Que pouvons-nous apprendre des astronautes ? Dans cet extrait d’Enseignement du Dharma, Thich Nhat Hanh enseigne comment nous pouvons emprunter la perspective des astronautes afin d’apprécier véritablement notre précieuse planète.
Chère Sangha,
Nous sommes aujourd’hui le 13 février 2011, et nous sommes au Hameau Nouveau, dans la salle de la Bonté Aimante, au Village des Pruniers, pour notre retraite des pluies d’hiver.
Nous sommes assis dans un petit village du sud de la France. Pourquoi sommes-nous venus ici ? Élargissons notre esprit et utilisons les yeux de notre esprit pour voir cette personne, qui n’est pas ici, qui est loin, peut-être en Asie, en Amérique ou en Afrique. Que fait-elle en ce moment ? S’agit-il d’une personne que nous aimons ou que nous détestons ? Où est-elle et que fait-elle en ce moment ? Regardons avec l’œil de l’esprit. Dort-elle ou bien, si elle est éveillée, qu’est-elle en train de faire ?
Si nous savons comment nous asseoir tranquillement et voir cette personne de loin, alors nous aurons une chance de la voir plus clairement. Nous restons assis un moment et nous la voyons complètement absorbée par quelque chose, quelque part dans un coin du monde. Il nous suffit de nous asseoir et d’utiliser notre conscience pour que, en cinq ou dix minutes, nous nous sentions emplis d’amour et de sympathie envers cette personne. Il se peut aussi que vous ayez été contrarié par cette personne dans le passé, que vous l’ayez blâmée ou critiquée. Aujourd’hui, vous êtes assis.e ici, seul.e dans un village lointain, et vous avez la possibilité de regarder vers le passé. Et parce que vous êtes loin, vous pouvez voir très clairement.
Il est parfois nécessaire de s’éloigner pour voir ce que l’on veut voir. Nous vivons côte à côte et, jour après jour, nous interagissons les un.e.s avec les autres, mais nous ne voyons toujours pas. Ce n’est que lorsque nous nous sommes vraiment éloignés, au point de ne peut-être jamais nous revoir, que nous commençons à voir cette personne et à éprouver de la sympathie pour elle. C’est bien dommage de ne pas avoir pu entrer en relation avec elle et de ne pas avoir suffisamment chéri sa présence, autant pour elle que pour nous.
Regarde en bas, depuis tout là haut !
Autrefois, lorsque Thây lisait les histoires de Hans Christian Andersen, il y en avait une qu’il aimait tout particulièrement. Il s’agit d’une courte nouvelle intitulée ‘A Great Grief (un grand chagrin). C’est l’histoire de deux frères se tenant sur le toit d’un haut bâtiment et qui regardent vers le bas. Au sol, un groupe d’enfants joue. Un chien vient de mourir et ils veulent l’enterrer. Ils construisent une petite tombe pour le chien et la rendent très belle. Et comme c’est une très belle tombe, ils se disent que ce serait dommage de ne pas la montrer aux autres enfants. Ils annoncent alors à tous les enfants du village qu’ils peuvent venir voir la tombe.
La condition est que les enfants soient munis d’un ‘billet’ pour entrer (un de leurs boutons de chemise ou de pantalon). à l’époque, beaucoup d’enfants portaient une salopette. Et s’ils en arrachaient un bouton, la salopette ne tombait pas puisqu’il y avait un bouton de l’autre côté. Certains enfants avaient cinq ou six boutons sur leur chemise, ce qui n’était donc pas un problème pour eux non plus. Tous les enfants voulaient vraiment voir la tombe. S’ils voyaient entrer d’autres enfants alors qu’ils n’avaient pas encore pu le faire, ils s’empressaient d’ôter n’importe quel bouton de manteau ou de pantalon en guise de billet d’entrée.
Une fois tous les enfants entrés pour voir la tombe du chien, restait une pauvre petite fille encore à l’extérieur. Elle n’avait pas un seul bouton ; ses vêtements étaient en lambeaux. Tous les enfants avaient pu entrer, elle était la seule à devoir rester dehors. Très bouleversée, elle pleurait amèrement. Elle était la seule enfant dans tout le village à qui l’accès était refusé car elle n’avait pas de boutons.
Les deux frères sur le toit purent tout voir, du début à la fin. Le plus jeune dit alors : « Vu de là-haut, cela ne vaut pas vraiment la peine de pleurer parce qu’il nous manque un bouton pour entrer ! » Mais l’enfant en bas ignorait cela. Quand nous voyons d’en haut, nous voyons très différemment notre propre douleur et la douleur de l’autre. Thây ne se souvient pas exactement de la ligne originale, mais c’était le sens essentiel. Thây se souvient très précisément de cette courte nouvelle d’une seule page et demie.
