Soeur Chân Không

Sister Chan Khong - Magnolia portrait

Soeur Chân Không est la première disciple du maitre Zen Thich Nhat Hanh à avoir reçu la pleine ordination, et la directrice de ses projets humanitaires depuis les années 60.

Née en 1938 dans la provinde de Ben Tre au Vietnam du Sud, Soeur Chân Không commença dès l’adolescence le travail social dans les bidonvilles. Après sa rencontre avec le maitre Zen Thich Nhat Hanh en 1959, elle l’aida à mettre en place l’Ecole de la Jeunesse pour le Service Social, formant des milliers de jeunes travailleurs sociaux afin d’apporter de l’aide aux villages reculés, dévastés par la guerre.

Elle organisa la Délégation Bouddhiste pour la Paix qui participa aux Rencontres pour la Paix à Paris en 1969. Dans les années 70, elle assista Thich Nhat Hanh dans ses cycle internationaux de conférence appelant pour la paix. Sa présence a eu une importance fondamentale dans la direction des efforts humanitaires mis en place afin de secourir les “boat people” vietnamiens en haute mer, ainsi que pour la gestion des programmes de soutien dont ont bénéficié plus de 14 000 orphelins au Vietnam.

Depuis les années 80, Soeur Chân Không  aide Thich Nhat Hanh à établir le monastère du Village des Pruniers dans le sud-ouest de la France, et elle est à présent l’ainée de la Sangha monastique internationale du Village des Pruniers.

Les profondes pratiques de pleine conscience qu’elle a créée et développées (et qu’elle nomme “travail social du coeur”) ont apporté la réconciliation et la guérison à de nombreux couples, familles, communautés et lieux de travail à travers le monde.

La biographie de Soeur Chân Không, La Force de l’Amour, est  l’histoire remarquable de la quête d’une femme pour un changement social et spirituel.

«Avec quelques autres précieuses héroïnes politiques et spirituelles bouddhistes inspirantes, Chân Không est l’une des personnes les plus compatissantes, les plus persistantes et les plus courageuses. Son livre a le rythme et la vivacité d’une histoire d’aventure et la profondeur d’une enquête spirituelle. “
-Tricycle

La vie et les enseignements de Sœur Chan Khong

Elle est surtout connue comme la collaboratrice inestimable de Thich Nhat Hanh, mais Sœur Chan Khong est aussi une activiste dévouée et une enseignante talentueuse à part entière. Andrea Miller raconte son histoire extraordinaire.


Photo de David Nelson.

La mort  imprégnait tout le voyage. Les victimes des inondations que les secouristes volontaires étaient venus aider étaient soit sur le point de mourir – affamés, frissonnants et sans-abri – soit déjà morts, gonflés et pourris. Les volontaires eux-mêmes étaient en danger. Ils savaient qu’à tout moment ils pourraient être tués dans les tirs croisés.

C’était le Vietnam, 1964. Le pays était déjà en guerre et maintenant il se retrouvait écrasé par le désastre, une inondation ! Dans les zones de conflit, mes gens avaient été durement touchés, mais personne n’avait osé venir à eux pour leur apporter une aide matérielle. Personne d’autre que cette petite équipe de bénévoles, dont Cao Ngoc Phuong, mieux connue aujourd’hui sous le nom de Sœur Chân Không, et son maître, le maître zen Thich Nhat Hanh.
Pendant cinq jours, les volontaires distribuèrent la nourriture dans leurs sept bateaux chargés. Puis, quand ils quittèrent la région, les jeunes mères les suivirent, les suppliant d’emmener leurs bébés parce qu’elles ne voyaient pas d’autre espoir pour leurs enfants. Aujourd’hui encore, Chân Không se souvient d’avoir pleuré – son cœur se brisant pour les mères et les bébés. Elle ne pouvait pas les prendre avec elle.

