Dans cet article, soeur Dinh Nghiem raconte son expérience lors des sept dernières années passées auprès de Thay, avant qu’il ne redevienne un nuage. Cet article est publié en trois parties: la première partie relate les évènements qui ont directement suivi l’AVC de Thay en 2014, et le séjour de Thay à l’hôpital à Bordeaux.
Après un accident cérébral majeur comme celui de Thay, sept années de vie pourraient apparaître comme une suite interminable de moments d’impuissance, de chagrin et de désespoir pour quelqu’un qui ne pratique pas. Mais grâce à son expérience et sa réalisation intérieure, Thay est resté toujours lui-même, l’Enseignant, notre maître – proactif dans chacune de ses décisions et nous guidant continuellement dans la pratique. Thay nous rappelait de pratiquer et de nous établir dans le moment présent – plutôt que de regretter le maître que nous avions connu dans le passé, de considérer notre présent comme une période de deuil ou de nous inquiéter de l’avenir. Grâce à ses enseignements, nous avons profité d’innombrables moments de joie et de bonheur en sa compagnie au cours de ces sept années.
Thay nous a enseigné à pratiquer la pleine conscience non seulement avec notre conscience mentale mais également avec notre conscience du tréfonds. Et Thay enseignait ce qu’il pratiquait. Depuis mon premier jour au Village des Pruniers, jamais je n’ai vu Thay faire un pas sans être en pleine conscience. Grâce à une pratique continue au cours de longues années, Thay a imprégné de pleine conscience sa conscience du tréfonds. Avant de tomber malade, Thay nous a un jour raconté que dans ses rêves, il se voyait lui-même en train de pratiquer la marche méditative, de s’émerveiller face à la nature, de chérir chaque feuille verte de palmier.
Pendant le coma qui a suivi son attaque cérébrale, Thay a continué de respirer en pleine conscience, sans jamais perdre son état de pleine conscience. Un matin, le médecin a examiné les résultats du scanner, a remué la tête et prédit qu’il restait tout au plus à Thay un ou deux jours à vivre. Les moines et les moniales des quatre coins du monde se sont immédiatement rendu.e.s en France pour lui rendre hommage, une dernière fois.
Les médecins ont été très étonnés de constater que le taux d’oxygène dans le sang de Thay était aussi élevé que 96 ou 99%, et que sa respiration demeurait profonde et régulière, sans qu’il soit nécessaire de recourir à un dispositif d’assistance respiratoire. C’est la respiration qui nourrit, la respiration qui guérit. Deux jours ont passé. Thay reposait toujours calmement, la respiration régulière, et rayonnait d’une telle énergie de paix que les médecins et les infirmières prenaient plaisir à se rendre dans sa chambre. Une femme médecin venait souvent dans la chambre de Thay, quand elle était épuisée ou stressée. Elle se contentait de regarder Thay pendant un long moment, calme et détendue, avant de retourner à son travail.
Les jours ont passé. Thay demeurait allongé calmement et il continuait à respirer de manière régulière. Les médecins et les infirmier.e.s ne pouvaient rien faire en termes de traitement. Il n’y avait qu’à observer et attendre. Attendre la décision de Thay.
La quatrième nuit, tout d’un coup, Thay a ouvert les yeux. Il a regardé l’un.e après l’autre tou.te.s les attendant.e.s réuni.e.s autour de son lit. Son premier mouvement a consisté à lever son bras gauche, faiblement, pour tapoter la tête de l’attendant qui était le plus proche de lui. À partir de ce moment, Thay est peu à peu sorti de son coma avec une conscience claire. Trois jours plus tard, Thay a regardé chaque attendant.e et lui a souri – de son sourire familier et plein d’amour.
A peine deux semaines et demi après son AVC et coma, Thay a commencé à s’exercer de manière indépendante pendant la nuit en bougeant ses bras et ses jambes. Exactement un mois plus tard, l’appareil digestif de Thay a recommencé à fonctionner normalement. Le médecin en chef a fait venir des physiothérapeutes quotidiennement pour entraîner Thay à faire des exercices pour ses bras et ses jambes, à réapprendre à s’asseoir et à avaler de la nourriture. Ensuite, Thay a été transféré au centre de réhabilitation de l’hôpital pour s’exercer à la prononciation, à la mastication, à se tenir debout, à pédaler et à reprendre peu à peu le contrôle des membres de son corps.
Les premiers jours, une infirmière a nourri Thay. Mais seulement quelques jours plus tard, Thay s’est emparé de la cuillère et s’est nourri par lui-même. Chaque jour, Thay surprenait les médecins et les infirmier.e.s avec ses progrès. À certains moments, Thay se mettait à rire tout haut, avec beaucoup de joie. Quand ses attendant.e.s, assistant le médecin et l’infirmière, ont aidé Thay à s’asseoir pour la première fois, ils ont découvert que Thay avait déjà essayé de trouver un moyen de s’asseoir les jambes croisées sur son lit d’hôpital. Il a continué de nombreuses fois à s’entraîner à s’asseoir les jambes croisées de cette manière.
Parfois, Thay s’asseyait en méditation sur un coussin placé directement sur son lit, et d’autres fois sur une chaise pendant 30 à 45 minutes. Si un exercice s’apparentait à une forme d’infantilisation, Thay le refusait aussitôt en faisant non de la tête. Il faisait même un signe de la main pour saluer le médecin, puis l’invitait à quitter la chambre. Peu à peu, Thay a cessé de suivre les instructions des physiothérapeutes, et ce sont les physiothérapeutes qui ont dû suivre Thay . Après avoir été témoin des miracles qui se produisaient chaque jour chez Thay, le médecin en chef – le Docteur Rouanet – a déclaré : « Désormais, je sais que je ne comprends rien au cerveau humain ! ».
(Pour continuer à lire les parties 2 et 3:
-Partie 2: plumvillage.org/fr/articles-fr/thay-a-ete-toujours-lui-meme-soeur-chan-dinh-nghiem-partie-2
-Partie 3: plumvillage.org/fr/articles-fr/thay-a-ete-toujours-lui-meme-soeur-chan-dinh-nghiem-partie-3)