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Amour et Libération

Dans cet entretien, Thich Nhat Hanh traite de l’amour véritable, des bienfaits de la souffrance et de la vision profonde qui permet la libération. Il explique enseigner le Bouddhisme originel dans l’esprit du Mahayana. Selon moi, personne d’autre à ce jour ne présente avec autant de clarté et de puissance les enseignements centraux du Bouddha.

Shambhala Sun, numéro spécial rédigé par Melvin McLeod le 24 juillet 2010
et consacré à Thich Nhat Hanh.

audio-icon   Écoutez l’audio de cette interview en anglais: Part 1 | Part 2


Melvin McLeod: Pourquoi la Pleine Conscience est-elle la clé du Bonheur ?

Thich Nhat Hanh:

La Pleine Conscience nous apporte la Concentration. À son tour, la Concentration nous offre la Vision Profonde, la Compréhension. Et la Vision Profonde nous libère de l’ignorance, de la colère et de l’avidité. Lorsque vous êtes libéré de vos afflictions, le bonheur devient possible. Comment pouvons-nous être heureux lorsque nous sommes surchargés de colère, d’ignorance et de désir ? C’est pour cette raison que nous disons que la clé du bonheur se trouve dans la compréhension qui, elle, peut nous libérer de ces afflictions. De nombreuses conditions de bonheur sont disponibles, mais la plupart des personnes ne les reconnaissent pas parce qu’elles n’en sont pas conscientes.

Lorsque le corps et l’esprit sont réunis, nous sommes pleinement présents. Nous sommes vraiment vivants et nous pouvons toucher les merveilles de la vie qui sont disponibles dans l’ici et le maintenant. On ne pratique donc pas seulement avec son esprit, mais aussi avec son corps. Le corps et l’esprit doivent être vécus comme une seule entité, et non deux. À partir de ce constat, nous découvrons que tout ce que nous recherchons est déjà là. Qu’il s’agisse de l’Eveil, du Nirvana, de la Libération, du Bouddha, du Dharma, de la Sangha ou du Bonheur, tout est là. En fait, c’est le seul endroit, le seul moment, où il est possible de trouver tout cela.

Et inversement, si l’esprit et le corps sont séparés, quand nous nous perdons dans nos pensées, que nous ne sommes pas présents, alors nous menons une existence semblable à celle ‘d’un cadavre’, pour reprendre vos termes.

Intellectuellement, les gens savent probablement qu’ils doivent vivre dans le moment présent, mais l’énergie d’habitude installée depuis longtemps les pousse toujours à se précipiter, si bien qu’ils ont perdu leur capacité à être dans le moment présent pour mener leur vie en profondeur. C’est pourquoi la pratique est importante, il ne suffit pas juste d’en parler. Il faut pratiquer suffisamment pour arrêter de courir partout et pouvoir s’établir dans le moment présent. C’est le tout début de la pratique : l’arrêt. S’arrêter, regarder profondément, et découvrir le bonheur et la libération ; c’est la voie bouddhiste.

Vous mettez l’accent sur la joie et le plaisir de la Pratique – la joie de marcher sur cette Terre, le plaisir de prendre une respiration consciente. Peut être est-ce dû à notre passé puritain, mais je pense que nous avons facilement tendance à considérer la pratique bouddhiste comme quelque chose de strict et sans joie. On pourrait presque se sentir coupable d’associer la religion au plaisir et à la célébration.

Quand les gens écoutent les enseignements relatifs aux quatre nobles vérités, il me semble qu’ils entendent les mots ‘mal-être’ et ‘souffrance’ et qu’ils pensent que le Bouddhisme n’est qu’une question de souffrance. Mais ils ne savent pas que la troisième noble vérité concerne le bonheur, tout le contraire de la souffrance. Il y a la souffrance, et il y a un chemin qui mène à la souffrance. Et il y a aussi la cessation de la souffrance, qui signifie le bonheur, ainsi qu’un chemin qui mène au bonheur. Peut-être serait-il bon de mettre les deux dernières nobles vérités en premier. La première vérité serait alors le bonheur, et la deuxième vérité serait le chemin qui mène au bonheur. La troisième vérité serait ensuite la souffrance, et la quatrième porterait sur les causes de la souffrance.