Plus tard, Soeur Chân Không organisa d’autres voyages dans lesquels elle et des groupes d’étudiants, de moines et de moniales se rendaient dans des régions pauvres et éloignées pour distribuer du riz, des haricots, des vêtements, des ustensiles de cuisine et des fournitures médicales. Un jour, dans un village où les combats étaient particulièrement brutaux, les volontaires s’installaient pour dormir sur leur bateau quand ils entendirent des coups de feu et des cris. Beaucoup de jeunes volontaires ont paniqué et certains d’entre eux ont même tenté d’éviter les balles en sautant dans la rivière. Mais Chân Không se tînt debout – respirant profondément pour trouver le calme. Cela a calmé la panique des autres et tout le groupe s’est réuni. Dans cette nuit noire au milieu de la guerre, ils chantaient le Sûtra du Cœur.

“On peut même dire que sa vie elle-même est un enseignement.”

Aujourd’hui, sœur Chân Không compte plus de cinquante ans de travail en étroite collaboration avec Thich Nhat Hanh. Il est maintenant un auteur à succès qui a des disciples dans le monde entier, et elle est reconnue comme une force majeure qui l’aide à développer sa communauté. Mais Sœur Chân Không est une enseignante à part entière et on peut dire que sa vie elle-même est un enseignement.

Renouveau

Dans sa communauté, Chân Không est bien connue pour diriger la pratique du Renouveau. Processus en quatre étapes, c’est une occasion de se regarder profondément et honnêtement et de travailler sur nos relations grâce à la communication consciente. La première étape consiste à exprimer notre appréciation pour la personne à qui nous parlons ; la seconde à reconnaître toute action malencontreuse que nous avons commise envers elle ; la troisième à révéler comment elle nous a blessé ; et la quatrième à partager une difficulté que nous renconttrons et à demander de l’aide. Au Village des Pruniers, le centre de pratique où réside soeur Chân Không, le Renouveau est pratiqué collectivement toutes les deux semaines et individuellement aussi souvent que nécessaire. Soeur Chân Không exhorte les laïcs à pratiquer chez eux.

“Pratiquez le renouveau pour rafraîchir votre relation avec vos enfants”, dit-elle. “Même quand ils ont cinq ans, les enfants ressentent de la douleur”, et souvent les parents ne sont pas conscients de la façon dont ils blessent leurs enfants. Par exemple, dit soeur Chan Khong, peut-être qu’une mère a blessé les sentiments de son fils en lui disant qu’elle n’achètera pas le jouet qu’il veut. Si, en pratiquant le Renouveau, elle donne à son fils l’occasion d’exprimer sa blessure, la mère saura lui expliquer pourquoi elle ne peut pas se permettre d’acheter le jouet. Alors le garçon comprendra et le ressentiment ne s’accumulera pas entre eux.
Dans les relations amoureuses, le Renouveau peut être inestimable. Fréquemment, dit soeur Chân Không, les gens sont déçus de leurs partenaires. Au début de la relation, une femme voit son compagnon doté de beaucoup de qualités merveilleuses et elle suppose qu’il a  les autres qualités qu’elle trouve désirables.

Mais à mesure que le temps passe, elle remarque tout ce en quoi il diffère de son idéal. “Cela ne signifie pas qu’il n’est pas bon”, dit soeur Chân Không. “Peut-être qu’elle a pensé qu’il était un magnolia et se comporterait comme tel. Mais il est en fait un lotus. Il est toujours beau à sa manière. “” Quand tu le demandes gentiment à ton partenaire, il révélera ses blessures, et plus il se révèlera, plus tu l’accepteras tel qu’il est – avec son éducation, sa culture, sa façon d’être – et plus il t’acceptera aussi », dit-elle. “Vous vous rapprocherez et soudainement vous ne serez plus deux, mais un. Vous serez entré dans le monde l’un de l’autre. Donc, le Renouveau est un moyen de rendre votre relation bonne avec votre partenaire, vos enfants, vos parents. “

Toucher la Terre et la relaxation totale

Frère Phap Hai, un moine australien dans la tradition du village des pruniers, dit qu’en plus du Renouveau, la Relaxation Totale les Trois touchers de la terre  et les cinq touchers de la terre sont des portes importantes du Dharma pour sœur Chân Không. La relaxation totale est pratiquée assise ou couchée et c’est un excellent moyen de reposer le corps et l’esprit. Le Toucher la terre, une série de méditations que Thich Nhat Hanh a développées, est basée sur la pratique traditionnelle de prostration bouddhiste.

