Nous sommes frères Pháp Lý, Đức Hiền et Đức Định, trois membres monastiques du Village des Pruniers. Il y a quelques mois de cela, nous avons mis en mouvement un projet qui germait dans nos cœurs depuis un bon moment : marcher d’une Sangha à l’autre, juste avec notre sac à dos et s’en remettre à la générosité de nos hôtes.
Vous pouvez écouter nos trois frères partager sur leur pèlerinage en cliquant ici, et regarder le diaporama en cliquant ici.
L’idée s’est focalisée, du fait de la situation sanitaire, sur les Sanghas locales, les personnes qui ont souhaité se rapprocher physiquement du Village des Pruniers à un moment de leur vie mais qui n’ont pas pu venir pratiquer avec nous depuis un an, le village étant fermé.
Nous avons écrit une proposition, pour le conseil des bhikkhus (moines pleinement ordonnés) du Hameau du Haut, qui a été acceptée.
Une fois la retraite francophone en ligne terminée, nous étions donc prêts à prendre le chemin !
Témoignage
Par frère Đức Hiền (frère Bienveillance)
Tout d’abord un immense merci à toutes celles et ceux qui nous ont ouvert leurs portes, leurs bras et leurs cœurs, et sans qui ce pèlerinage n’aurait pu se manifester.
Quelle joie de pouvoir mettre en mouvement, sous la forme d’une tournée « spirituelle », cet élan de gratitude envers Thay, la communauté monastique et tous les amis, résidents proches du Village des Pruniers, que par affection nous appelons « voisins/voisines ».
Nous vivons dans un village, n’est ce pas ? Alors rendre visite à ses voisins, prendre de leurs nouvelles, partager notre bonheur d’être ensemble sur ce beau chemin, quoi de plus naturel ! Surtout quand nous sommes confrontés à une situation sanitaire plutôt déstabilisante et incertaine.
Je ressens pleinement, en ouvrant grand mes oreilles, combien il est difficile et frustrant d’avoir choisi de venir vivre tout à côté du monastère et d’y être « interdit de séjour ». Bien sûr chacun fait l’effort de comprendre cette décision de fermeture, mais le sentiment de manque re-surgit au détour d’une émotion d’isolement, de séparation, de rejet… ou tout simplement de souvenirs de bonheurs partagés lors des journées de pleine conscience ou des retraites.
Et cela est évoqué par un grand nombre de pratiquants, même si beaucoup d’initiatives ont été prises pour rester en lien et pratiquer à distance.
J’ai moi-même (ainsi que mes filles) longtemps pris refuge dans la communauté de pratique en venant m’y baigner très régulièrement et j’ai bien conscience de la puissance d’inspiration de cette immersion.
Au point d’en faire finalement ma demeure et de m’y enraciner joyeusement !
Pour ma part, il est aussi grand temps d’aller prendre l’air, de m’extraire de cet environnement (merveilleux certes) mais devenu un peu trop routinier. Je ressens clairement ce besoin de mettre à distance ce qui m’est si précieux, pour prendre de la hauteur et en découvrir à nouveau les vertus et les bienfaits.
Je vois que ce n’est pas si facile de me renouveler en passant uniquement par l’intériorité, j’ai aussi besoin de stimulations inattendues, de découvertes enthousiasmantes, d’impromptus déroutants, d’une certaine confrontation avec la vie « extérieure ».
Le feu de l’aspiration monastique à être au service nécessite une alimentation régulière en combustible, sinon la flamme s’amenuise au risque de s’éteindre. En tout cas pour moi !
Déjà, quelques semaines avant notre départ, je me sens régénéré par le sentiment d’avoir été compris (et soutenu) par nos frères Bhikkhus, la complicité grandissante avec mes deux compagnons d’aventure (Fr Phap Ly et Fr Duc Dinh) et les temps de préparation par zoom avec nos trois complices et bodhisattvas de l’organisation (Adrien, Julien et Christian).
Nous imaginons un parcours depuis Sarlat jusqu’à l’océan, coulant comme une rivière (la Dordogne), d’approximativement 300 kms, à pied bien sûr !
D’abord parce que nous aimons la marche et cette sensation de communion avec mère nature dans le silence de l’effort, mais aussi pour s’abandonner un peu plus encore au chemin et s’inscrire dans cette lignée de pèlerins, à l’image de nos ancêtres spirituels.
Tout comme eux, incarner la confiance et la foi en cultivant ce qui est l’essentiel : la qualité de présence à soi, aux autres, à la vie.
