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Apprendre à aimer ma souffrance

Le frère Pham Hanh partage son histoire personnelle de guérison du burnout et des traumatismes.

Avertissement : Cet article traite d’une expérience de guérison des trauma qui exige une grande capacité à accueillir les sentiments désagréables. Si votre système nerveux est particulièrement sensible et que vous vous sentez facilement submergé, sachez qu’il existe des moyens plus adaptés et plus doux pour guérir, qui reposent notamment sur le fait de simplement observer quelle émotion manifeste le corps quand il est en contact avec des sensations agréables, telles que la vue de la nature, ou l’écoute des oiseaux, ou encore la sensation du contact de votre poids avec le sol. Ces exercices de guérison et d’autres sont expliqués ici et peuvent vous aider à vous apaiser si vous vous sentez accablé et/ou si vous luttez contre un traumatisme.

D’aussi loin que je me souvienne, j’ai toujours été boosté. Il y avait de l’urgence dans la façon dont je faisais du vélo, dans la façon dont je devais être le premier à terminer un examen à l’école, dans la façon dont je gagnais mieux ma vie que les autres, et dans la façon dont j’ai commencé à travailler à seize ans. À dix-neuf ans, je conduisais une voiture de société. À vingt-deux ans, j’ai acheté ma maison, et à vingt-six ans, j’avais ma propre entreprise et un salaire à six chiffres.

Il n’est pas surprenant qu’à l’âge de vingt-sept ans, après dix ans de travail, je connaisse mon premier épuisement professionnel. C’est également à cette époque qu’eut lieu ma première rencontre avec le Village des Pruniers. Ma forte volition s’appliquait désormais à la dimension spirituelle. Après avoir entendu parler des cinq entraînements à la pleine conscience, j’ai vendu ma voiture et ma maison. Et j’ai reçu les 5 entraînements douze heures plus tard. Ensuite, j’ai acheté une cabane, j’ai initié des sanghas Wake Up, j’ai organisé des retraites et je suis finalement devenu moine lorsque j’ai réalisé que personne ne voulait créer un Village des Pruniers et une communauté Wake Up avec un fanatique comme moi.

2017, Retraite des ambassadeurs du mouvement Wake-Up

Les émotions fortes peuvent donner l’illusion que je vais mourir, mais ce n’est pas le cas……… Quand je laisse les émotions s’exprimer, elles guérissent, et la transformation se produit à la base. 

Bon, maintenant sans ironie, il est évident que je vois aussi qu’il y avait en moi un profond désir de connexion. Je me sentais profondément seul et je savais intuitivement que, pour être libre et heureux, je devais apprendre à apprécier ma propre compagnie. Après huit ans de vie monastique, je commence à en voir les fruits. Je peux maintenant prendre plaisir à boire une tasse de thé.

La raison pour laquelle je souffrais tant, ce pourquoi j’avais toujours besoin de courir, pourquoi j’étais si déterminé, c’est parce que j’étais incapable de ressentir les émotions et la façon dont elles se manifestent dans mon corps.

Au cours de mon parcours, j’ai découvert que les mots sont souvent très limitatifs. Pourtant, dans la poésie, je peux parfois en dire plus, car je peux manifester le non-dit et accomplir mon désir de m’exprimer.

Nos afflictions déchaînées
Un feu intense et dangereux
La chaleur prête à brûler
Si tu crois qu’elle le fera

L’éclat imaginé
La nature d’un rêve
Seule notre peur à son égard
Crée la menace

Pendant combien de temps ai-je été trompé
Emprisonné et asservi dans les royaumes de la souffrance et de l’obscurité

Juste, juste, parce que
En croyant que c’était réel
Je l’ai rendu ainsi

Écrire dans mon journal intime est aussi une façon pour moi d’explorer et d’exprimer mes sentiments. L’été dernier, j’écrivais ceci :

Je suis un moine stressé, épuisé, traumatisé, et je suis heureux. J’ai trouvé dans mes afflictions brûlantes les couleurs mêmes qui peignent la beauté de la vie. En osant entrer dans les émotions et les sensations corporelles désagréables qui menacent la vie, j’ai découvert que mes croyances sur moi-même ne sont pas vraies. Non seulement elles ne sont pas vraies, mais la nature même de cette souffrance est vide de toute subsistance. Je ne fais que croire en leur existence, et la menace de leur existence est la confirmation de la croyance.

