La Montagne du Dharma est un centre de pratique de pleine conscience issu de la tradition du Bouddhisme Zen et engagé du Village des Pruniers. Situé sur un bout de montagne couvert de châtaigniers, dans les Hautes Cévennes Gardoises, le centre de pratique est géré en collectif depuis 2017 par l’association Cévenn’Zen.
Sœur Tam Muoi a participé à l’organisation d’une retraite silencieuse de 7 jours à la Montagne du Dharma, un petit centre de pratique de la pleine conscience situé dans les Cévennes, dans le sud-est de la France. Voici des extraits de son journal.
Dimanche : Première journée de silence. Au début, je suis trop occupée pour le remarquer. Offrant le premier et unique Enseignement du Dharma, facilitant un cercle de partage, organisant les textes pour les méditations… mon activité se poursuit. Mais même ainsi, assise en méditation ce matin, alors qu’un silence profond emplit notre spectaculaire salle de méditation installée dans la yourte perchée sur les rochers, et tandis que je regarde les nuages jouer à cache-cache dans les vallées en contrebas, le lâcher-prise et les larmes coulent. Larmes de gratitude que ce merveilleux centre de pratique existe, la Montagne du Dharma, cachée dans les montagnes sauvages des Cévennes. Merci pour le soutien qu’ont apporté tant de personnes pour qu’existe cette retraite.
Tout au long de ma vie monastique, j’ai gardé ce rêve au chaud : pouvoir un jour faciliter une retraite silencieuse qui serait aussi nourrissante pour les monastiques que pour les retraitants. C’était risqué parce que nous n’offrons pas de retraites silencieuses au Village des Pruniers. J’avais l’impression que je sortirais des sentiers battus. Cependant, mes sœurs monastiques aînées m’ont encouragée et témoigné leur confiance. Soeur Dao Nghiem et Soeur Hien Duc étaient motivées pour aider à organiser et à soutenir, et 27 retraitants français se sont inscrits avec enthousiasme pour inviter davantage de silence dans leur vie.
Un temps pour ne rien faire, pour être.
Ralentir.
Ranger le téléphone.
J’ai envisagé l’horaire de façon un peu différente de celui d’une retraite classique au Village. Chaque jour, nous allions chacune et chacun nous engager à pratiquer ensemble 3 séances de méditation silencieuse dans la salle. Les séances du matin et du soir duraient 1 heure, la séance en milieu de matinée 1heure 30. Chaque session commençait par la lecture d’un court texte de Thây (extrait des livres l’Art de Vivre ou Prendre soin de l’Enfant Intérieur).
Ensuite, chacun.e serait libre de méditer dans l’une ou l’autre des trois positions – assise, debout ou en marche méditative très lente à l’arrière de la salle. L’élément ‘choix’ serait crucial dans cette retraite. De quoi ai-je besoin en ce moment ? Embrasser mon agitation et demeurer assis.e comme une montagne ? Consciemment et silencieusement passer en position debout et sentir le torrent de sensations corporelles circuler en cascade à travers mes membres ? Marcher extrêmement lentement, me déplaçant sans un son, tel un chat, dans des allers et retours derrière les pratiquants assis ? Pleinement arriver de pied en pied, masser la terre, m’arrêter, sans penser.
J’étais assez nerveuse, nos amis (tous pratiquants du Village de Pruniers) et mes sœurs monastiques pouvaient-ils accepter cette façon différente de pratiquer ? Patience, accepter mon anxiété, attendre et voir…
Lundi : sentir que tout le monde s’installe autour de moi, la joie émerge et la concentration s’approfondit. Les 16 exercices sur la pleine conscience de la respiration ont été notre guide pour la semaine. Nous avions chacun.e une copie sur notre tapis de méditation, la feuille de route au cas où nous perdions notre chemin ; le seul et unique enseignement/orientation du Dharma le premier matin était de pratiquer avec ce soutra. Le Bouddha nous invite à plonger profondément dans nos sensations corporelles et à observer notre respiration et notre corps avec curiosité et émerveillement.
Dans la salle, un sentiment croissant d’avoir beaucoup de temps et d’espace pour être. Alors que le soleil se lève, nous observons le changement de lumière et de couleur sur les montagnes, nous savourons ; nous entendons les fauvettes à tête noire chanter ‘chuk, chuk, chuk’ et les sittelles ‘ouiee, ouiee, ouiee’ saluer la nouvelle journée.
À la fin de la session de mi-matinée, surgit un énorme orage. Spontanément, nous nous allongeons, laissant la pluie battante, le vent, le tonnerre résonner à travers nos corps silencieux. S’abandonner à la terre, la roche sous nos dos. Et soudain, la tempête est passée. Des torrents jaillissent du flanc de la montagne, des arbres ruissellent, le silence, un arc-en-ciel. Le silence intérieur grandit, nous sommes vraiment arrivé.e.s. Je ressens de la gratitude et du soulagement alors que mes sœurs monastiques partagent leur enthousiasme et leur soutien. Dans le premier des trois cercles de partage du Dharma, les retraitants expriment leur gratitude pour cette nouvelle opportunité d’approfondir leur pratique, même si elle nous met au défi.
