View this website in

Les anges de l’été


Dans cet article, soeur Bồ Đề nous relate les joies et défis qu’elle a connus l’été 2023 lors du programme enfants de l’EIAB (Institut Européen du Bouddhisme Appliqué) en Allemagne.

En regardant les deux feuilles dorées et rouges une dernière fois, je les déposai dans une enveloppe, mon cœur débordant d’affection. Et, soudain, un sourire éclôt en moi quand revinrent à ma mémoire les mots innocents qui m’étaient parvenus un beau matin : “Aujourd’hui, c’est mon premier jour d’école. Mon école est à Bilthoven. Chaque matin et chaque après-midi, je pédale 2,5 kilomètres pour y aller. …” Voilà l’un de mes bons souvenirs du programme enfants de l’été dernier à l’EIAB en Allemagne.

La plupart des jeunes enfants allemands et hollandais ne parlaient que très peu l’anglais, et ces différences linguistiques ont généré de nombreuses histoires de larmes et de rires !

“ Que cherches-tu ? ”

Un jour, alors que j’étais debout dans le corridor en train de nettoyer, une petite fille bondit vers moi, l’air confus. “ Que cherches-tu? ” lui demandai-je. M’ayant naturellement répondu en allemand, elle remarqua mes yeux ronds et perplexes, ce qui lui donna un air encore plus perdu. Par chance, un volontaire est passé pile au bon moment pour nous extraire de ce moment de confusion. En suivant la direction dans laquelle l’enfant courait, j’ai compris qu’elle cherchait les toilettes. Tout ce que j’ai pu faire fut de placer ma main sur le front et secouer la tête, ne sachant si je devais pleurer ou rire.

Les premiers jours du programme enfants, ma seule contribution possible était ma présence ; et quand je regardais les enfants rire, parler, partager, j’étais heureuse, même sans rien comprendre. Chaque enfant était tel une fleur, rayonnant de sa propre couleur. Puis, peu à peu, j’ai pu mémoriser le prénom de chaque enfant et repérer qui parmi eux parlait anglais. S’il y avait des choses importantes à communiquer, je pouvais donc demander à ces enfants de m’aider à traduire.

Cela a vraiment exigé un grand effort, des deux côtés. Il fallait que je m’exprime de la façon la plus compréhensive possible et que, de leur côté, les enfants écoutent très attentivement pour ensuite trouver la manière de transmettre mes mots aux autres. Il nous arriva parfois de tous nous gratter la tête et les oreilles ! Mais nous étions si heureux dès que nous parvenions à nous comprendre !

Il arrivait aussi que les enfants me ‘parlent’ en agitant pieds et mains et que, malgré tout, je reste confuse ; les enfants venaient alors avec une dernière solution : “Suis-nous !” Tout excités, ils me guidaient vers leurs nouvelles découvertes au sein de ce mammouth qu’est le bâtiment de l’EIAB. Après avoir gravi près d’une centaine de marches, grimpé plusieurs étages, nous parvenions à l’escalier menant au grenier du bâtiment, où l’exploration des passages secrets pouvait commencer…

L’amour nous renforce

En réalité, c’est en dehors du programme établi que je parvenais le mieux à vraiment tisser un lien avec les enfants ; quand nous jouions au ping-pong, tapions dans un ballon, quand nous allions à la balançoire, faisions des bulles ou encore quand nous allions voir les lapins et les ânes chez le voisin. Pour ces moments, j’invitais aussi les parents à nous se joindre à nous.

Regardant les enfants jouer l’après-midi, je n’avais pas envie de les quitter, même si je savais que j’avais besoin d’un peu de repos. Je laissais alors mes yeux se fermer et se détendre, là, parmi les enfants, tout en écoutant leurs rires qui, à mes oreilles, résonnaient comme des chants d’oiseaux. Un jour, un enfant plaça un doigt sur ses lèvres en disant “Chut…”; le groupe se tut et écouta. Puis j’entendis un autre enfant dire : “Soeur Bồ Đề dort”. Nous connaissons la nature de l’enfant : ils ne gardèrent le silence que quelque secondes avant que l’excitation reprenne le dessus !

Ce fait m’amena à m’interroger : “Comment se fait-il que les enfants ont autant d’énergie ? Peuvent-ils courir et jouer ainsi toute la journée sans jamais se fatiguer ? Est-ce parce qu’ils ne s’inquiètent pas encore et ne s’affligent pas comme le font les adultes ? En regardant les sourires éclatants sur ces visages angéliques et sains, j’ai soudainement ressenti un pincement au cœur en pensant qu’un jour, ce regard insouciant et innocent disparaîtrait. Je sais que c’est une loi incontournable de la vie et que traverser les difficultés les aidera à grandir et gagner en maturité, mais ce n’était pas ce que je leur souhaitais.

