En 1970, avec Alfred Hassler (du Mouvement International de la Réconciliation) et six autres éminents scientifiques, Thich Nhat Hanh et Sœur Chan Khong ont aidé à organiser la première conférence européenne sur l’environnement, à Menton, dans le sud de la France.
La conférence a permis de publier le “message de Menton” signé ensuite par plus de 2200 scientifiques. Thầy et ses associés ont rencontré le Secrétaire général des Nations Unies U Thant l’année suivante, le 11 mai 1971, à New York pour lui présenter ce message intitulé “Message à 3 milliards et demi de terriens” et obtenir son soutien. En 1972, ils ont accueilli la Conférence environnementale «Dai Dong» parallèlement au Sommet des Nations Unies sur l’environnement humain à Stockholm.
Cette déclaration a été publiée dans le Courrier de l’UNSECO en 1971. Elle a également été publiée dans Le Monde et le New York Times.
Sommaire :
Message à 3 milliards et demi de terriens
2200 savants s’adressent aux 3 milliards et demi de terriens
Le 11 mai 1971 à New York, un message signé par 2 200 hommes de science de 23 pays a été remis à U Thant, Secrétaire général des Nations Unies. Il est adressé aux « trois milliards et demi d’habitants de la planète Terre », pour les mettre en garde contre « le danger sans précédent » qui menace l’humanité.
Aux six savants éminents qui lui présentaient ce message (dont nous reproduisons ici l’essentiel), le Secrétaire général des Nations Unies a déclaré :
« Je crois que l’humanité a fini par prendre conscience du fait qu’il existe sur (et autour de) la Terre un équilibre délicat entre les phénomènes physiques et biologiques, qui ne saurait être bouleversé étourdiment par notre ruée vers le développement technologique… Face à ce grave danger général, qui porte en lui les prémisses d’une extinction de l’espèce humaine, il se pourrait bien que, de notre réaction commune, naisse un véritable lien entre tous les hommes. Le combat pour la survie de l’humanité ne peut être mené que grâce à un mouvement concerté de toutes les nations. »
Le « Message de Menton » ainsi nommé parce qu’il fut rédigé au cours d’une réunion qui s’est tenue dans cette ville française a été diffusé parmi les biologistes et les spécialistes de l’environnement en Europe et en Amérique du Nord, ainsi qu’en Afrique, en Asie et en Amérique du Sud. La réunion de Menton avait été convoquée par un nouveau mouvement volontaire pour la paix, non gouvernemental et international, qui porte le nom de « Daï Dong » à la lettre, « monde du grand ensemble » , concept né voilà plus de vingt-cinq siècles dans la Chine d’avant Confucius.
Parmi les 2 200 signataires du Message de Menton, on trouve quatre Prix Nobel (Salvador Luria, Jacques Monod, Albert Szent-Gyorgyi et George Wald) et d’illustres noms du monde scientifique, tels ceux de Jean Rostand, Sir Julian Huxley, Thor Heyerdahl, Paul Ehrlich, Margaret Mead, René Du- mont, Lord Ritchie-Calder, Shutaro Yamamoto, Gerardo Budowski, Enrique Beltran et Mohamed Zaki Barakat.
En dépit des distances, de la diversité des cultures, des langues, des conceptions de la vie, des appartenances religieuses et politiques, nous sommes tous aujourd’hui également menacés. Jamais les hommes n’ont affronté jusqu’ici un péril dont la gravité et l’ampleur relèvent de la conjugaison de plusieurs phénomènes. Chacun d’eux suffirait déjà à lui seul à créer des problèmes insolubles ; tous à la fois, ils signifient que les souffrances humaines vont terriblement s’aggraver dans un proche avenir et que toute vie s’éteigne ou risque de s’éteindre sur la planète.
Nous, biologistes et écologistes, ne débattrons pas de l’efficacité des solutions particulières à ces problèmes, mais nous tenons à dire que nous sommes convaincus qu’ils existent, qu’ils sont planétaires et interdépendants, et qu’ils peuvent être résolus si, écartant nos mesquins et égoïstes intérêts, nous visons à satisfaire les besoins de tous les hommes.
Redoutables problèmes
Détérioration de l’environnement :
La qualité du milieu où nous vivons se dégrade à un rythme sans précédent. Ce phénomène est plus apparent dans certaines parties du monde que dans d’autres et, dans certaines régions, la sonnette d’alarme a déjà retenti, alors que dans d’autres, la dégradation du milieu semble encore lointaine et, dans l’immédiat, ne préoccupe personne. Mais, en fait, le milieu est indivisible. Ce qui affecte la partie affecte le tout.
