A la recherche d’un sens à donner à sa vie, Soeur Đào Nghiêm a choisi, à 29 ans, de rejoindre une communauté spirituelle. Au cours des vingt et une années passées en son sein, elle a formé des centaines de professeurs de yoga. A la suite de la rencontre avec Thich Nhat Hanh au début de 2002, elle décide de rejoindre la communauté monastique du Village des Pruniers et est ordonnée novice au sein de celle-ci en 2003. Elle vit aujourd’hui au Village des Pruniers au Hameau du Bas.
Extrait d’un entretien publié dans le magazine “Sources” n°50– Décembre 2020- Propos recueillis par Nathalie Calmé.
Pourriez-vous nous raconter comment vous avez rencontré l’enseignement du maître zen Thich Nhat Hanh?
Un jour une amie m’a prêté une cassette d’une méditation guidée par Thay et dans laquelle il disait : “Souriez pendant la méditation”. Je n’avais jamais entendu cela auparavant ! J’ai donc mis en pratique le sourire pendant la méditation. Ce simple sourire sur les lèvres a apporté une détente dans mon corps et dans mon esprit. j’ai commencé à lire des livres de Thay, notamment Sur les traces de Siddharta, où il raconte la vie du Bouddha et nous dévoile le visage du sage dans toute son humanité. En 2001, j’ai écouté le discours que Thay a donné après les attentats du 11 septembre. J’aimais sa façon d’écrire et de s’exprimer avec des mots simples et profonds.
La première fois que j’ai rencontré Thay, c’était en janvier 2002, au Village des Pruniers. J’étais venue y passer une semaine, tout particulièrement pour le rencontrer. J’ai été profondément touchée par sa présence, son silence intérieur, son ouverture, son écoute. Au début de cette année-là, ma tante était dans le coma, et elle est décédée pendant mon séjour en France. La manière dont Thay parlait de la mort a résonné intensément en moi.
En quoi les enseignements de Thich Nhat Hanh vous ont-ils aidée à traverser l’épreuve du deuil?
Thay utilisait des images et des mots simples, très humains, pour parler de la mort. Lors d’un échange, il m’a invitée à m’ouvrir et à laisser tomber l’armure que j’avais revêtue pour me protéger. Il m’a fait comprendre ce qui nourrit nos émotions de tristesse ou de colère et m’a permis de me poser de bonnes questions, telles que : “Qu’est-ce que j’ai reçu de la transmission de mes ancêtres? Qu’est-ce que je veux vraiment? Quelle énergie je veux offrir au monde? ………
Qu’est-ce que la rencontre avec Thich Nhat Hanh a changé dans votre vie?
Je suis devenue moniale à cinquante ans. C’est un grand changement! A ce moment-là, j’étais mariée, ma fille avait dix neuf ans, je vivais dans une autre communauté spirituelle. Ma rencontre avec Thay a été une nouvelle naissance. Vivre au sein d’une sangha monastique, c’est un peu redevenir comme un enfant, nous devons tout réapprendre. J’ai appris à ouvrir plus grand mon coeur à la vie…..
A quoi ressemblait la relation maître/disciple avec Thich Nhat Hanh? Aviez-vous des entretiens privés avec votre maître ?
La relation avec Thay se vivait dans le quotidien. Nous marchions avec lui, partagions un repas ou une tasse de thé. Pendant ces moments informels, nous pouvions lui poser des questions, mais nous n’avions pas d’entretiens formels. Si nous souhaitions le rencontrer nous pouvions venir à lui directement ou demander un entretien. Thay nous observait, regardait comment nous nous déplacions, comment nous agissions les uns envers les autres….Il avait beaucoup de patience avec ses élèves. Il nous guidait avec beaucoup de compréhension, de compassion et d’amour.
Comment vous permettait-il de prendre conscience d’un aspect de votre personnalité à transformer ou d’une attitude à améliorer?
