Thay a été toujours lui-même (Sœur Chân Dinh Nghiêm) – Partie 3

Dans cet article, soeur Dinh Nghiem raconte son expérience lors des sept dernières années passées auprès de Thay, avant qu’il ne redevienne un nuage. Cet article est publié en trois parties.

Thay entouré de ses disciples monastiques en Thaïlande.

Thay a non seulement indiqué la voie à suivre pour sa guérison et son rétablissement, mais il a également continué à nous guider sur le chemin de la pratique quotidienne.  Le premier jour de pleine lune, allongé sur son lit d’hôpital à Bordeaux, Thay nous a montré du doigt la pleine lune qui brillait à travers la porte vitrée.  C’est également dans sa chambre à l’hôpital que le Maître et les disciples ont contemplé ensemble les feux d’artifice du Nouvel An.  

Parfois, Thay indiquait aux médecins et aux infirmières de regarder par la fenêtre de l’hôpital pour voir le ciel bleu, les nuages blancs, ou deux oiseaux jouant sur une branche d’arbre.  De même, peu importe où il se trouvait, chaque fois que Thay voyait un lever ou un coucher de soleil, il demandait à toutes les personnes présentes de le contempler avec lui.  Thay a continué à apprécier les moments où Maître et disciples s’asseyaient ensemble pour boire une tasse de thé et admirer la lente floraison des fleurs de cactus, que ce soit à l’Ermitage ou dans la hutte du Regard Lointain en Thaïlande.

Chaque fois que Thay se sentait mal sur le plan physique, ses attendants poussaient sa chaise roulante à l’extérieur, et ils pratiquaient ensemble la marche méditative.  En se mouvant lentement et calmement de cette manière, Thay se sentait tout de suite mieux.  Les jeunes moines et moniales rendaient souvent visite à Thay à l’Ermitage, où il avait planté un arbre ylang-ylang qui venait du Vietnam.  Thay les emmenait cueillir les fleurs et puis il élevait une fleur jusqu’à leurs narines pour qu’ils en apprécient le parfum.

Quand est venu l’été, Thay est allé admirer la colline de tournesols dorés qui rayonnaient de leur splendeur juste derrière l’Ermitage.  Et quand ça a été la saison des chrysanthèmes en France, Maître et disciples se sont rendus ensemble au marché aux chrysanthèmes.  Puis, pendant les célébrations du Nouvel An Lunaire dans l’ancienne capitale de Hue, nous sommes allés admirer les fleurs de pruniers sur le marché local.

En suivant Thay, nous n’avons manqué aucune occasion de contempler les quatre saisons.  Après être arrivé au Village des Pruniers de Thaïlande et s’être reposé quelques jours à peine, Thay a demandé à ses attendants de le pousser dans sa chaise roulante pour aller escalader toutes les collines situées dans l’enceinte du monastère.  La sangha s’est rassemblée en groupes pour suivre Thay jusqu’au sommet de ces collines.  Chaque fois que Thay apparaissait, les activités les plus ordinaires du programme de la journée devenaient des moments légendaires :  la marche méditative, la méditation assise, le petit déjeuner, le repas de midi, etc.

Nous nous souvenons encore du jour où, pour la première fois, assis sur le sofa à l’ermitage, Thay a soudain commencé à chanter « Namo Avalokiteshvara » avec nous.  Les jours qui ont suivi, Thay a chanté une chanson après l’autres, en passant du vietnamien à l’anglais et au français.  Chaque jour, nous pratiquions la marche méditative en chantant.  Parfois, nous chantions des chansons longues comme « À la recherche l’un de l’autre ».  Ensuite, Thay est allé dans sa bibliothèque pour relire les documents qui s’y trouvaient.  Il s’entraînait à lire les poèmes qu’il avait écrits auparavant.  Sur du papier à calligraphie, il s’est exercé à tracer des cercles, à écrire le mot « respire » en vietnamien, « thở », et à écrire des caractères chinois, le tout avec beaucoup de joie.