J’ai couru toute ma vie, alimenté d’émotions fortes que je ne pouvais pas encore ressentir consciemment. Ces sensations me disaient que si je les ressentais, je mourrais. Peut-être est-ce là le sens profond de la Première Noble Vérité : arrêter de courir, commencer à souffrir, et faire l’expérience de la vérité que je ne meurs pas lorsque je vis ces sensations. Les émotions fortes peuvent donner l’illusion que je vais mourir, mais ce n’est pas le cas. Donc, maintenant, lorsque je ressens des émotions susceptibles de menacer la vie, je les ressens activement. Je n’ai plus à en avoir peur. Je n’ai plus à mener une vie de réactivité à cause d’un sentiment. Je n’ai plus à rejeter la faute sur des conditions extérieures à moi-même qui engendrent cette émotion. Lorsque je permets aux sentiments de s’exprimer, ils guérissent et la transformation se produit à la base.

Je comprends désormais que ces émotions qui mettent la vie en danger sont liées à des expériences traumatisantes que j’ai vécues. J’ai appris qu’un traumatisme se produit lorsque je ressens un sentiment émotionnel intense que je ne peux pas gérer. Le système nerveux se met en surcharge, et un souvenir est stocké en différents fragments déconnectés, dans le corps, dans les sensation, dans l’histoire. En règle générale, tout souvenir présente ces composantes et elles sont connectées. Ensuite, lorsqu’une situation similaire se produit, le souvenir se déclenche, mais seulement en partie, de sorte que seul le corps réagit. Dans mon cas, mon corps réagit par une sensation de brûlure dans la poitrine, mais sans aucune émotion ni histoire. Je sens que quelque chose ne va pas, qu’il y a une menace quelque part, mais je ne peux pas la localiser. Mon esprit utilise la situation actuelle pour expliquer pourquoi je me sens ainsi. Cela veut dire que je peux par exemple penser que “Mon frère aîné est dangereux. Il va essayer de me manipuler ; on ne peut pas lui faire confiance ; il complote derrière mon dos ; c’est à cause de lui que je ne me sens pas en sécurité”.

J’ai réalisé que je me suis toujours senti un peu mort, comme si une partie de moi manquait. À présent, j’ai trouvé cette part de moi. Je n’en ai plus peur, car c’est une part de moi et elle a besoin de tout mon amour. 

Je peux être pris dans l’illusion que mes émotions suivent l’interprétation du moment présent. Je peux croire que le contact des sens mène à la perception, laquelle mène aux émotions. En suivant ce raisonnement, si je change ma perception, je peux changer le ressenti, ce qui implique que l’analyse du contenu de mon esprit et la compréhension du fonctionnement de mon esprit conduisent à la transformation de la souffrance. Je me concentre alors spécifiquement sur la question “Pourquoi le contenu de mon esprit est-il ainsi ?” et je pense qu’une réponse conduira à la fin de la souffrance. Mais cela ne mène pas à la fin de la souffrance puisque le contact sensoriel conduit à la sensation, qui conditionne ma perception. Les neurosciences nous enseignent que le contact sensoriel est la primauté des émotions. Nous sommes des êtres émotionnels, pas des êtres rationnels.

Et ceci entraîne la question suivante : qu’est-ce qu’une émotion ? Dans le livre « How Emotions Are Made : The Secret Life of the Brain » (Comment se développent les émotions : la vie secrète du cerveau), Lisa Feldman Barrett écrit que le contact sensoriel entraîne une réponse dans le corps, qui conduit à une perception de ces sensations appelée ‘interoception’. Je crois que le Bouddha utilise le terme ‘sentiment’ pour cela. Cette interoception utilise ensuite le contexte de la situation pour créer une émotion. La même interoception d’une sensation intense dans l’estomac peut être interprétée comme une anxiété dans la salle d’attente d’un dentiste et comme une anticipation joyeuse le jour d’un mariage. Une émotion a donc une partie corporelle, une partie sentimentale et une partie contexte/récit. Une émotion n’est pas seulement une expérience qui émerge, comme la colère noire, le désespoir, etc., mais elle est toujours là et possède une vie riche, qui peut être subtile et intense. Je peux toucher ma souffrance à tout moment, mais je ne peux en faire l’expérience que dans le corps. Je crois que la plupart d’entre nous sont presque complètement dissociés de leur corps, car le seul moyen de ne pas ressentir de redoutables sentiments est d’ignorer où ils vivent dans le corps. Même si je n’ignore pas activement ces sentiments, je peux dire que je ne les ressens pas en ce moment, et que ce que je ne ressens pas n’existe pas.