Lorsque nous sommes conscients, nous découvrons la joie, mais aussi la douleur et les blessures en nous, ce qui est une expérience difficile. Qu’enseignez-vous aux autres quant à la façon de se relier à cette souffrance lorsqu’elle se manifeste ?

Souffrance et Bonheur inter-sont ; tout comme le blanc ne peut se voir que sur un fond de noir, nous ne pouvons reconnaître le bonheur que par sur fond de souffrance. Ce n’est que si vous avez eu faim que vous pouvez éprouver la joie d”avoir quelque chose à manger. Si vous ressentez les souffrances de la guerre, vous pouvez reconnaître la valeur de la paix. Autrement, vous ne pouvez pas apprécier la paix et vous voulez faire la guerre. L’expérience des souffrances de la guerre constitue donc la toile de fond du bonheur de connaître la paix. C’est pourquoi il est très important d’expérimenter un peu de souffrance. La souffrance nous enseigne quelque chose et c’est sur cette toile de fond que nous pouvons reconnaître le bonheur.

Il y a en nous une profonde tendance à rechercher le plaisir et à éviter la souffrance. Elle est enracinée dans ce que nous appelons la ‘conscience du tréfonds’, ou ‘Manas‘ en Sanskrit. Manas est constamment à la recherche du plaisir et cherche à éviter douleur et souffrance. Manas n’est pas conscient du danger que représente la recherche du plaisir, en raison de l’ignorance qui caractérise Manas. C’est comme un poisson qui est sur le point de mordre l’appât et qui ignore que l’appât cache un hameçon. Manas n’est pas conscient du danger du plaisir et ne sait pas que la souffrance comporte sa propre bonté. Il est bon d’éprouver un minimum de souffrance car, quand nous souffrons, nous développons de la compassion et de la compréhension.

Parce que Manas ignore les dangers du plaisir et la bonté de la souffrance, nous devons en quelque sorte transférer la vision profonde que nous développons dans notre pratique de la méditation vers la conscience du tréfonds. La pensée issue uniquement de la conscience mentale ne suffit en effet pas à nous transformer à la base. Ce que la conscience de l’esprit peut faire, c’est méditer, développer la compréhension, puis la transférer à la conscience du tréfonds. La première compréhension à mettre en évidence est que la recherche du plaisir est dangereuse et qu’il n’est pas judicieux d’éviter la souffrane car elle aussi possède sa propre bonté. Lorsque vous êtes pleinement conscient, et que vous avez assez de courage pour retourner à vous-même et accepter la souffrance qui est en vous, alors vous pouvez beaucoup apprendre. De cette façon, vous transformez votre souffrance. Mais si vous essayez toujours de fuir votre souffrance, vous n’avez aucune chance d’y parvenir. C’est pourquoi le Bouddha nous a enseigné de reconnaître la première noble vérité, la vérité de la souffrance, et de regarder en profondeur afin de découvrir la deuxième noble vérité, la cause de la souffrance. C’est la seule façon pour que puisse se révéler la quatrième noble vérité, le chemin pour transformer la souffrance en bonheur. Nous devons donc souligner le rôle de la souffrance. Craindre tant la souffrance nous ôte cette chance de transformation.

Je pense que nous faisons tous l’expérience de l’amour véritable envers quelqu’un dans notre vie, quelqu’un dont nous serions prêts à assumer la souffrance et à qui nous offririons volontiers tout notre bonheur. Étendre ce genre d’amour à davantage de personnes, et finalement à tout le monde, serait la meilleure chose que nous puissions faire. Cela transformerait notre monde. Comment pouvons-nous porter plus largement l’amour que chacun d’entre nous porte en lui et le diffuser à un cercle plus large ?

À la naissance, nous avons éprouvé une peur, la peur originelle, parce que ce moment crucial nous a fait courir le risque de mourir. Nous sommes sortis d’un endroit très confortable, l’utérus de notre mère, et le cordon ombilical a été coupé. Dès lors, nous avons dû respirer par nous-mêmes, alors qu’il y avait du liquide dans nos poumons. Il nous a fallu évacuer ce liquide pour prendre notre première respiration. Si nous n’y parvenions pas, c’était la mort.