Parcourant le chemin qui mène à la lune
La première fois que des êtres humains ont organisé un voyage très lointain, c’était vers la Lune. Cette expédition portait le nom de ‘Apollo 11’ et elle exigea quantité d’argent et d’énergie pour envoyer quelques astronautes sur la Lune.
Lorsque le vaisseau spatial quitta l’atmosphère terrestre, les astronautes purent, pour la première fois de l’histoire, capturer des images de la Terre. C’est à cette occasion que Thây écrivit le poème Calme (illustré par ces photos ici)
Sur le chemin menant à la lune
je me retourne.
Je t’aperçois
et ne cesse de m’émerveiller
sur ta somptueuse beauté,
bulle d’eau
qui flotte sur l’océan de l’espace immense.
Tu es la Terre,
tu es la planète verte
éclatante et superbe,
pourtant si fragile.
…
la version complète est disponible ici
Pénétrant dans l’espace et regardant derrière eux, ils virent combien notre Planète Terre est belle. Ce système solaire et l’univers ne nous avaient encore rien offert d’aussi beau et éphémère. Quand les astronautes atterrirent sur la Lune et y firent leurs premiers pas, ils virent que la Lune était très différente : il n’y avait pas de vie. La nuit sur la Lune, ils pouvaient voir leur chemin grâce à la lumière du Soleil réfléchie par la Terre. Debout sur la Terre, nous voyons se lever la Lune et, sur la Lune, ils ont vu se lever la Terre. La Terre s’élève de façon magnifique ; elle n’est pas colorée d’or mais elle présente des nuances de bleu et de blanc. Ces images nous ont été transmises sur Terre.
Les membres de l’expédition Apollo 11 se sentirent profondément émus en voyant l’image de la Terre. Ils ont décrivirent l’espace sur la Lune comme terriblement froid et inhospitalier. Sur Terre, ils n’avaient jamais vu les ténèbres comme ceux de l’espace. Les nuits sont parfois sombres sur Terre, mais cette obscurité est vivante, il y a de la chaleur, des sons et des parfums. à l’inverse, l’obscurité sur la Lune est terriblement froide et noire. Et malgré la lueur réfléchie du Soleil, ils ne pouvaient rien voir. L’univers là-haut est vide. La lumière doit rencontrer quelque chose pour que nous puissions la voir. Lorsque la lumière voyage dans l’espace vide, nous ne la voyons pas. La couleur bleue que nous voyons lorsque nous regardons le ciel n’est pas présente dans l’espace. Ce sont les couches de l’atmosphère qui nous permettent de voir le ciel bleu quand la lumière du soleil les éclaire. Dès que l’on quitte l’atmosphère terrestre, le bleu n’est plus là. Il n’y a que le noir absolu, un noir absolu glacial.
Quand les astronautes contemplèrent la Terre d’en haut, un sentiment de grand amour s’éleva en eux. Ils visualisaient les milliards d’habitants de la Terre ; que faisaient-ils ? Manger, dormir, travailler, être en colère les uns contre les autres, se battre et s’entretuer pour un bout de territoire ? Quelle honte. Les Blancs sont contre les Noirs et les Noirs contre les Blancs. Les gens du Nord sont contre les gens du Sud et les gens du Sud contre les gens du Nord. Lorsque nous sommes loin et que nous regardons en arrière, nous voyons les choses différemment. Nous voyons que nous, les humains, sommes fous et très stupides. Nous avons une si belle et merveilleuse planète et pourtant, nous sommes en train de la détruire.
De retour sur Terre, l’astronaute Edgar Mitchell fit cette déclaration : « Nous sommes allés sur la Lune en tant que techniciens ; nous en sommes revenus en tant qu’humanitaires. » Nous avons besoin d’un tel voyage pour voir clairement qui nous sommes, à quel point notre planète est précieuse et combien nous sommes stupides. Nous vivons sur elle et nous ne savons pas ce que c’est, nous ne la chérissons pas et nous permettons sa destruction.
Il en va de même pour notre vie. Nous bénéficions tous de la vie, mais nous ne savons pas comment la valoriser. Nous perdons notre temps et nous l’utilisons de manière négligente. Nous gaspillons nos vies et notre temps comme si nous brûlions des billets de cent dollars, l’un après l’autre. Nous nous infligeons de la souffrance et cherchons quelque chose que nous appelons le bonheur. Pendant ce temps, nous accumulons le malheur et nous nous faisons souffrir mutuellement. C’est ce qui se passe ici et maintenant, mais nous ne le voyons pas. Il est parfois nécessaire de nous éloigner bien loin pour nous retourner et voir alors que le paradis est juste là où nous vivons.
