Interview / “Bois ton thé”

Dans cet entretien, Soeur Dinh Nghiem nous partage des moments précieux vécus aux côtés de Thây, les leçons qu’elle a reçues de son maître, ainsi que sa façon d’entrer en contact avec Thay dans le moment présent et ses aspirations pour l’avenir.

Vous avez passé beaucoup de temps auprès de Thay. Est-ce que vous aimeriez partager quelles sont les qualités de Thay qui vous ont le plus touchée?

 C’est la simplicité, l’aspect humain de Thay.

Quand j’étais encore laïque, j’ai eu la chance d’être son attendante. Je m’attendais à voir un Maître Zen tout faire de manière correcte et formelle. Un jour, nous étions dans sa cabane au Hameau du Haut : Thay voulait inviter un son de la cloche mais il ne trouvait pas le bâtonnet, et j’ai été très étonnée de le voir prendre un stylo pour inviter la cloche!

Tout le monde voyait Thay quand il offrait un enseignement, dans la Grande Salle de Méditation, sur Youtube, ou lors d’une conférence publique. On voit toujours Thay comme un maître zen devant la foule, en train d’enseigner le Dharma. Mais si vous aviez la chance d’être avec Thay en petit groupe ou pendant les moments en dehors des activités formelles, vous pouviez voir sa simplicité et son aspect enfantin, et c’était ce qui nous touchait le plus. Par exemple pendant un repas informel dans sa cabane, ou pendant qu’il faisait la cuisine ou qu’il s’amusait avec ses jeunes disciples, il était comme un grand-père. À l’ermitage, -c’est-à-dire chez lui-, Thay jouait plus le rôle de l’hôte, même avec ses attendants : il allait cueillir des pousses de bambou, il disait « bon, tu peux rester là pour t’amuser, pour profiter » et puis il allait faire la cuisine. Si on avait l’habitude, quand Thay était en train d’éplucher des légumes, on pouvait prendre des légumes dans la même bassine que Thây et l’aider. Mais si on n’était pas habitué, on n’osait pas, parce qu’il ne nous demandait pas de faire ceci ou cela, il faisait tout. Et si sans rien faire, vous étiez mal à l’aise, il vous trouverait bien des choses à faire et vous dirait : « Est-ce que tu peux mettre la table s’il-te-plaît? ». Alors on préparait la table, et c’était lui qui servait. Il servait par exemple le riz cantonais qu’il avait préparé dans chaque bol et il mettait le reste au milieu de la table, et dès que qu’on finissait son bol, Thay nous le remplissait à nouveau. C’était son aspect papa, très humain, qu’il avait de manière naturelle.

Dans votre vie monastique, est-ce qu’il y a eu des moments difficiles que Thay vous a aidée à surmonter? Ou alors des moments où c’était une difficulté de la Sangha, et vous êtes allée demander un conseil à Thay, et comment répondait-il dans ces moments-là ? 

Je me souviens qu’un jour, je me sentais très mal mentalement. La Sangha avait une journée de pleine conscience au Hameau du Haut mais je n’y suis pas allée, je suis restée seule au Hameau Nouveau. Thay le savait, et à la fin de la journée, il est passé par le Hameau Nouveau pour me trouver, m’écouter et me parler. Cela m’a profondément touchée. Thay était toujours là pour m’écouter, il me donnait toujours la chance d’expliquer, de lui parler. Je sentais qu’il avait toujours confiance en moi et qu’il me soutenait toujours.

Quand j’étais abbesse au Hameau Nouveau, j’avais toujours des questions pour Thay. Dès que je le voyais, je lui racontais ce qui se passait dans la communauté et je lui demandais conseil. Jamais Thay ne me répondait. Il m’invitait d’abord à prendre le thé avec lui sans répondre à ma question. Et alors j’étais obligée de rester là à prendre le thé cinq minutes, dix minutes, une demi-heure. Cela prenait une demi-heure pour avoir une réponse très courte de lui.

Certainement, il voyait que j’étais tendue et il m’offrait un moment de détente en buvant du thé. À la fin, quand il se levait pour aller offrir l’enseignement, il disait juste un mot, une phrase, pour répondre à ma question avec un sourire. J’avais l’impression que, pour lui, ce n’était pas la fin du monde alors que dans ma tête, c’était la chose la plus importante, ma plus grande préoccupation! Comme Thay me montrait qui ce n’était pas si important, j’ai pu lâcher-prise et percevoir les choses avec plus de légèreté.