C’est précisément à ce moment que se manifeste la première expérience de la peur, et que naît à son tour le désir originel, le désir de survivre. En tant que bébé, vous découvrez votre impuissance. Vous savez que vous ne pouvez pas survivre si personne ne prend soin de vous. Lorsque vous entendez les pas de quelqu’un qui arrive, vous savez qu’il s’agit de la personne qui prendra soin de vous, et vous êtes heureux. Vous passez tout votre temps à attendre ce son, car lorsque cette personne viendra, il y aura du lait, de la chaleur, il y aura tout ce qu’il faut.

C’est là que naissent la première peur et le premier désir. En grandissant, le désir d’avoir un partenaire n’est que la continuation de ce moment initial. Vous éprouvez le besoin d’avoir quelqu’un pour prendre soin de vous parce que vous vous sentez impuissant, vulnérable, que vous ne pouvez pas y arriver par vous-même. Vous avez besoin d’une autre personne. Ainsi, si vous avez besoin de chercher un partenaire, cela signifie que votre premier désir, le désir originel, est toujours présent, et que vous ne vous sentez pas en sécurité si personne n’est là. C’est ainsi que votre partenaire, votre amant, peut être la continuation de maman ou de papa. Vous vous sentez paisible puisque : “Tout va bien maintenant, Maman est là, Papa est là”. Or, ce n’est pas la présence réelle de l’autre personne qui vous apporte cette détente ; c’est plutôt l’idée que “Maman est là” ou que “Papa est là”. Et il est tout à fait possible que, plus tard, vous ayez l’impression que la personne assise à côté de vous est une nuisance et que vous décidiez de divorcer. La raison tient au fait que ce n’est pas vraiment la présence de cette personne qui vous procure cette sensation de détente, mais vos propres idées et désirs.

Dans le Bouddhisme, l’amour commence toujours par soi-même, avant la manifestation de l’autre personne dans notre vie. Les enseignements bouddhistes sur l’amour nous invitent à d’abord retourner en nous-même pour reconnaître la souffrance qui est en nous. C’est alors que la compréhension de notre propre souffrance nous aidera à nous sentir mieux et à aimer, parce que nous ressentons la plénitude, l’épanouissement en nous. Il n’est donc pas nécessaire d’avoir une autre personne pour commencer à aimer. Nous pouvons commencer par nous-même.

Le véritable amour ne se contente pas de choisir une seule personne. Lorsque l’amour véritable est là, vous brillez comme une lampe. Et vous ne brillez pas uniquement pour une seule personne mais la lumière que vous émettez irradie pour tous les occupants de la pièce. Si l’amour est véritablement en vous, tous ceux qui vous entourent en profiteront, non seulement les humains, mais aussi les animaux, les plantes et les minéraux. L’amour, le véritable amour, c’est ça. Le véritable amour, c’est l’équanimité.

Il s’agit donc moins d’élargir l’amour que nous ressentons aujourd’hui que de modifier la base même de notre amour, en passant du besoin à l’accomplissement de soi ?

En effet.

Soeur Chan Khong nous a guidés dans une méditation destinée à nous faire prendre conscience des différentes causes et conditions, (nos parents, notre culture, nos guides spirituels, …), qui ont déterminé celle ou celui que nous sommes et qui vivent encore en nous. En quoi est-ce utile ?

Le soi n’est constitué que d’éléments non-soi, et c’est précisément la compréhension du non-soi qui peut nous libérer. Nous sommes faits d’éléments ‘non-nous’. Lorsque nous regardons en profondeur, nous reconnaissons les ancêtres, les parents, les cultures, la société et tout ce qui est en nous.

De nombreux enseignants bouddhistes parlent du principe d’interdépendance en termes abstraits, mais j’ai trouvé très utile d’examiner de près les influences spécifiques, tant positives que négatives, qui ont fait de moi ce que je suis aujourd’hui.