D’ailleurs en parlant de confiance, dès notre deuxième réunion de préparation nous voilà déjà la « tête à l’envers ». Après étude du parcours, des étapes et des possibilités d’accueil nous nous rendons à l’évidence que le chemin nous amène plutôt à remonter la rivière.
Alors en avant pour le retour à la source !
En tant que monastiques du Village des Pruniers nous avons un privilège inouï que nous devons à Thay, sœur Chan Khong et tous nos aînés. Celui de véhiculer, de représenter quelque chose de bien plus grand que nous.
Cette sensation libératrice de ne pas avoir à exister par soi-même, de ne rien avoir à démontrer, à prouver, à justifier, tout est déjà là !
Grâce à la pratique de la pleine conscience que nous partageons avec nos hôtes, chacun peut se relier à la source sans avoir besoin de personnaliser son origine.
Je peux alors goûter très souvent à cette joie d’être authentique, de laisser le mouvement de la vie se manifester naturellement.
Laisser émerger cette spontanéité bienveillante qui nous rend complice, relâche les appréhensions, libère les peurs, dénoue les tensions intérieures, nous fait sourire et parfois même rire allègrement.
Et soudain, subtilement apparaît à la conscience ce parfum de félicité, cette essence indescriptible de l’être ensemble, là où tout Inter-est.
Cela embaume l’atmosphère et plus rien d’autre n’a d’importance.
Un pur état de grâce !
En allant d’une maison à l’autre au cours de ce mois de mai, je me suis profondément réjouis de voir qu‘ensemble nous parvenions à reproduire aisément ce « miracle de la pleine conscience » (si merveilleusement enseigné et incarné par Thay).
Prodigieusement avec les amis qui nous reçoivent nous co-créons implicitement les conditions de la joie et du bonheur d’être sous le même toit ou dans le jardin : un repas en silence, un regard bienveillant dans l’acceptation de ce qui est, une écoute profonde et attentive où chacun peut se dire vraiment, des gestes délicats et attentionnés, du temps et de la disponibilité pour être véritablement ensemble, des élans de gratitudes partagés, des moments de pratique formelle (parfois), de la légèreté et de l’humour qui désamorcent tout ce qui en nous pourrait se prendre au sérieux, de la douceur dans les intonations de voix et de la conscience dans les mots utilisés, des sourires complices, une bonne dose d’humilité, la richesse du partage de nos parcours de vie, de l’émerveillement, l’accueil de nos souffrances, de nos inconforts ou de nos mal-être, l’énergie et l’intérêt pour cuisiner végétarien (voire végétalien), nos espaces de couchage préparés avec soin et bonté, et cette multitude de détails dans les actes du quotidien qui nous élèvent à la vibration de l’amour véritable.
Et lorsque nous reprenons la route nous ressentons au creux de nous même cette bénédiction d’avoir tissé ensemble la toile du vivant, un peu sonné aussi par tant de beauté relationnelle et d’affection.
Nous sommes définitivement frères et sœurs sur la voie de l’éveil !
En parlant de frères, voilà mes deux compères qui me reviennent à l’esprit. Cette manière d’être présent l’un pour l’autre dans le silence, de se faire confiance, de se soutenir quand le doute apparaît, de jouer librement à se taquiner, de se dire à partir du sensible, de se respecter humblement, de se laisser de l’espace et du temps, de s’accueillir dans nos vulnérabilités, de s’encourager à exister pleinement, d’être délicatement attentionné, voilà un bel échantillon de ce qui nous a été donné de vivre durant ces trente jours d’exploration de notre humanité.
Une fraternité active, complice et aimante !
En contemplant ses sensations, je réalise que j’ai assez rarement goûté à cela entre hommes, sur une telle durée, en particulier avant la vie monastique.
Merci, chers frères bien aimés !
Il y a aussi de toute évidence ces empreintes que laissent nos pas derrière nous ! Ce fil d’Ariane qui s’étire et relie les cœurs d’un foyer à l’autre, d’une sangha à l’autre. Tous ces liens qui sont revigorés, vivifiés, restaurés à notre passage. A vrai dire nous n’y avions pas songé.
L’effet Covid a laissé s’installer une certaine distance (de fait) et nombreux sont ceux qui ont exprimé que notre passage a permis de se sentir à nouveau cellules d’un même corps de pratique. Avec l’envie de continuer à nourrir, faire fleurir et rayonner toutes les aspirations et initiatives locales.
Bon, je me suis amusé à additionner le nombre de personnes avec qui nous avons pratiqué de manière formelle durant notre périple et nous avoisinons les 300. Ca fait du monde en un mois !
Et cela sans compter les personnes rencontrées de manière plus conventionnelle.
