La qualité de nos actions est vraiment déterminante. Si nous voulons un monde fondé sur l’attention à l’autre, alors l’amour et la compassion doivent constituer la trame de chacun de nos instants.
Frère Phap Huu lors de la Cérémonie de prise de Refuge dans la Retraite des pluies
Chers amis sur le chemin,
C’est le 19 octobre dernier que la Communauté du Village des Pruniers en France a démarré sa retraite des pluies 2023-24.
La communauté, constituée de 57 moines, 84 soeurs, et 84 pratiquant.e.s laïcs s’est engagée à demeurer en paix, ensemble, pour 90 jours. Cette précieuse opportunité nous permet d’apprendre en profondeur, d’appliquer et de continuer à faire évoluer les enseignements de Thầy (Maître Zen Thích Nhất Hạnh) en matière d’éthique. Nous étudierons les enseignements qu’il avait offerts l’hiver 2008-2009 et en juin 2009, et qui ont établi les fondements de l’approche du Village des Pruniers en matière d’éthique mondiale.
La retraite des pluies s’est ouverte par la “Cérémonie de prise de Refuge” au Temple du Nuage du Dharma (Hameau du Haut). Les frères et soeurs aînés de chaque hameau y représentaient la sangha afin de prendre refuge en Thây et les maîtres ancestraux.
Frère Pháp Hữu, Abbé du Hameau du Haut, a partagé ses émotions de tristesse, de souffrance, d’injustice, de chagrin ainsi que son sentiment d’impuissance face aux guerres qui sévissent actuellement.
Les graines de la violence et de la peur liée au passé ont été touchées. Je sais que ces émotions ne sont pas uniquement les miennes, qu’elles sont partagées par de nombreuses personnes de par le monde en ce moment. Je vais néanmoins pratiquer pour transformer la guerre et le conflit qui demeurent encore en moi.
Je vais m’entraîner à transformer la tristesse en énergie de paix intérieure, en joie, en amour, de façon à ce qu’un sourire puisse encore éclore sur mes lèvres, que cette énergie voyage loin, jusqu’à atteindre la douleur et les larmes de ceux qui souffrent.
Frère Pháp Ứng, l’aîné des moines du Village des Pruniers en France, adressa cette réponse :
Ensemble, nous pratiquons pour cultiver la paix à chaque pas et chaque respiration. Si nous créons l’harmonie et l’acceptation au sein de notre communauté, nous pouvons offrir un refuge pour nos familles, nous-mêmes et notre société.
Il est possible de planter des graines de paix et de guérison. Il y a de l’espoir pour les jeunes générations. Nous savons que nos ancêtres et nos descendants sont là pour nous soutenir.
Nous avons le droit d’être heureux. Notre bonheur et notre paix sont essentiels pour embrasser la douleur et la souffrance dans le monde.
Soeur Chân Đức (Soeur “Vraie Vertu”), en tant que représentante de la communauté des moniales, offrit ce partage :
Ce dont le monde a besoin en ce moment, c’est que chacun.e d’entre nous crée des espaces de non-peur. Ce que je transforme en moi, à partir de mon lieu de vie, pénétrera à l’extérieur du Village des Pruniers.
Soeur Chân Không, l’aînée de la communauté monastique internationale du Village des Pruniers partagea ceci durant la Cérémonie :
Je prends refuge en chaque élément de la sangha, en chacun.e d’entre vous.
L’esprit de la Retraite des Pluies
Nous vous proposons ci-après un extrait de l’enseignement offert par Thây le 12 septembre 2004 à propos de “L’esprit de la retraite des pluies”.
Ce n’est pas un moyen, c’est une fin en soi
« La retraite n’est pas un moyen d’atteindre quoi que ce soit : elle est une fin en elle-même. La retraite doit être synonyme de bonheur, elle n’est pas un moyen d’obtenir le bonheur, mais elle est le bonheur lui-même. Ainsi, notre pratique de l’assise est le bonheur. Nous ne nous asseyons pas uniquement parce que d’autres le font. En marchant, nous marchons de manière à être heureux. En écoutant un Enseignement du Dharma, nous écoutons de manière à être heureux. En mangeant, nous mangeons de manière à être heureux. Qu’il s’agisse de laver nos bols ou nettoyer le sol, travaillons de manière à être heureux. Nous devrions tous nous assurer de savoir comment y parvenir.