Un jour à San Francisco, Thay était en train d’écouter l’enregistrement de l’un de ses poèmes lu par lui-même, quand il s’est mis à faire des signes de la main et à utiliser les expressions de son visage pour illustrer les idées du poème.  Les moments les plus passionnants, c’était quand Thay s’exerçait sur le vélo d’appartement. Il était question de pédaler, d’écouter de la musique, et d’apprécier les scènes qui se déroulaient sur un écran en face de lui.  Les scènes étaient là pour donner à Thay l’impression de pédaler sur une plage ou sur des chemins de campagne au cœur d’une nature charmante. 

Parfois, Thay était fatigué, mais il persistait et pédalait sans arrêt jusqu’à ce qu’il s’endorme en pédalant!  Les moments les plus spectaculaires ont été ceux où Thay est parvenu à se tenir debout tout seul, sans qu’un attendant ne le soutienne d’un côté.  Le jour où c’est arrivé pour la première fois, Thay a voulu manger son déjeuner debout!  Les visage du Maître et de ses disciples rayonnaient de bonheur et d’un grand enthousiasme.  Ensuite, il y a eu les fois où Thay s’est tenu debout très droit sur une planche à roulettes et où les attendants l’ont déplacée en cercles lents dans sa hutte. C’était assez étrange.  Thay ne disait rien, mais où qu’il aille, le lieu s’emplissait aussitôt de chaleur, de joie et d’amour.  

Thay lisant un livre que ses disciples ont écrit pour lui avec soeur Dinh Nghiem.

Pendant les travaux de restauration du Temple Racine, afin d’éviter le bruit et la poussière, Thay a accepté de se rendre à de nombreuses reprises sur les plages avoisinantes de Thuan An et de Da Nang.  Il s’est aussi baigné dans la mer avec l’aide des frères qui étaient ses attendants.  Cela faisait peut-être longtemps, 60 ou 70 ans, que Thay n’avait pu s’immerger dans l’eau chaude de la mer.  Thay voulait toujours aller plus loin dans la mer  –  encore et toujours plus loin.  Ces journées-là ont été celles où Thay a exprimé de la manière la plus évidente un état de joie propre au monde de l’enfance et du jeu purement gratuit ; ça a été, pour le maître et les disciples, les jours les plus amusants passés en bord de mer. N’est-ce pas, Thay ? 

En 2020, Thay s’est sensiblement affaibli.  Il ne faisait plus le tour du temple et ne se rendait plus dans la hutte de Grand-Père Enseignant (le maître de Thay).  Mais, tandis que nous inspirions, nous étions bien conscients que Thay était toujours vivant. En expirant, le sourire aux lèvres, nous chérissions la vie.  Nous continuions à profiter pleinement de chaque moment aux côtés de Thay, sans nous laisser atteindre par des regrets ou des inquiétudes.  Thay nous a montré que même avec un corps vieillissant, malade et affaibli, affecté de nombreuses douleurs et de maux, Maître et disciples pouvaient continuer à vivre des moments de bonheur dans n’importe quelle situation.  Cela était possible grâce à la pratique qui consiste à nous établir dans le moment présent avec bonheur enseignée par le Bouddha.   

Tout au long de ces sept années, nous avons pu observer que chaque acte de Thay était la manifestation d’une conscience du tréfonds transformée, emplie des fruits de la pratique constante d’un pratiquant authentique.  Ces fruits avaient le pouvoir de changer complètement le milieu environnant.  Tout ce qui devait être fait, Thay le faisait avec tout son amour.  Enfin, avec une conscience claire, Thay a décidé de devenir un nuage, aussi calmement et résolument qu’il l’avait fait au cours de toutes ses décisions précédentes.  Le nuage de Thay a embrassé ses enfants dans le Dharma dans une atmosphère de chaleur et de sérénité  –  hier, aujourd’hui, et pour toujours.    

(Pour lire les parties 1 et 2:

-Partie 1: plumvillage.org/fr/articles-fr/thay-a-ete-toujours-lui-meme-soeur-chan-dinh-nghiem-partie-1

-Partie 2: plumvillage.org/fr/articles-fr/thay-a-ete-toujours-lui-meme-soeur-chan-dinh-nghiem-partie-2)


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What is Mindfulness

Thich Nhat Hanh January 15, 2020

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