Je pense que l’enseignement peut être simplifié, et que même les enfants peuvent le comprendre. La méditation de ce matin nous a amenés à examiner les éléments familiaux qui vivent en nous : “En moi, je vois mon père comme un enfant de cinq ans, vulnérable. Je lui souris avec compassion”. Ce genre de visualisation peut nous aider à toucher la réalité du non-soi. Sachant que nous sommes faits d’éléments non personnels, nous savons que notre père est en nous. Notre papa est pleinement vivant dans chaque cellule de notre corps, et sa souffrance est toujours présente en nous. C’est le genre de pratique qui peut apporter la compréhension de l’inter-être, du non-soi. Elle peut nous libérer de la colère, si nous sommes en colère contre notre père, et ainsi de suite.

Pourquoi méditons-nous sur ces éléments ‘non-soi’ qui sont en nous avec la vision profonde mais aussi avec amour ?

La vision profonde et l’amour, c’est la même chose. La vision profonde apporte l’amour, et l’amour n’est pas possible sans vision profonde, sans compréhension. Si vous ne pouvez pas comprendre, vous ne pouvez pas aimer. Cette vision profonde est une compréhension directe, et non simplement des notions et des idées. Dans la méditation, nous nous laissons éclairer par la lumière de cette compréhension.

Il est parfois utile de faire appel à une image pour pouvoir vraiment comprendre. Ainsi, j’ai décrit aux enfants qu’il est difficile pour la plante de maïs de voir que, dans le passé, elle était un grain de maïs. Mais c’est la vérité, et si vous voyez vraiment les choses de cette façon, vous avez une idée de l’inter-être entre la plante et le grain de maïs. En effet, sans le grain de maïs, comment la plante de maïs pourrait-elle exister ? C’est la même chose pour le père et le fils, la mère et la fille. Si nous touchons à cette vérité par la méditation, alors la haine et la colère disparaîtront et l’amour deviendra possible.

Vous êtes un Maître de la tradition Zen, et vous avez également une connaissance approfondie des autres Écoles de Bouddhisme ; or, au cours de tout ce programme d’enseignements, vous n’avez fait qu’une seule référence indirecte au Zen. En revanche, votre enseignement s’est concentré exclusivement sur les principes de base du Bouddhisme, tels que la pratique de la pleine conscience et les quatre nobles vérités. Pourquoi avez-vous choisi cette approche ?

Il existe un Bouddhisme originel, le Bouddhisme du Bouddha, ainsi de nombreuses Écoles de Bouddhisme développées par les générations suivantes. Mais qu’il s’agisse du Bouddhisme originel, ou du Zen, ou du Tendai, ou du Vajrayana, il s’agit toujours de l’Enseignement du Bouddha. Le travail du Bouddha est poursuivi par ses disciples — sa sagesse et ses enseignements se sont perpétués au-delà de son entrée en nirvana. Nous reconnaissons le Bouddha dans les générations d’enseignants et d’étudiants qui l’ont suivi.

En fait, je présente les Enseignements du Bouddhisme originel dans un esprit Mahayana. Le Bouddhisme Mahayana présente une vision très ouverte, sans restriction, et c’est merveilleux d’étudier le Bouddhisme originel dans cet esprit. En utilisant les yeux du Mahayana pour étudier le Bouddhisme originel, vous pouvez découvrir de nombreuses choses, des choses beaucoup plus profondes. Vous vous apercevez que tous les grands enseignements du Mahayana peuvent être trouvés dans l’Enseignement originel. Les grandes idées du Mahayana sont déjà là. Les graines sont déjà présentes dans le Bouddhisme originel.


Le terme ‘Bouddhisme originel’ ne signifie donc pas que nous avons mis de côté les autres traditions venues plus tard. Ce que nous voulons, c’est relier les traditions ultérieures à leurs racines. C’est ainsi que le Bouddhisme originel pourra devenir le terrain d’entente, le dénominateur commun, de chaque bouddhiste. C’est pour cette raison que nous avons essayé de proposer les enseignements originels du Bouddhisme dans l’esprit du Bouddhisme Mahayana.

Sous sa forme originelle, le Bouddhisme était simple – simple mais profond. De nombreux érudits ont rendu le Bouddhisme trop compliqué, le transformant en une sorte de métaphysique ou de philosophie. Certains étudiants bouddhistes consacrent beaucoup de temps à l’apprentissage de ces systèmes de pensée et ne disposent pas du temps nécessaire pour les mettre en pratique. Cela rappelle Maître Linji [Japonais : Rinzai] qui a largement étudié le Bouddhisme mais qui, constatant que son apprentissage n’était pas suffisant, a décidé d’en abandonner l’étude pour se consacrer à la Pratique.