Peu de personnes peuvent traverser les tempêtes sans que la douleur les flétrisse un peu. Auront-ils le courage de panser les blessures de leurs yeux et regarderont-ils encore la vie avec joie ? Il se peut que le souvenir de leur semaine au Village des Pruniers ne sera qu’une simple goutte de pluie à la surface de l’océan, se répandant quelque peu avant de se faire balayer par les vagues émotionnelles de la vie. Peu importe car, à chaque occasion, je fais tout ce qui est en mon pouvoir pour planter les graines de joie et d’amour inconditionnel en leurs coeurs.

J’ai confiance que même les plus petites choses ne seront jamais perdues une fois confiées à l’océan de la conscience. Je forme le voeu que dans les moments où ils se sentiront perdus et démunis, ils pourront se rappeler ce lieu où ils peuvent toujours prendre refuge. Avec ma pratique, je maintiendrai vivant ce lieu et mon coeur ouvert, afin d’accueillir les enfants.

Je me tiens ici, le cœur patient,
mes mains se transformant en pierre, j'attends.
Cent années, mille années
balayées par le dôme du ciel.
Que soient les vents, que viennent les pluies,
le flambeau de l'amour brûle doucement
dans le jardin de l'humanité.

Tel est l’amour, mais je devais parfois apprendre à dire “non”. Je me souviens du jour où un enfant est accouru vers moi durant une activité du programme en me demandant : “Soeur, je peux aller jouer au ping-pong?” Ce n’était pas facile d’être ferme en voyant ces yeux étoilés et ce joyeux visage : “Pas maintenant. Attendons la fin de la session, puis je t’y emmènerai.” Après m’avoir suppliée un moment et constatant que je restais inébranlable, l’enfant repartit tranquillement à ses crayons et feuille de dessin, un petit air déçu sur le visage.

Généralement, je partageais avec mes soeurs et frères aînés les souhaits que m’exprimaient les enfants. Si personne n’approuvait, alors j’abandonnais l’idée moi aussi car je suis ici pour soutenir mes grands frères et soeurs, non pour leur rendre les choses plus compliquées qu’elles ne sont. Certains enfants en sortaient parfois attristés, mais il en fallait pas plus d’une heure avant de les voir retrouver le sourire et leurs jeux, comme si de rien n’était. C’est une qualité que j’admire beaucoup chez les enfants. C’est comme si, avançant en âge, nous perdons cette faculté de lâcher prise ; nous nous accrochons inutilement à nos opinions et à nos émotions.

Il arrivait aussi que les enfants disent “non” à certaines activités du programme. Certains n’étaient pas intéressés par les sorties en forêt et refusaient d’y participer. Ces moments-là constituaient un véritable défi pour moi. Le jour où j’y fut confrontée, j’hésitai : “Nous ne pouvons pas forcer les enfants contre leur volonté. Mais nous devons aussi respecter le programme établi.” Je pris donc la décision d’aller en forêt avec le groupe et, passant à côté des enfants qui refusaient, je ne pus m’empêcher de culpabiliser, avec l’impression de les laisser de côté. J’ai donc choisi de marcher très lentement, en regardant plusieurs fois derrière moi, pour voir si les enfants avaient changé d’avis. Et si mon coeur palpitait un peu, je retournais à ma respiration et à mes pas pour stopper le vagabondage de mes pensées et être présente à la sérénité environnante et aux enfants qui marchaient avec moi. Et cela peut paraître étrange mais c’est là que j’ai réalisé que, si les enfants ne voulaient pas nous accompagner dans les bois, c’est qu’ils avaient peur ; peur de la distance, de la chaleur, de la fatigue ou juste qu’ils n’aimaient pas marcher.

Nous étions déjà à mi-chemin mais je fis demi tour et repartit à grandes enjambées, dans l’espoir que mes petits anges ne se soient pas encore ‘envolés’. En m’approchant, je pouvais entendre le bavardage des enfants et je m’en réjouis secrètement. Les enfants furent surpris de me voir : “Soeur, vous n’allez pas en forêt?” Souriante, je leur répondis : “Si, j’y suis allée et j’ai vu que c’est un très bel endroit ; avec un lac, un ruisseau avec de l’eau claire et fraîche, que l’on peut boire. Alors, je me suis dit que vous auriez peut-être envie de venir aussi. C’est pour cela que je suis là.” Les enfants se regardèrent avec curiosité. Super ! Comme ils semblaient s’adoucir, j’ai fait un dernier pas et, d’une voix apaisante, je leur dis : “Venez voir par vous-mêmes et, si vous fatiguez, je vous ramènerai ici.” Ils dirent oui ! C’est ainsi que démarra le programme de marche en forêt pour les enfants et moi.