«Tous les enseignants du dharma», explique Phap Hai, «apprennent les pratiques de base, le cadre de base. Ensuite, nous sommes encouragés à nous approprier le Dharma, à permettre au Dharma de s’exprimer à travers nous. Et Sœur Chân Không le fait magnifiquement. Un exemple est sa belle voix chantante, qu’elle offre de manière très détendue. Elle a aussi une grande habileté pour l’improvisation. Pour le Toucher la Terre ou la Relaxation Totale, elle va sentir l’énergie dans la pièce ou quelque chose qui s’est passé, et elle va répondre à ça. Elle donne un enseignement du Dharma vivant. C’est ainsi qu’elle exprime sa compassion.

Phap Hai dit que soeur Chân Không ne dit jamais non quand quelqu’un lui demande quelque chose. “Je ne l’ai jamais vue fermer son coeur”, dit-il. “Pour moi, c’est une des qualités que j’admire le plus chez elle, et que je veux développer en moi aussi. Parfois je me sens fatigué et même si je ne dis pas non à une demande, il y a une énergie de non en moi. Mais Sœur Chân Không est toujours là pour les gens, et d’une manière si aimante. “

Vie de Sœur Chân Không au Vietnam

Sœur Chân Không est née en 1938 dans un village du delta du Mékong, une terre luxuriante de rizières et de cocoteraies. Ses parents étaient, selon ses mots, comme des chênes qui abritaient vingt-deux «oiseaux» – neuf enfants, plus douze nièces et neveux et une fille d’une famille pauvre. “Mère et Père se souciaient de nous tous de la même manière”, écrit Soeur Chân Không dans sa biographie, la Force de l’Amour. “Nourrir vingt-deux bouches était une contrainte, mais on nous a appris à être satisfaits et  à partager tout ce que nous avions.”

Son père louait des terres à des agriculteurs. Pourtant, chaque fois qu’il y avait une sécheresse ou une inondation, il renonçait au loyer. Il aidait aussi les agriculteurs à acheter leurs propres terres et il leur donnait parfois de l’argent pour soutenir leurs enfants. La mère de soeur Chân Không était également généreuse. Elle accordait des prêts aux pauvres pour créer leur propre entreprise et elle ne demandait de rembourser que s’ils avaient réussi,.

Un jour, au début de son adolescence, Chân Không a attrapé un petit garçon en train de fouiller ses poches. Il lui a dit qu’il n’avait pas d’autre choix. Sa mère le battait chaque fois qu’il rentrait les mains vides. “Où est ton père?” demanda Chân Không, mais le garçon dit qu’il n’avait pas de père. Puis, le suivant à sa maison dans les bidonvilles, elle lui a posé des questions sur sa scolarité. “Nous n’avons pas assez à manger”, lui dit-il. “Comment pourrais-je aller à l’école?”

Soeur Chân Không décida de trouver un moyen d’aider les familles pauvres telles que celle du petit garçon. Mais puisque sa propre famille était – comme elle dit – «pas si riche, pas si pauvre», elle n’a pas demandé de l’argent à ses parents. Au lieu de cela, étant douée académiquement, elle a recueilli des fonds en donnant des leçons particulières à des étudiants riches qui avaient des difficultés en mathématiques. Puis, après s’être inscrite à l’Université de Saigon, elle a diversifié ses efforts humanitaires.

Soeur Chân Không a écrit: «Je savais que si j’allais dans les bidonvilles en tant que jeune femme de la classe moyenne, les gens là-bas sauraient que je n’appartenais pas à leur monde, et ils ne me feraient pas confiance. Ils pourraient même essayer de me convaincre. Donc, j’y suis toujours allée en robe effilochée, prétendant que j’avais un parent vivant là-bas: «Connaissez-vous mon oncle Ba, le chauffeur de pousse-pousse ?» Alors je m’asseyais et écoutais les gens parler de leurs difficultés, et je pensais à des façons de les aider.”

“Vous avez bon cœur”, lui a dit son premier maître bouddhiste. “Avec tout le travail généreux que vous faites, vous renaîtrez dans une famille riche. Peut-être que vous serez une princesse. “Mais soeur Chân Không n’était pas préoccupé par sa prochaine vie, encore moins de la possibilité d’un pedigree royal. Elle se concentrait sur le moment présent : les affamés ont besoin de nourriture, les malades ont besoin de médicaments, et ils en ont besoin tout de suite.