Les autres personnes qui s’assoient avec nous peuvent nous fournir une énergie de soutien afin que nous puissions réussir notre séance. Ainsi, pratiquer l’assise 45 minutes n’est ni un devoir, ni une activité programmée, mais un plaisir. Dans notre monde, nous sommes tous très occupés. Le fait de pouvoir s’asseoir sans rien faire, avec un esprit clair, s’asseoir confortablement, s’asseoir pour être soi-même représente une opportunité dont bénéficient très peu de personnes dans la société.
Le temps passé en position assise est nourrissant et joyeux. Chacun.e doit trouver sa propre voie pour y parvenir. Nous pouvons consulter nos frères et sœurs aînés, ou les plus jeunes, pour comprendre comment ils y parviennent, comment ils sont heureux en se nourrissant de la méditation assise. La méditation assise n’est pas un moyen, c’est aussi une fin. »
Simplement s’asseoir. Simplement marcher. Simplement manger.
« Dans le Zen Soto, l’expression “Chỉ quán đả toạ” signifie “simplement s’asseoir”, ce qui implique que nous ne pensons pas au résultat que peut procurer l’assise. Nous nous asseyons de manière à pouvoir nous éveiller comme le Bouddha durant l’assise. Ceci peut aussi s’appliquer à d’autres moments de la retraite. Nous pouvons par exemple simplement marcher pour marcher ; de façon à devenir une personne libre. Le bonheur est présent à chacun de nos pas. “Chỉ quán đả hành”, ça veut dire “simplement marcher”.
Et quand on mange, on mange tout simplement. Nous ne mangeons pas pour devenir quoi que ce soit. Simplement, on mange… et on est heureux en mangeant.
Nous avons 90 jours pour pratiquer de la sorte. Nous le faisons chaque jour : nous nous asseyons, nous marchons, nous lavons nos vêtements, nous mangeons, nous faisons la vaisselle. Nous le faisons en tant que personne libre, car notre bonheur se fonde sur la liberté, et non sur notre désir de consommer ou de faire du shopping. Nous devons donc nous préparer à cette retraite, comme nous nous préparons à la célébration de Têt (fête du nouvel an lunaire). Si nous voyons la retraite de 90 jours comme une longue célébration de Têt, nous serons heureux et nous sentirons que nous sommes en train d’accomplir un devoir envers nos ancêtres spirituels.
Ces dernières semaines, la Sangha a déjà commencé à se préparer pour la retraite. Nous avons organisé des réunions de Sangha, puis changé de chambre, nous avons choisi de nouveaux mentors et établi un nouveau programme, nous avons sélectionné des sutras et des chants, et préparé bien d’autres choses. Mais tout cela ne constitue qu’une préparation sur le plan organisationnel. Il est tout aussi essentiel de préparer notre esprit. Avant toute chose, nous préparons notre esprit en prenant conscience que 90 jours s’offrent à nous et que pratiquer ensemble en cultivant la joie collectivement est une formidable opportunité dont bénéficient peu de personnes. »
Bénéficier de 90 jours pour vivre et cultiver le bonheur ensemble est une formidable opportunité que peu connaissent.
Nous devons nous préparer de façon à ce que chaque jour puisse être bonheur. Chaque journée est nourrissante. Chaque jour est source de transformation. Chaque jour est là pour nous faire toucher du doigt les merveilles de la vie. Chaque journée est une occasion de nourrir la fraternité et la sororité. »
Repartir sur de nouvelles bases
Avant d’initier notre retraite de trois mois avec la cérémonie en face à face, nous avons besoin de dénouer les nœuds internes que nous n’avons pas encore résolus, les choses que nous n’avons pas encore réglées avec nos frères et sœurs. Nous devons dénouer ces nœuds afin d’être totalement libres et clairs le jour de la cérémonie. Nous devons pratiquer le nouveau départ les uns avec les autres. Sans cela, la retraite des trois mois ne pourra pas être aussi pleine, pure et parfaite que nous le souhaiterions.
Nos besoins quotidiens devraient être ‘un peu moins que suffisants’
Dans la tradition monastique, on entend beaucoup cette invitation à vivre selon le principe du ‘tam thường bất túc’. Cela signifie que les trois besoins essentiels du quotidien (nourriture, vêtements et logement) doivent être ‘légèrement moins que suffisants’.