Heureusement il y a les journées de marche où, pas à pas, nous détendons notre esprit de toutes ces stimulations et revenons au silence intérieur dans la contemplation et le mouvement de nos corps. Un très bel équilibre entre les joies d’une vie sociale engagée et le retour à soi.
Quel cadeau d’être en bonne santé et de pouvoir marcher longuement pour mieux se laisser embrasser par mère nature. Disponibles au rythme lent de nos pas et de notre respiration nous redécouvrons la puissance et la joie de cette communion avec le monde minéral, végétal et parfois animal.
Le tout régulièrement arrosé par de généreuses averses !
Qu’il est bon de se sentir tout petit, plutôt vulnérable et humblement émerveillé par la grandeur et la beauté du monde manifesté.
Le déferlement enivrant des vagues sur l’océan et le tourbillon incessant de la pluie et du vent me font frissonner de complétude.
Les vastes étendues de pins associées au chêne vert, à la fougère et au sol sableux me ressourcent et m’apaisent.
L’atmosphère féerique des prairies fleuries, dansant avec le vent, accompagnées par le doux murmure des ruisseaux, m’enchante.
Puis les forêts profondes et mystérieuses de hêtres, de chênes, de charmes et de châtaigniers que mes cellules reconnaissent joyeusement comme le terrain de jeu de mon enfance.
Et enfin les rivières, les falaises et les grottes qui nous inscrivent dans le sillon du temps et de l’érosion et nous rappellent que nous sommes à la fois cette immensité en perpétuelle transformation et définitivement bien peu de choses.
Cela me ramène à tous ces instants suspendus, lors d’un partage en groupe, d’une méditation assise, d’une chanson, d’un échange inspiré, d’un repas ou d’une marche en pleine conscience, où je me suis senti prendre intensément conscience de la joie et de la bénédiction « d’être moine ».
D’être le représentant d’une voie, d’une tradition, d’un maître, d’un enseignement, d’une communauté qui œuvre pour la paix en soi et dans le monde.
D’être l’émissaire d’un centre de pratique ou l’on cultive la joie et l’amour véritable et où l’on approfondit l’art de la souffrance.
D’être clairement porteur d’une aspiration, partagée avec toute la communauté, de toujours révéler et célébrer la nature d’éveil qui sommeille en chacun de nous.
Ou tout simplement « Être » avec le soutien puissant et clair de la robe et du corps de préceptes.
Je reconnais aussi en moi cette partie qui n’adhère pas encore complètement à la nécessité d’adopter une forme (la robe monastique) et qui aspire à vivre dépouillé au cœur de l’essentiel : l’Amour, la Paix, la Joie !
Mais je vois très clairement que cet engagement à s’abandonner à plus grand que soi, à se consacrer à la vie spirituelle, à cultiver et explorer le plus intime de soi, à prendre soin du vivant, à incarner la sobriété heureuse me porte et inspire celles et ceux qui nous accueillent.
Dans ce jeu de miroir nous reflétons la part lumineuse de nous même pour mieux embrasser ce qui continue de nous tourmenter.
Et ce reflet lumineux rayonne d’autant mieux qu’il se sent rassuré par la clarté de la forme et donc de l’engagement.
Je repense ici avec émotion à ces connexions tendres et ensoleillées qui se sont offertes avec les enfants que nous avons eu le bonheur de rencontrer lors de notre séjour, ici ou là.
Souvent après un premier temps d’observation du coin de l’œil et quelques hésitations peut-être, jaillissait une explosion de jeux, de rire, d’histoires racontées, de gestes d’affection, d’exploration main dans la main, réveillant nos enfants intérieurs et nous propulsant dans une joie instantanée.
Là aussi les frontières disparaissent et avec elles tout ce qui semble nous séparer. Il ne reste que cette fraîcheur intense et parfumée qui est la fragrance subtile du vivant, libérée de toute interprétation mentale ou émotionnelle.
C’est exactement cette dimension ineffable de la rencontre avec vous toutes et tous, compagnons sur le chemin de l’éveil, qui continue à vibrer et à sourire en moi, alors que je joue avec les mots de ce récit pour tenter de nous en partager l’essence.
Puissions-nous chérir ce trésor pour l’éternité, conscient et heureux de savoir qu’il est en perpétuel renouvellement. Merci la vie !
Ps : et la musique bien sûr, avec ses trois chansons glanées sur le chemin (merci à Pascale et Luce)
Pour en lire plus sur cette tournée et découvrir notre journal de bord, cliquez sur les liens suivants :
- Pèlerinage en gratitude : “La tournée des voisins” – 2/3 :
Journal de Bord. - Pèlerinage en gratitude : “La tournée des voisins” – 3/3 :
Voyage en prose.
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