. Nous nous identifions à une idée et nous nous enfermons en elle .
Lâcher prise n’est pas seulement une pratique pour quand nous aurons 90 ans, c’est une des pratiques les plus élevées. Cela peut vous amener à l’équanimité, un état de liberté, une forme de paix. Se réveiller chaque jour comme s’il s’agissait de renaître, maintenant c’est une pratique.
Dans la dimension historique, nous pratiquons pour accepter d’arriver à un point où le corps sera limité et où nous serons malades. Il y a la naissance, la vieillesse, la maladie et la mort. Comment allons-nous y faire face?
Eliza Barclay
Quels sont les enseignements les plus importants du bouddhisme sur la mort?

Méditation marchée pendant la retraite d’été au Village des Pruniers

 Phap Dung Nous avons conscience qu’un jour nous allons tous vieillir et mourir, nos neurones, nos bras, notre chair et nos os. Mais si notre pratique et notre Pleine Conscience sont assez fortes, nous pouvons regarder au delà du corps qui est en train de mourir et prêter attention au corps spirituel. Nous nous continuons dans les conséquences de nos paroles, de nos pensées et de nos actions. Ces trois aspects du corps, de la parole et de l’esprit se continuent.
Dans le bouddhisme, nous appelons cela la nature de l’absence de naissance et de mort.
Dans la dimension ultime, il y a une continuation. Nous pouvons cultiver la conscience de cette nature de non naissance et non mort, cette manière de vivre dans la dimension ultime; alors lentement notre peur de la mort diminuera.
Cette prise de conscience nous aide également à être plus attentifs dans notre vie quotidienne, à chérir chaque moment et chaque chose dans notre vie.
Avant de tomber malade, l’un des enseignements les plus puissants qu’il partageait avec nous était de ne pas lui construire un stupa [sanctuaire pour sa dépouille] et de mettre ses cendres dans une urne pour que nous puissions prier. Il nous a fortement demandé de ne pas le faire. Je vais paraphraser son message:
«S’il vous plaît, ne construisez pas de stupa pour moi. S’il vous plaît, ne mettez pas mes cendres dans un vase, ne m’enfermez pas, ne limitez pas qui je suis. Je sais que ce sera difficile pour certains d’entre vous. Si vous devez cependant construire un stupa, assurez-vous de mettre une épitaphe disant: “Je ne suis pas ic
i.” En outre, vous pouvez également mettre une autre épitaphe déclarant: “Je ne suis pas dehors non plus”, et une troisième affirmant: “Si je suis où que ce soit, c’est dans votre respiration consciente et dans vos pas paisibles”.


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Thich Nhat Hanh January 15, 2020

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