L’exemple le plus largement répandu de ce processus est l’envahissement du cycle alimentaire par des substances nocives telles que le mercure, le plomb, le cadmium, le DDT et d’autres composés chlorurés ; en effet, ces substances se sont révélées dans les tissus d’oiseaux et d’animaux qui vivent très loin des zones où elles ont été employées. Résidus pétroliers, déchets industriels, effluents de toutes sortes ont pollué à peu près toute l’eau douce, comme toutes les eaux des rivages maritimes sur tout le globe. Quant aux eaux usées et aux résidus organiques, la quantité en est désormais trop grande pour que le recyclage naturel en permette le réemploi. Un couvercle de lourds nuages de fumées industrielles pèse au-dessus des villes et les polluants transportés par les vents détruisent des arbres à des centaines de kilomètres de la source de pollution.
Plus alarmantes encore, certaines expériences technologiques nouvelles (par exemple, les transports supersoniques et la prolifération des centrales d’énergie atomique), lesquelles négligent absolument les effets possibles qu’elles peuvent avoir à long terme sur l’environnement.
Diminution des ressources naturelles :
Notre Terre n’est pas sans limites et ses ressources, pour une part, s’épuisent. Néanmoins, la société industrielle gaspille ces ressources non renouvelables et exploite à tort et à travers celles pouvant être renouvelées ; elle exploite les ressources de certains pays sans se soucier de dépouiller les populations, ni des besoins des générations à venir.
La Terre manque déjà de certains produits d’importance décisive pour une société technologique et l’on s’occupe d’extraire des minerais du fond des océans. Mise en oeuvre qui non seulement exigera une masse énorme d’argent et d’énergie (et la quantité de combustibles producteurs d’énergie est limitée), mais qui ne devrait pas être entreprise sans minutieuses études préalables des possibles effets sur la vie de la faune et de la flore marines, lesquelles font également partie de nos ressources naturelles et constituent une source de nourriture riche en protéines.
Presque la totalité de la terre arable, bien irriguée et fertile de notre planète est aujourd’hui exploitée. Cependant, chaque année, surtout dans les régions industrielles, des millions d’hectares sont enlevés à l’agriculture et utilisés comme emplacements industriels, routes, parkings, etc.
Le déboisement, les barrages, la monoculture, l’utilisation incontrôlée des pesticides et défoliants, l’exploitation minière à ciel ouvert et autres pratiques d’exploitation imprudentes, voire stériles, ont contribué à créer un déséquilibre écologique dont les effets catastrophiques se sont manifestés dans certaines régions et qui, à long terme, pourraient gravement compromettre la productivité dans de vastes régions du monde.
Même dans les meilleures conditions, la Terre ne peut fournir assez de ressources pour assurer à tous les hommes le niveau de consommation dont peuvent bénéficier la plupart des habitants des sociétés industrielles, et le contraste entre les modes de vie fondés ici sur l’extrême pauvreté, là sur l’abondance, restera motif de conflits et de révolutions.
Population, surpeuplement et faim :
Il y a aujourd’hui trois milliards et demi d’hommes sur la Terre. Compte tenu des programmes de contrôle des naissances et de leur éventuelle réussite, il y en aura 6 milliards et demi en l’an 2000. Actuellement, 2/3 de la population mondiale souffrent de la malnutrition ; la famine menace en dépit de quelques progrès institutionnels. La pollution et le déséquilibre écologique altèrent déjà certaines sources de nourriture, et ce qu’on entreprend pour améliorer le niveau alimentaire est souvent cause additionnelle de pollution.
L’homme a besoin d’espace et, jusqu’à un certain point, de solitude (qu’il est certes malaisé de quantifier). Nous ne vivons pas seulement de pain ; même si la technologie assurait à tous assez de nourritures synthétiques, le surpeuplement aurait vraisemblablement des conséquences sociales et écologiques désastreuses.
Guerre :
Jamais il n’y eut dans toute l’histoire d’activité plus universelle ni plus universellement condamnée que la la guerre ; on a cherché sans relâche des armes toujours plus destructrices, des procédés d’extermination toujours plus efficaces. Aujourd’hui que nous avons découvert l’arme des armes, nous hésitons à l’employer, mais la peur ne nous empêche pas de bourrer nos arsenaux de tant d’armes nucléaires que toute vie pourrait être effacée de la terre, pas plus que d’expérimenter des armes chimiques et biologiques, en laboratoire ou dans une zone d’opérations militaires. Pas davantage, de nous retenir de faire de « petites » guerres, ou de nous livrer à des actes d’agression susceptibles d’entraîner une guerre nucléaire.
Même si finalement la guerre totale est évitée, on gaspille à la préparer des ressources naturelles et humaines indispensables à loger et nourrir les populations déshéritées et à sauver notre milieu naturel. Il est clair que l’agressivité propre à l’homme n’est pas une explication satisfaisante. Car les hommes ont réussi parfois à créer des sociétés stables et à peu près pacifiques, en certaines régions géographiquement limitées.