Cela m’amène à parler du fonctionnement de la perception. En neurosciences, une théorie populaire se désigne sous l’appellation «  codage prédictif ». Elle explique comment l’esprit est l’un des sens. Permettez-moi d’illustrer mon propos en relatant cette histoire :
Un jour, alors que j’étais assis en voiture, j’ai vu au loin quelque chose gisant sur la route. “Oh, non, un chien mort“, ai-je pensé. En m’approchant, j’ai vu que c’était une boîte en carton. Je pourrais considérer que j’ai toujours vu une boîte en carton et que je l’ai simplement prise pour un chien jusqu’à la voir plus clairement. Je pourrais penser que je traite toutes mes informations sensorielles et que je construis ma réalité à partir de celles-ci, et que je suis toujours en contact direct avec la réalité. Mais ce n’est pas vrai. La science a prouvé que si c’était vrai, le cerveau serait trop lent pour réagir au monde. Un joueur de baseball ne serait pas capable de frapper une balle s’il se fiait au traitement de sa vue pour frapper la balle. Le tigre nous aurait déjà sauté dessus.

Au lieu de cela, je crée la réalité en prédisant ce qui va se passer dans l’instant suivant sur la base de mon expérience du passé. Le cerveau doit seulement prédire ce qui va changer. S’il y a un conflit entre le passé et le présent, le cerveau vérifie avec les sens – puis si le conflit est suffisamment important, le cerveau met à jour sa prédiction. Cela explique la raison pour laquelle je peux me réveiller au beau milieu d’un rêve et être totalement incapable de faire la différence entre la réalité éveillée et la réalité rêvée. Ma réalité est de la nature d’un rêve limité par les informations des sens. Ainsi, le principal sens de la vue est l’esprit. Si je sais à quoi ressemblent les arbres, je n’ai besoin que d’une petite partie des informations visuelles pour voir un arbre dans mon esprit. La prédiction est beaucoup plus efficace sur le plan énergétique et plus rapide que le traitement des sens.

Alors, ai-je vu un chien mort sur la route ? Oui, j’ai vu un chien mort – jusqu’à ce que mes sens contredisent suffisamment la prédiction de mon esprit, ce qui a conduit à un sentiment étrange. Soudain, j’ai vu une boîte en carton et l’esprit a essayé de me dire que j’avais toujours vu une simple boîte en carton.

Ceci m’amène à parler du corps et des sensations. L’esprit est parfaitement capable de prédire les sensations du corps. Je me suis rendu compte que, la plupart du temps, lorsque je suis le parcours de ma respiration, je suis ma “respiration rêvée”. Bien sûr, cela ne semble pas très intéressant parce que je prédis la respiration. Je connais déjà la respiration, alors c’est comme si je touchais quelque chose de mort, quelque chose de non réel. Mais quand je commence à faire attention et à me concentrer profondément sur le souffle, je peux sentir que le souffle est un monde empli de sensations en changement permanent, parfaitement inconnu, complètement fascinant, une merveille complète.



Cela me rapproche également de quelque chose que je ne veux pas ressentir : ma souffrance. Je pourrais passer ma vie à ne pratiquer qu’avec l’esprit et le corps de rêve, je n’aurais pas à toucher à ma souffrance. Dès que j’entre en contact avec le corps tel qu’il est, j’entre aussi en contact avec la souffrance qui y est stockée, conditionnant mes sentiments et mes perceptions à chaque instant. Je ne peux plus prédire la disparition de mes sensations corporelles. Je ne peux plus ignorer ce qui est là – et c’est terriblement effrayant. Mais est-ce que cela me tue ? Même si j’ai l’impression que je vais mourir si je ressens ces sensations dans le corps, je peux m’y plonger et commencer à les ressentir.