Les astronautes relatèrent que la lune et les étoiles étaient très belles, mais glaciales. Ce n’est pas notre place. Seule cette petite planète avec ses nuances de bleu et de blanc est notre maison, celle qui nous accueille. Nous vivons dans notre maison, mais nous ne la chérissons pas à sa juste mesure, pas plus que le temps dont nous disposons pour vivre sur elle. Les images que les astronautes ont renvoyées sont une cloche de pleine conscience. Observer ces images est semblable à écouter le son de la cloche. Nous devons nous réveiller. Nous réveiller afin de voir, comprendre, aimer et chérir.
Les yeux du monde
Seules quelques centaines d’astronautes ont connu la chance de quitter la Terre. Ils sont nos frères et sœurs, nos représentants qui quittent la planète, regardent en bas et nous font part de leur expérience. C’est comme notre corps de quelques dizaines de kilos, et dont les yeux ne représentent que quelques grammes, mais ces yeux peuvent voir et faire leur ‘rapport’ au corps entier. Nous avons nos yeux, ceux de ces premiers astronautes ayant quitté l’orbite terrestre pour aller sur la Lune. Ils savaient que leur mission était très dangereuse et qu’ils ne reviendraient peut-être jamais. Ils ont exploré la Lune, non pas pour eux-mêmes, mais pour l’humanité. La race humaine devait faire les premiers pas et avait donc besoin de ces pionniers qui se sacrifieraient et partiraient en premier.
Les astronautes avaient aussi des familles et connaissaient les dangers qui les attendaient. Lorsqu’un des astronautes fut interrogé : « Avez-vous pu dormir la nuit dernière? » Il répondit : « Oui, j’ai dormi. » « Avez-vous pris des somnifères? » « Non! Je n’ai pas pris de somnifères, mais j’ai fait de terribles cauchemars. » Il savait en effet que, dès qu’il serait à bord du vaisseau, il était possible qu’il n’en revienne jamais.
Ces astronautes sont nos yeux que nous avons envoyés dans l’espace pour voir à notre place. Mais avons-nous écouté, avons-nous vu quelque chose quand nos yeux nous ont rapporté ce qu’ils ont vu ? Nous devons éduquer nos enfants afin qu’ils puissent voir la valeur de la vie et de la Planète Terre, voir comme il est précieux d’être né, puis de grandir, marcher et respirer sur cette Planète. C’est l’éveil. Dès que nous voyons cela, nous touchons au bonheur de faire un pas, au bonheur d’exprimer un mot. Lorsque nous entrons en contact avec la Terre Mère, chacun de nos pas est empli d’amour, chaque mot que nous prononçons est empli d’amour. Cette vision nous change complètement.
Le Bouddha était aussi nos yeux. Il n’avait pas besoin de voyager dans l’espace, il avait juste besoin de s’asseoir sous l’arbre de la Bodhi. Avec les yeux de son esprit, il a vu très profondément et nous a rapporté l’existence d’un monde de liberté, le nirvana. Et il y a un chemin vers cette liberté, c’est le Noble Sentier Octuple. Dans le passé, beaucoup de ses disciples l’ont loué comme les yeux du monde.
Les astronautes ont également suivi cette voie. Ils se sont portés volontaires pour être nos yeux, pour voir pour nous et nous transmettre la vue profonde. Avons-nous vu ou non ? Combien de cloches ont retenti et combien d’images ont été renvoyées ? Pourtant, nous vivons toujours dans le sommeil, nous continuons à nous infliger des souffrances les uns aux autres, et à détruire cette œuvre d’art unique de l’univers. En tant que parents, enseignants, frères et sœurs aînés, vous devez avoir cette vision profonde et la transmettre à vos enfants et à vos plus jeunes frères et sœurs. Nous devons nous réveiller. Sans cela, il sera trop tard ! Le bouddhisme s’appelle le Chemin de l’éveil. C’est précisément cela que signifie l’éveil.
Si vous souhaitez approfondir les enseignements de Thich Nhat Hanh consacrés à l’écologie profonde, nous vous conseillons l’ouvrage ‘Le Zen et l’Art de sauver la Planète‘ ou, si vous comprenez l’anglais, notre nouveau cours en ligne, Zen and the Art of Saving the Planet.