Aujourd’hui, le péril d’une guerre totale semble tenir à deux éléments :
- d’une part, l’inégalité existant entre régions industrialisées et régions non industrialisées, et la volonté qu’ont des millions de déshérités d’améliorer leur sort ;
- d’autre part, les luttes et rivalités pour le pouvoir et les privilèges économiques entre Etats nationaux, qu’aucun système international ne tient en bride, et qui ne veulent pas renoncer à leurs intérêts particuliers en faveur de la création d’une société plus équitable.
En ces termes, le problème semble pratiquement insoluble. Par le passé cependant l’humanité a fait preuve d’un ressort, d’une adaptabilité insoupçonnés. Et, affrontant ce qui pourrait bien être un ultime défi de survie, elle dissipera une fois de plus nos craintes.
Que faire ?
Nous ne venons d’énumérer que quelques-uns des problèmes auxquels nous sommes confrontés et nous n’en avons qu’à peine indiqué les causes. Nous ignorons en fait l’ampleur et de nos problèmes et des solutions à y apporter. Mais nous savons que la terre et tous ses habitants sont mal en point, et que nos problèmes se multiplieront si nous négligeons de les résoudre.
Dans les années 40, quand fut décidée la fabrication de la bombe atomique, les Etats-Unis ont, pour y parvenir en deux ans, investi deux millards de dollars et mis à l’oeuvre des spécialistes du monde entier. Dans les années 60, les Etats- Unis ont dépensé de 20 à 40 milliards de dollars pour gagner la course vers la Lune, et l’Union Soviétique comme les Etats-Unis continuent à dépenser des milliards de dollars dans l’exploration spatiale.
Or, il est certain que les immenses recherches à propos de la survie de l’humanité l’emportent de loin sur la recherche atomique ou spatiale. Il faut les entreprendre sans délai, à même échelle, et avec une conscience plus aigüe de leur caractère d’urgence. De telles recherches devraient être assurés par les nations industrielles qui sont non seulement les plus capables d’en assumer la charge financière, mais qui sont de plus les principaux usagers des ressources naturelles comme les principaux coupables de pollution. Cependant ces recherches devraient être menées par les hommes vraiment qualifiés de leur pays, de toutes professions travaillant libres de toute entrave imposée par des politiques nationalistes.
Telle est la gravité de la crise, que nous en appelons à l’action en même temps qu’à la recherche. Il ne s’agit pas d’une panacée, mais d’opérations-freins, afin que la situation ne se détériore pas irrémédiablement.
- Différer l’application des innovations technologiques dont nous ne sommes pas en mesure de prévoir les effets, et qui ne sont pas indispensables à la survie de l’humanité : ce qui inclurait les nouveaux types d’armement, les transports superfétatoires, les nouveaux pesticides dont les effets sont inconnus, la fabrication de nouvelles matières plastiques, l’implantation de grands complexes d’énergie atomique, etc. A quoi il faut ajouter les grands travaux dont les conséquences écologiques n’auraient pas été préalablement étudiées, les barrages, la « récupération » des jungles, les plans d’exploitation minière sous-marine, etc.
- Appliquer les techniques existantes de contrôle de la pollution à la production d’énergie et à l’industrie en général ; recycler largement certains matériaux pour éviter d’épuiser certaines ressources ; établir rapidement des accords internationaux sur la qualité de l’environnement, accords sujets à révision au fur et à mesure que seront mieux connus les besoins ; travailler à freiner l’augmentation démographique dans le monde entier, en prenant garde de ne pas attenter aux droits civils. Il faut que de tels pro¬ grammes soient assortis d’une baisse du niveau de la consommation des classes privilégiées, et que soit assurée une répartition plus équitable des ressources.
- Trouver, quelles que soient les difficultés des nations, à établir des accords, un moyen d’abolir la guerre, de désamorcer les armes atomiques, et de détruire les armes chimiques et biologiques. Les conséquences d’une guerre globale seraient immédiates et irréversibles : aussi est-il du devoir des individus et des groupes de refuser toute participation à des recherches ou entreprises qui aboutiraient à l’extermination de l’espèce humaine.
Il nous faut voir désormais la Terre, qui nous semblait immense, dans son exiguïté. Nous vivons en système clos, totalement dépendants de la Terre et dépendant les uns des autres, et pour notre vie et pour la vie des générations à venir. Tout ce qui nous divise est infiniment moins important que ce qui nous lie et le péril qui nous unit. Nous croyons vrai, à la lettre, que l’homme ne gardera la Terre pour foyer que si nous écartons enfin ce qui nous divise.
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