“Vous devez étudier davantage les Écritures et travailler pour devenir éveillée”, poursuivait son maître. “Une fois que vous serez illuminée, vous pourrez sauver d’innombrables êtres.” L’idée était que si elle pratiquait le bouddhisme avec diligence, elle renaîtrait homme dans sa prochaine vie ; alors elle pourrait devenir un bodhisattva, et plus tard encore un bouddha avec des pouvoirs miraculeux. Mais encore une fois soeur Chân Không se sentait aliénée par ces objectifs. Elle ne voulait pas de pouvoirs miraculeux ou être un homme, et pour elle cette illumination sentait à la fois le sexisme et l’insignifiance.

Rencontre avec Thich Nhat Hanh

En automne 1959, Soeur Chân Không eût une conversation avec un éminent moine bouddhiste au cours de laquelle elle posa beaucoup de questions sur le Dharma. Mais il ne répondit à aucune d’entre elles. Au lieu de cela, pour chaque question, il prit un livre de Thich Nhat Hanh – un moine dont soeur Chân Không n’avait jamais entendu parler – et dit: «La réponse à votre question est ici.» Chân Không aurait préféré parler au moine qui se tenait devant elle, mais elle a accepté de lire le livre quand elle aurait le temps. Puis, un mois plus tard, Chân Không a suivi un cours que Thich Nhat Hanh donnait à Saïgon. Impressionnée par la première conférence, elle sentit qu’elle n’avait jamais entendu quelqu’un parler si magnifiquement et profondément.

L’année suivante, soeur Chân Không a commencé à correspondre avec Thich Nhat Hanh. Dans son premier message, il écrivait dans son écriture impeccable à propos du monastère de montagne où il vivait – le bois humide avec lequel cuisinait et le vent froid qui chantait dehors. Dans des notes ultérieures, il répondit à la préoccupation de soeur Chan Khong que la plupart des bouddhistes ne semblent pas se soucier des pauvres et qu’ils considéraient le travail social comme un simple travail de mérite.

Selon Thich Nhat Hanh, il était possible de trouver l’illumination en aidant ceux qui étaient dans le besoin – ou en faisant n’importe quelle autre activité – aussi longtemps que cela se faisait en pleine conscience. Il croyait que le bouddhisme avait beaucoup à apporter à la société, et il promit de soutenir Chan Khong dans ses efforts. Il avait l’intention de rassembler des personnes ayant la même vision et d’établir des villages pour servir de modèles de développement, ainsi que des centres de formation pour les travailleurs de l’éducation, de l’agriculture et des soins de santé.
Thich Nhat Hanh était l’enseignant qu’elle cherchait.

Inspirée par ses enseignements et ses encouragements, Soeur Chân Không s’organisa avec soixante-dix amis pour l’aider dans les bidonvilles de Saigon. Ils soignaient notamment des malades à l’hôpital, organisaient des cours d’alphabétisation pour adultes et, dans des occasions spéciales, offraient à des enfants défavorisés des vêtements, un repas au restaurant ou un voyage au zoo. En même temps, soeur Chân Không continuait à étudier le Dharma avec THich Nhat Hanh. De mai à septembre 1961, elle et une douzaine d’autres ont suivit son enseignement et ils sont devenus les «treize cèdres», une sangha consacrée au changement social.

Pendant ce temps, le régime de Ngo Dinh Diem au Sud-Vietnam se lançait dans une répression religieuse, essayant d’étouffer le bouddhisme et de convertir la population au catholicisme. La situation atteint son paroxysme lorsque le régime interdit le drapeau bouddhiste et la célébration de Vesak, l’anniversaire du Bouddha. Des manifestations pacifiques virent le jour et suscitèrent de violentes repressions. Les autorités ordonnèrent aux chars d’avancer sur les manifestants et torturèrent les instigateurs présumés des manifestations.