J’ai donc marché et parlé avec les enfants, vérifiant régulièrement leur état de fatigue. Je me suis ainsi aperçue que c’est en raison d’idées préconçues qu’ils ne voulaient pas aller en forêt. à l’approche de notre destination, le silence de la forêt a fait émerger un peu d’anxiété en moi. Où étaient-ils tous ? Comment allais-je les retrouver dans cette vaste forêt ? Fort heureusement, nous avons rencontré un frère qui allait chercher de l’eau et qui nous dit que les enfants étaient en train de jouer plus en avant dans les bois. Et j’entendis en effet des sons au loin. Dès lors, la réponse du frère et la sérénité de la forêt se mêlèrent au bruissement du ruisseau, empli d’eau pure et douce, formant un silence de paix et de bien-être dans l’âme du voyageur.

“Soeur, l’eau du ruisseau est délicieuse !” Cette jeune voix d’ange me fit rire et j’entraînai les enfants au sommet de la colline d’un pas insouciant. à l’arrivée, ils rejoignirent bien vite la bonne humeur des autres petits anges. C’est alors que ma soeur aînée me questionna : “Comment as-tu fait pour les convaincre de te suivre?” Contemplant le hamac balancer fortement sous le poids des anges, je répondis : “Disons que j’imagine qu’ils m’aiment et m’ont suivie. Et je leur avais promis de les ramener s’ils fatiguaient.” Sans bonne communication préalablement établie avec les enfants, il m’aurait semblé difficile d’y parvenir, quels que soient les moyens habiles déployés. Et, en moi-même, je me dis “Les anges adorent s’asseoir dans les hamacs ; la prochaine fois que nous irons en forêt, j’en emporterai davantage”.

L’enfant ‘très difficile’ peut aussi être triste

Je me suis aperçue de ma capacité à aimer les enfants de manière égale, qu’ils suivent nos guidances facilement ou non. Parmi les enfants présents à ces deux semaines de retraite en Allemagne, deux petites filles étaient incroyablement énergiques, intelligentes et… super désobéissantes. Elles mettaient en place toutes sortes de jeux pour jouer, détruire et défier tout le monde et, pour être honnête, je n’osais les regarder qu’en me tenant à distance, je n’avais pas le courage de m’en approcher et de jouer avec elles.

Un après-midi, alors que je jouais au volant avec mes frères et soeurs, ‘super vilaine numéro 1’ s’approcha et murmura : “Soeur, tu joues avec moi?”. A voir sa moue, je comprenais qu’elle était triste parce qu’elle avait dû dire au-revoir à son amie ‘super vilaine numéro 2’ qui était rentrée chez elle. Je me retournai et lui demandai, d’une voix affectueuse, “D’accord, à quoi veux-tu jouer ?” En jouant avec elle, je me suis aperçue qu’elle était une petite fille très sensible sur le plan émotionnel. Et quand elle a senti l’amour des frères et soeurs, elle se montra plus à l’aise et tranquille qu’auparavant. Cette expérience m’a appris que, quel que soit le degré d’apparente méchanceté d’un enfant, il y aura toujours une possibilité qu’il change, si nous lui offrons suffisamment d’inclusivité, d’accueil et d’acceptation.

L’avenir du monde repose dans les mains des petits anges

Lors d’une matinée tranquille, le soleil doré se mit à peindre les feuilles du mûrier et le toit de la salle de méditation. Les rayons du soleil sautillaient partout au coeur du chant des petits oiseaux. Dans le calme, je savourais ce paysage qui s’offrait à mes yeux quand, tout à coup, une pensée émergea : si à l’avenir les gens n’apprécient plus la valeur de la vie spirituelle et que la société s’oriente vers davantage de consommation, ce cadre naturel et paisible pourrait disparaître et la salle de méditation se transformer en supermarché. C’est alors que j’ai pensé aux petits anges.

Outre leur fraîcheur et leur innocence, les enfants portent aussi en eux les graines de peur, de violence, de colère et de désespoir. Qu’ils soient anges ou non dépend de la manière dont sont arrosées les graines au sein de leur conscience. Si j’arrose les graines d’amour pour la nature et la vie, alors les enfants connaîtront la douleur engendrée à la vue d’un arbre abattu, ils parviendront à laisser sortir tranquillement la pauvre abeille qui s’est perdue dans la maison, ils marcheront d’un pas paisible afin de ne pas écraser l’escargot qui traverse la route…

Je leur transmets la graine d’amour grâce à mes sourires, mes yeux, mes paroles et mon comportement. Je fais tout ce qu’il convient de faire pour que, demain, quand je serai vent et nuage, je puisse sourire paisiblement. Parce que je sais que les anges poursuivront la mission d’apporter l’amour sur terre.

Que l’avenir du monde soit radieux ou non va dépendre de la façon dont nous traitons un enfant dans le moment présent. Il existe de nombreuses manières de protéger la Terre Mère et l’une des façons les plus concrètes est de prendre soin de vos enfants et petits-enfants, avec tout votre amour et votre conscience.


Continuez à lire

/ Register

Cacher le transcript

What is Mindfulness

Thich Nhat Hanh January 15, 2020

00:00 / 00:00
Montrer Cacher le transcript Fermer