Une partie du mécanisme de défense est que je définis la souffrance dans mon corps comme “pas moi”, pas le moi mais quelque chose d’extérieur au moi, un intrus indésirable. Mais lorsque je commence à ressentir profondément mes sentiments de souffrance actuels, j’y trouve ma souffrance passée. Je retrouve mon moi de cinq ans, mon moi de neuf ans. Des souvenirs surgissent. Des sentiments intenses surgissent. Tardivement, je peux leur permettre de s’exprimer, et je peux les traiter. Je réalise que ma souffrance, c’est moi. Parce que maintenant, je m’autorise à ressentir la souffrance ; j’ai accès à mon corps et à une foule de sentiments.

J’ai réalisé que je me suis toujours senti un peu mort, comme s’il me manquait une partie de moi-même. Désormais, j’ai retrouvé cette part de moi. Je n’en ai plus peur, car c’est moi et elle a besoin de tout mon amour.

Je me suis rendu compte que le burnout consiste à avoir de multiples sentiments qui sont en conflit les uns avec les autres et qui demandent à être ressentis et non plus ignorés. Ces sensations submergent tout le corps et, lorsque cela se produit, je dois commencer à écouter. C’est un signal d’alarme.

Alors, comment ai-je guéri ma souffrance, mon traumatisme passé et mon épuisement professionnel? Simplement en étant paresseux, en me permettant de guérir – comme un animal blessé qui se couche sous un buisson et se repose. L’été dernier, j’ai pris quelques semaines de vacances et je n’ai emporté aucune distraction avec moi. J’ai bu du thé, je me suis assis, j’ai marché et je me suis autorisé à m’ennuyer pleinement, et j’ai toujours cherché les sentiments que je ne voulais pas ressentir, puis je les ai ressentis. Je recherchais des sensations dans le corps et me concentrais profondément sur elles, devenant ainsi les sens. J’ai pris refuge dans les sens, sans aucun but, et j’ai fait l’expérience de tout ce qui était là, sans essayer de résoudre, sans essayer d’interpréter, sans chercher à repousser ou attirer, juste en buvant une tasse de thé. Juste être.

L’issue est dans le corps
Le Dharmakaya est le corps lui-même
Il rayonne la pleine conscience, les émotions, les sensations et tous les objets de l’esprit.
C’est dans cette splendide manifestation que se forme l’esprit.
Quelle folie alors d’amener l’esprit au corps
Ou le Dharmakaya lui-même
Tu vas dans dans la mauvaise direction
Ne vois-tu pas ?
Tu viens déjà de là
Tu es déjà là
Tu es déjà chez toi

Le corps

Pour aller profondément dans le corps
vous avez besoin d’un esprit calme
Pour avoir un esprit calme
il faut aller profondément dans le corps
Cherchez quand l’esprit est agité où le corps n’est pas disponible.
En incluant les sensations non ressenties, l’esprit s’apaise.
En se reposant dans les sensations corporelles ressenties,

les sensations corporelles non ressenties apparaissent.
En se reposant entre les sensations ressenties et non ressenties, elles se connectent.
Et la conscience du corps entier apparaît
L’esprit se délecte de vivre à l’unisson avec le corps,
à la maison


Pham Hanh est un moine hollandais qui a accompli le programme monastique de cinq ans et qui profite de son deuxième programme monastique de cinq ans. En plus d’être un inventeur et de trouver de nouvelles façons de préparer des aliments végétaliens, tels que le tempeh, le fromage vegan et l’ail noir, il est activement impliqué dans … trop de choses !


Cet article a été réimprimé avec l’autorisation de la revue ‘Mindfulness Bell’, parue l’été 2021. Si vous souhaitez lire d’autres articles de ce numéro, vous pouvez suivre ce lien pour plus de détails.


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What is Mindfulness

Thich Nhat Hanh January 15, 2020

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