‘Bất túc’ signifie insuffisant, inadéquat. Par exemple, sur une échelle de 10, nous devrions avoir 9 sur 10. Ne nous laissons jamais atteindre 10. Nous devrions être un petit peu en manque. (En vietnamien, cela se dit ‘tam thường bất túc’). Ce qui est merveilleux à ce propos, c’est que lorsque nous vivons selon ce principe, nous sommes plus heureux que lorsque nous possédons ces choses en suffisance ou en excès. C’est la vérité.
Quand Thây était novice, il n’a jamais mangé à 100% de sa satiété. Jamais de façon à être à 100% rassasié. Et ce fut pareil quand Thây a été envoyé à l’Institut Bouddhiste. Toujours un peu moins que la satiété. Thây était pourtant en très bonne santé et avait un bon appétit, malgré la simplicité de la nourriture. A l’Institut Bouddhiste du Temple Báo Quốc, à Huê, les novices cultivaient des patates douces, non pas pour en consommer les racines mais juste les feuilles. Dans un plat de feuilles de patates douces bouillies, il y avait des feuilles jaunies et vieilles, pourtant nous aimions toujours autant les manger. Nous avions rarement de plats fris, nous n’avions que des légumes verts bouillis, trempés dans la sauce soja. C’était la nourriture la plus courante dans les temples. Il n’y avait que du riz, et pas grand chose en accompagnement, juste quelques condiments ou légumes bouillis pour aider à manger le riz plus aisément.
Si nous observons le Village des Pruniers aujourd’hui, nous pouvons voir que nous mangeons un peu trop. Nous ne pratiquons pas le “tam thường bất túc”. C’est pourquoi nous n’avons pas un aussi bon appétit. Nous ne sommes pas en aussi bonne santé. Nous remplissons notre assiette au maximum puis, quand nous lisons les 5 contemplations et le passage disant “ Reconnaissons et transformons nos formations mentales négatives, notamment l’avidité…” nous nous apercevons que nous avons déjà pris beaucoup de nourriture, et qu’il est un peu tard pour contempler! Nous devrions donc contempler avant de nous servir de nourriture.
C’est pour cette raison que le Bouddha a inventé le “ứng lượng khí” [‘le bol de la juste mesure’] ; il s’agit de notre bol d’aumônes, pour que nous sachions quelle quantité de nourriture nous devrions prendre. Si nous mâchons vraiment bien, nous n’aurons pas besoin de manger beaucoup.
Quant aux logements, personne ne disposait d’une chambre personnelle, pas même une chambre pour deux. Toutes les chambres étaient partagées.
Pendant la journée, nous rangions les nattes de paille, et la chambre était à usage commun. Nous n’avions rien qui s’appelait ‘espace personnel’. Ce que nous appelons ‘espace personnel’ ne réside en fait qu’en nous-même, à l’intérieur, pas à l’extérieur; notre vie était véritablement communautaire. Nous partagions tout ensemble, même le temps. Le temps appartient à tous. Il n’y avait rien qu’on appelle “temps personnel”.
La période de noviciat de Thây était un temps très heureux. Si vous êtes heureux durant votre noviciat, alors votre bodhicitta est nourrie, et vous serez heureux tout au long de votre vie. Ce type de bonheur n’est en aucun cas constitué de conditions matérielles car nous vivions notre vie de novice en accord avec les principes du “tam thường bất túc”.
Nous vivons à une époque différente. Nous consommons d’une manière différente, mais nous pouvons toujours suivre le principe d’une vie simple qui ne présente jamais trop de confort matériel.
Nous savons par exemple que nous pouvons manger un bol supplémentaire, mais que ce n’est pas bon pour nous et que cela nous rend moins heureux. Nous nous abstenons donc de prendre ce bol supplémentaire. Si vous avez déjà pratiqué le jeûne avec une nourriture très simple, vous savez que le fait de bien mastiquer rend la nourriture particulièrement savoureuse. C’est un délice largement supérieur à tout type de nourriture gastronomique.
Nous pouvons manger un peu moins, posséder moins de vêtements et ne pas chercher trop de confort dans le logement. Si les laïcs peuvent vivre de la sorte, ils seront plus heureux. Notre société pense que plus nous consommons, plus nous sommes heureux. C’est une perception très erronée.
Consommons avec modération, vivons simplement, que tout manque un peu, et nous serons beaucoup plus heureux “.
Quelques moments de la “Cérémonie de prise de Refuge”