Mardi, la joie est avec nous et autour de nous. Maître Linji nous rappelle que nous sommes déjà ‘assez’ tels que nous sommes. Nous regardons à travers les larges fenêtres qui donnent sur la vallée mais, aujourd’hui, elles sont comme d’énormes écrans d’ordinateur blancs et gris : une épaisse brume blanche nous enveloppe. Rien. Ne pas savoir. Le temps s’arrête, mais le paysage en mouvement nous est mystérieusement révélé. Les martinets alpins plongent négligemment dans les brumes des vallées en contrebas et remontent pour réapparaître dans le ciel clair, laissant des reflets blancs lorsqu’ils tournent. La bruyère pourpre lavée par la pluie vibre contre le lichen jaune acide et la roche gris argenté.
Tomber en amour encore et encore avec notre belle planète ; ici, il est facile de réjouir l’esprit. Le souffle devenant un ami toujours présent dans mon corps. Marcher de haut en bas, les pieds déployés et détendus, tels le rembourrage des pattes d’un lion ; et nulle part où aller. « Nous sommes déjà ce que nous voulons devenir. »
Par la suite, en cercle de partage, nous avons prolongé le silence par un temps d’écriture dans notre journal, rassemblé.e.s sous les pins, afin de répondre à ces quelques questions : “Comment suis-je dans mon corps en ce moment ? Qu’est-ce que je sens et où ? Qu’est-ce qui est en vie dans mes sens ? Quelles résistances sont présentes ? Quelles sont les vaches que je voudrais lâcher ? Quelles conditions de joie sont déjà là pour moi ?”
Un frelon bourdonne et traverse notre cercle, curieux de voir un groupe d’humains aussi immobiles. Mais personne ne réagit, tant le calme et la concentration sont grands.
Mercredi : Journée de paresse en silence. Randonnée et ascension d’un petit sommet plus haut, boire du thé alors que des familles de martinets alpins accélèrent leur vol vers les flancs de la montagne et, surpris de me voir là-haut, passent devant mon visage, avant de replonger de l’autre côté, pour un prochain festin de moustiques. Après un pique-nique sous un ciel assombri, je regagne notre lieu juste à temps, avant que s’abatte la pluie.
Avant la dernière session de méditation, nous avons entendu Thây nous inviter à emporter notre enfant intérieur avec nous, à nous en approcher, l’accueillir sur nos genoux, l’écouter, l’apaiser, le réconforter ; l’inviter à nous accompagner durant nos marches en forêt, à nous allonger sur les rochers ou à nous baigner dans l’eau glacée des cascades et des bassins rocheux.
Ce soir-là, assise tranquillement durant une heure, je me laisse surprendre par la cloche indiquant la fin de la session. Le Dharma s’imprègne en moi, tel la pluie tourbillonnant sur la montagne moussue. Nous contemplons l’impermanence.
Jeudi : premier jour de l’automne ; cette semaine fut véritablement une semaine de brumes et douces fécondité. Ensemble, nous avons savouré les fruits de l’arrêt, de la détente, du regard profond, de la vie en communauté, en renouvelant notre confiance dans l’assise et acceptant de rencontrer tout ce qui se manifeste, avec amitié et compassion. Nous avons pratiqué en invitant toutes les parts de nous à partager notre table, sans discrimination. Au cours de la dernière session de partage du Dharma, un ami partagea que, jamais auparavant, il n’avait pu rentrer en contact avec son enfant intérieur. Ici, il avait pu inviter son jeune ‘soi’ à marcher avec lui sur les sentiers de montagne, à jouer ensemble dans les rivières ; pour la toute première fois de sa vie, il était parvenu à l’écouter et son coeur s’était ouvert avec amour, compréhension et compassion envers son enfant, lui-même et ses ancêtres.
Nous avons touché la guérison, soutenus par les paysages en constant changement, la beauté de cette nature sauvage ouvrant grands nos coeurs, faisant l’expérience du profond silence des montagnes et du silence toujours plus profond à l’intérieur.
Vendredi : La fin de la retraite approche et nous sommes invités à doucement rompre le silence. Gratitude et bonheur s’expriment à travers les chants de nos ancêtres (certains en langue occitane) ou par des partages verbaux très touchants :
“Le silence et le paysage ont ouvert un vaste espace en moi.”
“En connexion avec les éléments vent, pluie, tempête… je deviens un avec eux.”
“Lieu magique et inspirant, Présence de la nature pour soutenir notre pratique.”
“Je me suis sentie extrêmement nourrie de découvrir cette nouvelle façon de pratiquer, de voyager ensemble sur le chemin du silence intérieur…”
Samedi : Avant notre dernière session de méditation du jour, nous avons une nouvelle fois écouté les mots encourageants de Thây.
L’assise méditative est un acte de civilisation ; elle n’a pas de prix. Assis.e simplement là, à ne rien faire. Vous êtes heureuse, heureux d’avoir conscience d’être assis.e sur une magnifique planète, en rotation dans une galaxie d’étoiles. Nous sommes assis sur les genoux de la Terre, des milliards d’étoiles au-dessus de notre tête. Si vous parvenez à vous asseoir et voir cela, pour quelle autre raison avez-vous besoin de vous asseoir ? Vous êtes en contact avec l’univers, votre bonheur est immense.
Pour plus d’informations sur leurs activités et retraites, nous vous invitons à consulter le site internet suivant : https://www.montagnedudharma.org/