De manière très légère et naturelle Thay m’a appris à ralentir, à m’arrêter pour me détendre, pour vraiment passer du temps avec quelqu’un. C’est ainsi que j’ai pu voir les choses différemment, sans stress.

Thay, Soeur Chan Khong, Soeur Dinh Nghiem, Frère Phap Nguyen, et Frère Phap Chung en train de savourer des jacquiers en Indonésie.

Maintenant que ça fait trois ans que Thay n’est plus là physiquement, est-ce qu’il vous manque de temps en temps? Et comment pratiquez-vous dans ces moments? 

Bien sûr, Thay me manque de temps en temps. Pendant la dernière retraite monastique au Hameau du Haut, en septembre 2025, je marchais seule sur une petite allée et que je contemplais le paysage. Non seulement l’image de Thay m’est revenue mais aussi l’image de nombreux Frères et Sœurs qui étaient au Village pendant toutes ces années-là, toutes ces personnes qui ont vécu de tout cœur, qui étaient jeunes à cette époque, qui étaient pleines d’enthousiasme, pleines d’idéal. À cette époque, nous étions tous ensemble à écouter les enseignements de Thay, à marcher sur ce petit chemin, à manger dans la Grande Salle pendant les repas formels. Où sont-ils aujourd’hui? Je sentais la nostalgie, la tristesse, qui commençaient à m’envahir. Alors immédiatement, je suis revenue à ma respiration pour rester ancrée dans le moment présent et j’ai vu que toutes ces personnes sont bien présentes là où je suis et dans tout ce que nous avons aujourd’hui, au Village des Pruniers. De l’état d’une rêveuse, je suis revenue vraiment à l’état d’une pratiquante, la nostalgie et la tristesse se sont transformées rapidement en gratitude. Toutes ces personnes sont encore là dans l’air, dans l’énergie, dans les bâtiments, dans la nature, et surtout dans ma manière de penser, de marcher, de parler, en quelques mots, dans toute ma personne. Et nous qui sommes là aujourd’hui, dans vingt ans, serons-nous encore tous ensemble comme à présent? Si nous vivons de tout coeur avec notre pleine présence, nous serons là pour toujours.

Alors ce moment, cette retraite monastique, sont très importants. Le fait que nous sommes là, vivant profondément chaque instant, investissant tout notre être dans tout ce que nous avons à faire, est tellement important.

Thay et le « bon vieux temps » me manquent de temps en temps mais ne me causent pas de la peine. Je sais comment sortir rapidement de cet état de nostalgie et de tristesse en touchant la dimension ultime. Rien ne se perd.

Je vois vraiment un courant qui coule continuellement. Et j’ai tellement envie de contribuer à la continuité de ce courant. Je ne laisserai jamais ce courant s’interrompre. Avec ce regard vaste, je sens une ouverture, je ne reste pas coincée ou attachée à de petites choses dans la vie quotidienne pour me mettre en colère ou entrer en conflit avec mes Frères et Sœurs dans la communauté.  

Est-ce que vous aimeriez partager comment vous entrez en contact avec Thay dans le moment présent ou dans votre vie quotidienne, dans votre pratique?

 C’est vraiment à travers ses enseignements et ma pratique que j’entre en contact avec Thay. Je viens de vous raconter comment je sors de ma tristesse en revenant au moment présent et cette expérience m’a permis de mieux comprendre Thay. J’avais l’impression de sentir comment Thay a pratiqué pendant toutes ses années d’exil pour ne pas regretter le « bon vieux temps » quand le Vietnam et tous ses êtres chers lui manquaient, sa famille, son Maître, ses étudiants. Certainement, la pratique qui consiste à s’établir dans le moment présent l’a sauvé et l’a aidé à survivre à son exil. 

C’est ainsi que j’ai compris une des raisons pour lesquelles, dans toutes les retraites, la première chose que Thay enseignait était de s’établir dans le moment présent. Et vraiment, en pratiquant dans ma vie quotidienne, il y a souvent des moments où je comprends de mieux en mieux Thay et où je me sens de plus en plus proche de lui. 

Maître et disciples s’émerveillent de la végétation et des fleurs en Indonésie.


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What is Mindfulness

Thich Nhat Hanh January 15, 2020

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