Dans la mesure où le Bouddhisme est encore à ses débuts en Occident, dans sa phase embryonnaire, pensez-vous que les enseignements du Bouddhisme originel sont peut-être plus appropriés aujourd’hui que les enseignements qui se sont développés par la suite ?

Un enseignement spécifique n’est pas forcément plus approprié à notre époque. Ce qui importe, c’est la façon dont nous le comprenons, et cela dépend de notre approche. Si vous êtes un érudit et que vous ne travaillez qu’avec votre intellect, vous pouvez interpréter un enseignement d’une certaine manière. Mais si vous êtes un véritable pratiquant, votre pratique vous aidera à découvrir la profondeur de l’enseignement et à toucher la compréhension qu’il vous apporte. Vous disposerez alors d’une autre façon, complètement différente, de présenter le même enseignement. La question ne porte donc pas sur l’enseignement lui-même, mais sur la manière dont vous vivez et présentez cet Enseignement.

Il est toutefois étonnant de constater que le tout premier enseignement du Dharma donné par le Bouddha est toujours d’actualité. Ainsi, 2 500 ans plus tard, le premier enseignement dispensé par le Bouddha demeure toujours valable et solide. Dans le premier discours du Dharma, nous trouvons bien assez d’enseignements pour toute notre vie. C’est quelque chose d’incroyable.

Dans votre enseignement, vous accordez une plus grande attention aux principes de la Sangha, la Communauté, que probablement tout autre enseignant bouddhiste. Pourquoi est-ce si important pour vous ?

Construire la fraternité et la sororité est le fondement de la Sangha, et si la Sangha est heureuse, alors elle peut être un refuge pour de nombreuses personnes. Cela fait longtemps maintenant que nous avons commencé à construire notre Communauté, il y a plusieurs décennies, et elle est aujourd’hui une Sangha mature et solide. De nombreuses personnes pratiquent depuis longtemps, et lorsqu’il y a une retraite comme celle-ci, vous pouvez ressentir l’énergie de la Sangha.

Les soutras relatent l’histoire du roi Prasenajit de Shravasti, qui rencontra le Bouddha pour la dernière fois alors qu’ils avaient tous deux quatre-vingts ans. Le Roi déclara quelque chose comme : “Cher Bouddha, chaque fois que je vois la Sangha, je vous vois plus clairement”. Il est particulièrement significatif que le Bouddha puisse être vu à travers la Sangha. La Sangha est l’œuvre, le chef-d’œuvre du Bouddha. Le Bouddha est un artiste et la Sangha est son œuvre. Ce que le Roi dit à cette occasion est donc très significatif : “Cher Bouddha, cher Maître, chaque fois que je suis en contact avec votre Sangha, je vous vois plus clairement et je vous apprécie de plus en plus.” Le Bouddha est toujours vivant aujourd’hui dans la Sangha. C’est pourquoi, lorsque vous voyez les moines et les laïcs pratiquer, vous voyez la présence du Bouddha.

Récemment, vous avez appelé les membres de votre propre Sangha, ainsi que tous ceux qui soutiennent les principes de paix et de non-violence, à soutenir le président Obama. Pouvez-vous nous dire pourquoi vous avez pris cette initiative ?

Comme vous le savez, j’ai rencontré Martin Luther King Jr. en 1966. Nous avons parlé du concept de Sangha et de sa conception d’une ‘communauté bien-aimée’. Nous avons débattu des droits de l’homme, de la paix, de la non-violence, etc. En fait, ce que nous faisions était très analogue : nous bâtissions une communauté, en combinant les graines de sagesse, de compassion et de non-violence.