Dans les lettres que nous écrivions à Thay, nous lui posions des questions et pouvions aussi lui exprimer nos désaccords et nos difficultés. Thay nous répondait directement, par écrit ou bien lors de ses enseignements…….
Thay souhaitait que nous soyons libres d’être qui nous sommes. Il ne nous a pas imposé un modèle et ne voulait pas que nous devenions sa réplique. Pour lui, il est essentiel que chacun se dévoile et s’épanouisse dans sa propre créativité, tout en veillant à rester dans le chemin.
Avez-vous des souvenirs à nous raconter de moments partagés avec Thay?
Quand ma soeur est morte, Thay a été très présent pour moi, comme il l’était avec tous les frères et soeurs quand ils vivaient des épreuves. Lorsque je suis revenue de l’enterrement, Thay m’a emmenée dans le jardin pour marcher. Puis, lorsque nous sommes revenus dans la pièce où Thay écrit ses calligraphies, il m’a demandé : “Que pourrions-nous mettre comme phrase calligraphiée pour souhaiter la bienvenue au participants de la retraite francophone?” (C’était quelques jours avant la retraite). Par cette question, il m’invitait à revenir dans le moment présent, tout en me permettant d’embrasser le chagrin de la perte….
Un jour où nous étions dans le Vermont, il s’est mis à neiger et nous sommes allés marcher dans la forêt avec Thay. C’était féérique. Il a glissé doucement sur la neige et s’est allongé les deux bras grands-ouverts dans la neige fraîche, montrant sa joie enfantine. Nous avons tous ri et fait la même chose. J’ai tant de souvenirs de moments où Thay me ramenait au moment présent, à la beauté de la Terre Mère, tout simplement par un geste……..
Quelque temps après son accident vasculaire cérébral, en 2014, Thich Nhat Han a choisi de résider au Vietnam, dans le temple où il avait vécu en tant que jeune novice. Comment vous reliez-vous désormais à votre maître?
Nous ne sommes pas séparés de Thay. Il est toujours présent. Nous sentons sa présence dans des actes du quotidien. Par exemple, lorsque nous buvons du thé ou un verre d’eau en pleine conscience. Boire en pleine conscience, c’est toucher la vie, prendre le temps d’apprécier. Ce matin, il faisait encore nuit et je suis allée admirer le jeu des nuages, le jour qui doucement arrive et pénètre dans la nuit, la couleur du ciel qui se transforme, c’est magnifique! C’est grâce à Thay que je peux m’arrêter et contempler ainsi le ciel. Avant, j’étais trop occupée, je passais à côté de ma vie.
La marche méditative en pleine conscience enseignée par Thay m’a aussi beaucoup touchée. J’ai marché très souvent derrière ou à côté de lui, dans la nature et dans de grandes villes. Cette pratique m’a aidée à transformer des émotions, des souffrances, et apporté de la joie et de la stabilité. Aujourd’hui, quand je marche en pleine conscience, je peux sentir sa présence.
J’aime aussi me souvenir de la force et du courage avec lesquels Thay a traversé tant d’épreuves. Et encore aujourd’hui! Thay ne peut plus parler, mais il se fait comprendre par des gestes et par le regard. Je suis allée le voir au mois de janvier, au Vietnam. Quand je marchais derrière sa chaise roulante, je pouvais sentir que Thay marchait dans mes pieds. C’est lui qui m’a vraiment appris à poser mes pas sur la terre en pleine conscience. Je poussais Thay dans la chaise mais il était dans mes pieds. C’était une expérience magnifique.
Quel message aimeriez-vous transmettre à Thich Nhat Hanh ?
J’aimerais lui exprimer une profonde gratitude et mon amour. Quand on demandait à Thay ce qu’il voulait pour son anniversaire, il disait : “Offrez-moi un cadeau de votre pratique.” Avant de repartir en France, je suis allée le voir dans sa chambre. Je me suis assise à côté de son lit et je lui ai dit : “Je vous promets de continuer à pratiquer et transmettre ce que vous m’avez enseigné.”
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