Face à cette oppression, un moine nommé Thich Quang Due fit un plaidoyer puissant en faveur de la liberté religieuse: le 11 juin 1963, il s’immola par le feu. “Personne ne m’avait informé qu’il allait le faire”, écrit soeur Chân Không dans La Force de l’Amour, “mais juste au moment où il s’est mis en feu, il se trouve que je conduisais au coin de Phan Dinh Phung et Le Van Duyet Streets sur ma moto, et je l’ai vu assis bravement et paisiblement, enveloppé dans les flammes. Il était complètement immobile, tandis qu’autour de lui certains pleuraient et se prosternaient sur le trottoir. A ce moment, un vœu profond jaillit en moi : moi aussi, je ferais quelque chose pour le respect des droits de l’homme d’une manière aussi belle que Thay Quang Due.”

Un an plus tard, soeur Chan Khong se lança dans les villages expérimentaux qu’elle et Thich Nhat Hanh avaient imaginés. Alors qu’elle terminait son diplome en biologie, Thich Nhat Hanh avait commencé à former des travailleurs sociaux pour contribuer au changement social non-violent et avait été le fer de lance de la fondation du premier village. Pour le second, il a demandé à soeur Chân Không de prendre la tête, et Thao Dien -à huit kilomètres boueux de Saigon – était le lieu choisi. En juillet 1964, soeur Chân Không et une équipe d’autres jeunes travailleurs sociaux ont organisé une réunion avec les villageois pour proposer la construction d’une école.
Le gouvernement aurait financé la construction s’il y avait eu au moins deux cents enfants, mais à Thao Dien, il n’y en avait que soixante-dix-sept. À la grande joie de soeur Chân Không, les villageois acceptèrent de collaborer avec les travailleurs sociaux et de construire l’école eux-mêmes. Certains firent même don de matériaux de construction – feuilles de palmier pour le toit et bosquet de bambou. Parce que les villageois étaient impliqués dans cette école depuis le début, ils en étaient fiers et en prenaient bien soin. En revanche, les écoles construites par le gouvernement au Vietnam avaient souvent besoin de gardes pour prévenir le vandalisme.

Dans les villages expérimentaux, soeur Chan Khong et les autres travailleurs sociaux abordaient également les soins médicaux, l’horticulture et les soins aux enfants. Ces projets étaient couronnés de succès, les travailleurs sociaux respectant les points de vue des villageois et les impliquant dans les solutions trouvées. Les intellectuels de Saigon prirent note des succès et, par conséquent, lorsque Thich Nhat Hanh annonça la création de l’Ecole de Jeunesse pour le Service Social (EJSS), plus de 1000 personnes postulèrent pour une formation. Soeur Chân Không et cinq autres sont devenus ses dirigeants.

Les guerres à l’extérieur et à l’intérieur

Il semblait que le vrai changement était possible, puis les bombes tombèrent – la guerre du Vietnam était en plein et violent chamboulement. Tra Loc, un nouveau village expérimental, fut lourdement endommagé. La EJSS aida les villageois à reconstruire chaque maison, le centre médical, le centre agricole, l’école. Mais encore une fois le village fut bombardé. Cela s’est passé encore et encore – le village a été bombardé et reconstruit, bombardé et reconstruit. La frustration tentait les travailleurs de prendre les armes. La méditation, cependant, les garda calme.
“Les gens pensent que le bouddhisme engagé n’est que du travail social, ne faisant qu’arrêter la guerre”, dit soeur Chân Không. “Mais, en fait, en même temps que vous arrêtez la guerre à l’extérieur, vous devez arrêter la guerre à l’intérieur de vous-même.”

Au cours de sa vie, Sœur Chân Không apprit l’importance de ne pas faire la paix, mais plutôt d’être la paix, d’être compréhensive, d’être amour et d’incarner cette façon d’être vingt-quatre heures par jour. La clé, dit-elle à Lion’s Roar (magazine bouddhiste américain), est de pratiquer la pleine conscience. “Quand votre corps et votre esprit ne sont pas unis, vous ne voyez pas profondément”, dit-elle. “Vous êtes devant votre frère, mais votre esprit est sur beaucoup d’autres choses, alors vous ne voyez pas vraiment votre frère. Peut-être qu’il a des problèmes, mais vous ne le voyez pas, même lorsque vous partagez la même pièce. Mais la pleine conscience vous amène là, dans le présent, et alors vous voyez. Entraînez-vous toute la journée pour apporter votre esprit à votre corps et être présent avec votre nourriture, vos amis, votre travail, tout, parce que plus vous vous concentrez, plus vous verrez.