La présente déclaration s’inscrit dans la continuité de ce travail. Nous avons planté ces graines, et quand Obama s’est manifesté, nous avons pu voir qu’il était capable de parler avec amour, de comprendre la non-discrimination. Mais Obama est aussi vulnérable — il ne peut pas demeurer lui-même s’il n’est pas soutenu par une communauté forte, par tous ceux qui croient en ces principes. Peut-être qu’à l’avenir, ses conseillers militaires et économiques le pousseront dans une autre direction. C’est pourquoi nous appelons la Sangha à soutenir Obama, afin qu’il puisse être lui-même et poursuivre la concrétisation de ce qu’il s’est montré capable de faire, par exemple en utilisant un discours aimant et en aidant à éliminer les perceptions erronées, tant en Amérique que dans le monde arabe.

Il y a eu tant de signes qui prouvent qu’Obama a une réelle intention, une aspiration à réaliser la paix, la fraternité, la non-discrimination, etc. Soutenir Obama, ce n’est pas appuyer un parti politique, mais encourager une pratique politique que le monde des politiciens ne voit pas couramment. Obama représente un nouveau type de conscience, un autre type d’aspiration, une autre manière d’agir. C’est beau, mais comment le maintenir en vie ? Il y a tellement d’éléments qui essaient de diriger Obama dans une autre direction. C’est pourquoi nous devons mobiliser la communauté pour aider à protéger Obama, afin qu’il puisse rester Obama plus longtemps. Ce n’est pas soutenir un parti politique. C’est encourager une vision, une aspiration.

Vous avez donné une conférence à New York intitulée “Building a Peaceful and Compassionate Society” (Construire une société pacifique et compatissante). Quel est notre chemin vers une société saine et compatissante ? Vos cinq entraînements à la pleine conscience placent les vœux bouddhistes traditionnels dans un contexte social moderne. Sont-ils un guide ?

En général, la compréhension de l’inter-être aidera à éliminer la discrimination, la peur et le mode de pensée dualiste. Nous inter-sommes; souffrance et bonheur inter-sont eux aussi. C’est pourquoi la compréhension de l’inter-être est le fondement de toute action susceptible d’apporter la paix et la fraternité, et de contribuer à éliminer la violence et le désespoir. Cette vision est présente dans toutes les grandes traditions spirituelles. Il nous suffit de retourner à notre propre tradition, et d’essayer de la révéler, la faire revivre.

Les cinq entraînements à la pleine conscience sont une pratique très concrète de l’amour. Dans notre tradition, la tradition bouddhiste, nous apprenons à appliquer les entraînements dans notre vie quotidienne. Ils sont orientés vers l’action, pas vers la spéculation. Vous ne vous contentez pas de signer une pétition, vous l’introduisez dans votre vie, sur votre chemin. Ensuite, vous êtes heureux parce que vous savez que vous avez un chemin de compréhension et d’amour. Puisque vous avez un chemin de compréhension et d’amour, il n’y a plus de raison de craindre votre avenir.

Vous pouvez alors partager votre chemin, votre façon de cultiver la compréhension et l’amour, avec des personnes d’autres traditions. Ils n’ont pas besoin de devenir bouddhistes ; ils peuvent revenir à leur propre tradition et y reconnaître l’équivalent des cinq entraînements. Notre but n’est pas de convertir le monde au Bouddhisme. Notre but est de vivre le Bouddhisme comme un chemin de compréhension et d’amour. Vous pouvez continuer à être juif, chrétien ou musulman, et vous pouvez faire exactement la même chose que ce que nous pratiquons dans la tradition bouddhiste. Alors que nous employons un langage et une pratique bouddhistes, vous employez un langage et une pratique musulmans, mais nous arrivons au même résultat. C’est pourquoi on peut parler de spiritualité globale ou d’éthique globale.

Ne serait-il pas merveilleux que de grands chefs spirituels de différentes traditions puissent se réunir et discuter de ce que serait une éthique mondiale commune ?

Peut-être n’ont-ils pas besoin de se réunir en un même lieu. Ils pourraient simplement rester là où ils sont et pratiquer la même compréhension et le même amour.

Merci beaucoup, Thây. C’est très généreux de votre part de nous accorder ce temps. Ce fut un honneur pour moi personnellement, et je sais que vos propos seront très bénéfiques pour nos lecteurs.


Lisez l’article en entier (en anglais)  ici.

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What is Mindfulness

Thich Nhat Hanh January 15, 2020

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