C’est au cours de la guerre qui frappait son pays, le Vietnam, que Thich Nhat Hanh prit une décision déterminante pour sa vie : faire descendre les moines dans la rue. Dorénavant, il est un fervent défenseur de la paix.
“J’ai 88 ans. Je suis un maître zen. A 16 ans, je suis entré au Monastère. Vietnamien, je vis en France, où
j’ai fondé le ‘Village des Pruniers’, une communauté bouddhiste. J’anime des retraites dans le monde entier
sur l’art de vivre en conscience. Si je devais choisir entre le Bouddhisme et la Paix, je choisirais la Paix.“
— Thich Nhat Hanh
TRADUCTION de l’Espagnol – Interview parue le 28 juin 2014 dans le journal La Contra
Par Ima Sanchís.
Infatiguable
C’est au cours de la guerre qui frappait son pays, le Vietnam, que Thich Nhat Hanh prit une décision déterminante pour sa vie : faire descendre les moines dans la rue. Dorénavant, il est un fervent défenseur de la paix. Lors de ses voyages aux États-Unis, il a rencontré des officiers fédéraux et du Pentagone, auxquels il a présenté de solides raisons d’arrêter la guerre. Il a également contribué à changer le cours de l’Histoire en demandant à Martin Luther King de s’opposer ouvertement à la guerre du Vietnam. Après la guerre, il fonda à Saigon l’École du Service d’Aide Sociale, et oeuvra à la reconstruction de villes et de villages, d’écoles et de centres médicaux. Lors de sa tournée américaine en 2013, il a rencontré les cadres les plus influents. Il s’est ensuite rendu en Espagne.
Au Vietnam, pendant la guerre, vous avez fait descendre les moines dans les rues.
Ma vie n’a pas d’importance. Ce qui est important, c’est que vous pratiquiez la pleine conscience. Ce que je veux, c’est aider.
Vous êtes passé de la contemplation à l’engagement, vous êtes un révolutionnaire.
Vous pensez prendre une décision, mais en fait la décision existe déjà : elle dépend de la façon dont vous avez observé, entendu …
Mais il s’agissait de votre décision.
La liberté de choisir ne peut venir que de notre pleine conscience : J’inspire et je sais que j’inspire, j’expire et je sais que j’expire. Les décisions sont le résultat d’une pratique continue et à long terme.
Etes-vous libre?
Oui, je suis libéré de la colère, de la peur, du désir… cela aide, cela vous amène à la compassion
Qu’avez-vous compris sur l’être humain pendant la guerre du Vietnam ??
La guerre du Vietnam n’était pas différente des autres guerres ; toutes sont dues à notre manque de réflexion, de vision juste. Nous sommes dominés par la peur et la colère et nous ne comprenons pas notre propre souffrance ni celle de notre ennemi.
C’est la condition humaine..
Le manque de compréhension fait de nous des victimes. Chacune des deux parties avait sa propre idée sur la façon d’obtenir la paix et le bonheur, mais elles n’étaient pas capables de communiquer.
Les moines se sont immolés; c’est un acte de violence contre soi-même.
Il n’y avait pas d’autre moyen de communiquer au monde notre souffrance. Ce qui compte, ce n’est pas votre acte, mais votre motivation.
Un psychologue occidental dirait que l’immolation est une folie.
Oui et c’est précisément pour cela que j’ai dû me rendre aux États-Unis pour exposer tout cela à Martin Luther King, puisque vu sous l’angle occidental, c’est très difficile à comprendre.
Martin Luther King vous a proposé au Prix Nobel de la Paix et s’est ouvertement opposé à la guerre.
Je suis allé aux États-Unis parce que je savais que la situation n’était pas bien comprise. Cela faisait un certain temps que le Dr King et moi échangions du courrier à ce sujet. Comme vous, il voulait aussi comprendre pourquoi les moines s’étaient immolés par le feu.
Vous avez rencontré des officiers fédéraux et du Pentagone, comme Robert McNamara.
Les plus difficiles étaient les membres du mouvement pour la paix, qui manifestaient beaucoup de colère. J’ai passé beaucoup de temps à les aider à faire preuve de plus de compassion. Ils étaient très en colère contre moi parce que, de mon côté, je n’étais pas en colère. J’ai dû faire preuve de beaucoup de patience.
Comment avez-vous réussi à créer une université bouddhiste illégale au Vietnam ?
Cela n’a pas été facile, mais je tiens à vous dire quelque chose : peu importe que vous soyez une personne très talentueuse qui déborde d’énergie. A vous seul, vous ne pouvez pas faire grand-chose. Nous devons construire une communauté où règne une grande compréhension mutuelle, une communauté qui partage
des idéaux : c’est la façon d’avoir de l’espoir pour accomplir quelque chose.
Vous avez travaillé avec des vétérans américains de la guerre du Vietnam.
Nous avons fait des retraites de pleine conscience avec eux. Ce fut très difficile, mais on a aussi assisté à une véritable guérison. La compréhension doit être très profonde : vous devez aussi comprendre la souffrance de ceux qui vous ont envoyés à la guerre.
Ils parlent de dommages collatéraux.
Ils souffrent beaucoup. Le ministre de la défense Robert McNamara a démissionné trois mois après notre rencontre. Il avait un énorme poids sur le cœur, sentant que la guerre avait été une erreur.
Comment soigner l’horreur de la guerre ?
Lorsque vous comprenez votre propre souffrance et celle des autres, et que vous cherchez à aider les autres, alors la compassion peut naître, et cela commence à vous guérir. Laissez-moi vous raconter une histoire.
Je vous en prie…
Daniel, un vétéran de la guerre, était chargé de haine parce que la plupart de ses collègues avaient été tués lors d’une embuscade. Il voulait se venger : il est allé dans un village et a laissé un sac avec des sandwiches remplis de poudre explosive… et, là, il vit cinq enfants les manger.
Il les a vus mourir ?
Oui, dans les bras de leur mère. Quand je l’ai rencontré, c’était un homme torturé, il n’osait expliquer cette histoire à personne. Je lui ai conseillé de consacrer sa vie à sauver les enfants qui mouraient dans le monde, en lui disant que l’énergie de cette aspiration le sauverait. Il l’a fait et, par la suite, il vit en rêve les cinq enfants lui sourire. Il est parvenu à guérir. Ensuite, il a épousé une dentiste anglaise.
Vous êtes le Sage que devraient suivre les banquiers et les hommes d’affaires. Pourquoi souffrent-ils autant ?
Parce qu’ils ont de l’argent mais n’ont ni bonheur ni temps pour aimer. Ils sont accablés de soucis, de peur, de colère… et sont incapables de profiter de la vie. Ils ne communiquent pas avec leur épouse ou leurs enfants; or, sans communication, on ne peut pas être heureux. Je leur dis toujours : “Qu’est-ce que vous préférez, être heureux ou avoir de l’argent ?… Vous devez choisir”.
Ils veulent les deux choses.
Oui, mais s’ils pratiquent sérieusement, ils commencent à transformer leur esprit et à découvrir l’amour. Ils réalisent qu’ils n’ont pas besoin de leur argent et ils choisissent le bonheur. C’est intéressant.
Ima Sanchís (La Contra de La Vanguardia)
28/06/2014
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