Cela dit, dit soeur Chân Không, ne vous attendez pas à ce que les idées viennent toutes à la fois. “Peut-être que tu veux aider ton jeune frère qui est attiré par la drogue, mais tu ne peux pas communiquer facilement avec lui. Vous essayez d’être présent avec lui dans le moment mais vous ne voyez toujours pas comment l’aider. “C’est bon, dit Chan Khong. “Si vous vous entraînez à conduire votre voiture dans le moment présent, à marcher dans le moment présent, à préparer votre dîner dans le moment présent, à un moment – peut-être en coupant les légumes – vous aurez la compréhension profonde de la façon dont vous pouvez gérer la situation avec votre lui d’une manière habile. Vous saurez comment toucher ce qui est merveilleux en lui. “

Les préceptes pour les moines ont été formulés à une autre époquqe – il y a plus de deux millénaires – et Thich Nhat Hanh a vu qu’ils avaient besoin d’être révisés. Il a élaboré quatorze nouveaux préceptes, qu’il croyait être à la fois fidèles aux enseignements les plus profonds du Bouddha et adaptés au monde moderne. Puis il a invité soeur Chân Không et les cinq autres dirigeants de la EJSS à les recevoir. Cette ordination a fait de ces six premiers membres de ce que Thich Nhat Hanh appela l’Ordre d’Inter-être, une communauté engagée dans le service et la pleine conscience. Mais cela n’en a pas fait des moines et des moniales à la tête rasée. Thich Nhat Hanh a donné à chaque membre de ce nouvel ordre la possibilité de vivre comme un moine engagé dans le célibat, ou de vivre en tant que bouddhiste laïc avec la liberté de se marier. Les trois femmes ont toutes choisi le célibat, tandis que les trois hommes ont choisi le mariage.

Nhat Chi Mai, une amie proche de soeur Chân Khong, était l’un des six membres originels de l’Ordre de l’Inter-être. Elle était la benjamine protégée d’une famille aisée et elle craignait les conséquences de l’activité politique. Néanmoins – comme soeur Chân Khong – elle a entrepris la tâche dangereuse de répandre la parole de paix. Chi Mai a caché des copies du livre de Nhat Hanh “Un Lotus dans une mer de feu” dans sa Volkswagen et les a livrés aux écoles. Puis, juste un an après avoir pris les quatorze préceptes, Chi Mai plaça devant elle deux statues – l’une de la Vierge Marie et l’autre d’Avalokitesvara – et elle s’immola. Les poèmes et les lettres de Chi Mai exhortait les catholiques et les bouddhistes à travailler ensemble pour la paix et après sa mort, ils ont été largement lus, inspirant beaucoup de gens. Pourtant, pour Chân Không, perdre Chi Mai fut l’un des plus grands chagrins de sa vie.

Ce ne fut cependant pas la seule perte que soeur Chan Khong dût affronter en 1967. Un de ses amis moines a été enlevé cette année-là au village de Binh Phuoc, avec sept autres travailleurs sociaux. Bien que leurs corps n’aient jamais été retrouvés, on présume qu’ils ont été tués; travailler pour les pauvres était considéré comme une activité communiste et les travailleurs sociaux avaient de nombreux ennemis. Seule la chance a empêché soeur Chân Không de ne pas être la neuvième victime. Elle avait été dans le village de Binh Phuoc mais l’avait quitté cette nuit-là pour rendre visite à sa mère.

Quitter le Vietnam

Quand soeur Chân Không embarqua dans un vol vers Hong Kong, elle prévoyait d’être absente pour jours. Elle n’aurait jamais imaginé que cela prendrait près de quarante ans avant qu’elle ne pose de nouveau le pied dans sa patrie.

En 1966, deux ans avant le départ de soeur Chân Không, Thich Nhat Hanh avait également quitté le Vietnam en croyant qu’il ne serait parti que peu de temps. Mais lors d’une conférence à Washington, il présenta une proposition exhortant les Américains à arrêter les bombardements et à offrir une aide à la reconstruction sans aucun lien politique ou idéologique. Le gouvernement nationaliste sud-vietnamien le déclara traître, rendant trop dangereux son retour à la maison. Alors il a déménagé à Paris. En 1968, cependant, il voulait savoir si ses amis et collègues au Vietnam avaient besoin qu’il risque un retour. Était-il plus important pour lui d’être sur le terrain au Vietnam ou d’être à l’Ouest pour promouvoir la paix ? Ce n’était pas quelque chose qui pouvait être abordé librement dans les lettres entrant et sortant de son pays – ils étaient trop surveillés par le gouvernement. Alors Thich Nhat Hanh a demandé à soeur Chân Không de le rencontrer à Hong Kong.

Là, autour d’une tasse de thé, elle lui dit qu’elle avait rencontré en privé des dirigeants bouddhistes au Vietnam et qu’ils avaient été unanimes. Thich Nhat Hanh ne devait pas revenir ; son habileté à communiquer avec l’Occident était trop précieuse. Thcih Nhat Hanh a décidé que pour mieux faire connaître ce qui se passait au Vietnam, il avait besoin d’un assistant. Est-ce que soeur Chân Không serait prête à assumer ce rôle? Au début, elle a dit non – elle avait des responsabilités au Vietnam. Mais après réflexion, elle a décidé que Thich Nhat Hanh avait raison. Elle serait capable d’effectuer plus de changement dans sa patrie en vivant à l’étranger.
En janvier 1969, soeur Chân Không rejoint son maître en France, et ils s’impliquèrent dans l’organisation d’une conférence pour présenter les vues de la majorité sans voix du Vietnam – ces gens qui n’étaient ni communistes ni anticommunistes, qui voulaient simplement la paix. De cette conférence est née la délégation de la paix bouddhiste vietnamienne, dont THich Nhat Hanh a été nommé président. Pour sa part, soeur Chân Không devait aider l’administration, et elle vivait et travaillait dans le modeste bureau de la délégation, loué dans un quartier pauvre de Paris. Les projets qu’ils ont entrepris étaient variés et comprenaient la collecte de fonds pour les orphelins au Vietnam et la production d’un bulletin d’information en français, anglais et vietnamien. Soeur Chân Không voyageait à travers l’Europe et les Etats-Unis pour parler au public de la nécessité d’un cessez-le-feu immédiat.

Finalement, le 30 avril 1975, la guerre prit fin. La souffrance, cependant, n’avait pas cessé. Terrifiés par la domination communiste, les réfugiés ont commencé à tout risquer pour fuir le Vietnam. Si le gouvernement les surprenait en train de s’enfuir, ils étaient soit emprisonnés, soit abattus. S’ils réussissaient à prendre la mer, ils étaient la proie des pirates. Et s’ils atteignaient un rivage étranger, ils étaient souvent renvoyés – leurs bateaux rachitiques repoussés dans l’eau.

“Sur les mers, j’étais intrépide, même face à des pirates, et j’étais même joyeuse parce que je savais que j’allais dans le sens de la beauté.”

Le désespoir de soeur Chân Không était intense. Il semblait n’y avoir rien qu’elle puisse faire pour sauver ses compatriotes du viol, du vol et du meurtre. Après des mois de méditation, cependant, elle choisit son chemin d’action et lança un projet de sauvetage. Soeur Chân Không loua un bateau de pêche en Thaïlande, habillée comme un pêcheur, et allat en mer pour «pêcher» les boat people. Chaque fois qu’elle et son équipe croisaient un bateau de réfugiés, ils leur donnaient de la nourriture, du carburant et des instructions pour se rendre au camp de réfugiés le plus proche. Dans une interview avec Alan Senauke et Susan Moon, paru dans Turning Wheel, soeur Chan Khong a déclaré: “La méditation m’a permis de transformer les ordures, les souffrances, en moi en un bateau de pêche de miséricorde. Sur les mers, j’étais intrépide, même face à des pirates, et j’étais même joyeuse parce que je savais que j’allais dans le sens de la beauté. “

En 1988, soeur Chan Khong est officiellement ordonnée religieuse. “Me rasant la tête, tous les attachements sont coupés,” dit Thich Nhat Hanh quand elle se coupa les cheveux.

Une religieuse en Occident

En tant que moniale en Occident, soeur Chan Khong a écrit: «Je ne porte pas de bébés sous-alimentés dans mes bras, mais les adolescents et les adultes pleurent silencieusement alors qu’ils partagent les histoires de leur enfance triste et d’abusée. En écoutant attentivement leur douleur et en les aidant à se resourcer, je peux aider à soigner beaucoup de ces «enfants» blessés, ce qui est très proche de mon idéal de tenir les enfants du village dans mes bras. Je suis reconnaissante de pouvoir aider de cette manière.» En tant que religieuse en Occident, soeur Chan Khong a joué un rôle clé dans le développement de la communauté internationale de Thich Nhat Hanh. En 1982, ils s’installent dans ce qui s’appelle maintenant Le Village des Prunniers, deux parcelles bucoliques de terres agricoles en France. Pour la première retraite du centre, les 107 participants ont utilisé des planches de bois comme lits et des sacs de couchage comme couvertures, et ils n’avaient pas un nombre suffisant de toilettes. Dans un discours sur le Dharma publié dans le livre Je suis chez moi, Je suis arrivé, soeur Chân Không dit: «Il n’y avait qu’une seule salle de bain pour tout le  Hameau du Bas, pour la douche et les toilettes ! C’était pareil au Hameau du Haut. Voyant la situation, les retraitants hommes ont pris des pelles et creusé deux latrines de «combat».

Pourtant, les participants n’étaient pas découragés par les conditions, et lors des retraites suivantes, les chiffres ont augmenté de façon exponentielle. Aujourd’hui le Village des Pruniers est moins rustique, mais toujours simple, et des gens du monde entier s’y rendent pour pratiquer. Ils se rendent également dans d’autres centres de la tradition du Village des Pruniers: le monastère de Deer Park en Californie, le monastère de Blue Cliff dans l’État de New York ou à l’Institut européen du bouddhisme appliqué en Allemagne.

En 2005, le gouvernement vietnamien a autorisé Sœur Chân Không et Thich Nhat Hanh à visiter leur terre natale pour la première fois depuis les années soixante. Pendant leur séjour, ils ont parcouru le pays en compagnie de membres de leur sangha et ont établi des liens avec le peuple vietnamien, en particulier les jeunes. Deux autres visites ont été autorisées – une en 2007 et l’autre en 2008. Depuis lors, elles ne sont plus les bienvenues. Le gouvernement vietnamien s’est senti menacé par le grand nombre de jeunes instruits attirés par les enseignements de Thich Nhat Hanh.

Selon Thich Nhat Hanh, soeur Chân Không est venue à lui en tant qu’étudiante, mais elle lui a aussi enseigné. Quand la guerre du Vietnam faisait rage, Thich Nhat Hanh était tellement préoccupé par la façon d’arrêter les combats qu’il lui était devenu difficile de manger. Un jour, Soeur Chân Không préparait des herbes pour servir avec des nouilles de riz, quand elle lui a demandé s’il pouvait les identifier. «En la regardant placer les herbes avec soin et beauté sur une grande assiette, je me suis éclairé», a-t-il écrit. “Elle avait la capacité de garder son attention sur les herbes, et je me suis rendu compte que je devais arrêter de m’étendre seulement sur la guerre et apprendre à me concentrer aussi sur les fines herbes.” Ils ont passé dix minutes à parler des herbes du Vietnam, et cette discussion a sortit l’esprit de Thich Nhat Hanh de la guerre, lui permettant de retrouver l’équilibre dont il avait besoin.

“Une seule personne est capable d’aider de nombreux êtres vivants”, a déclaré Thich Nhat Hanh dans son livre, Be Free Where You Are. “Ma collègue Sœur Chân Không travaille avec des pauvres, des orphelins et des affamés depuis de nombreuses années. Elle a aidé des milliers et des milliers de personnes et, grâce à son travail, ces personnes souffrent moins. Cela lui apporte beaucoup de joie et donne un sens à sa vie. Cela peut être vrai pour nous tous à tout moment, n’importe où. “

Interview de Soeur Chan Khong à l’émission “Sagesses Bouddhistes”

Sister Chan Khong at Lotus Pond Temple in Hong Kong - by Kelvin Cheuk
Sister Chan Khong at Lotus Pond Temple in Hong Kong – by Kelvin Cheuk

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What is Mindfulness

Thich Nhat Hanh January 15, 2020

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