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Bouddhisme engagé / Dialogue autour de la Colère, du Désespoir et du Burnout

Chères amies, Chers amis,

Le 5 juin dernier, le Hameau Nouveau au Village des Pruniers a accueilli un partage d’expérience sur le thème de la colère, du désespoir et de l’épuisement. Ce dialogue a constitué le quatrième enseignement de la retraite de juin 2024 : “Une Voie Ancienne pour les Temps Modernes : l’Éthique Appliquée”.


Dans cet article, nous partageons un extrait inspirant de ce dialogue où Soeur Hien Nghiem (Vrai dévouement) interrogeait Christiana Figueres, leader mondiale de la lutte contre le changement climatique, diplomate costaricienne et élève de Thich Nhat Hanh.

Activisme spirituel & Vision Profonde de l’Inter-être

Christiana, vous identifiez-vous comme une activiste ? 
D'où vient votre passion ? Êtes-vous une activiste 'en colère' ?

Réponse de Christiana Figueres

Oui, parfois, mais pas toujours. Vous m’avez posé cette question : “êtes-vous une activiste ?” Avant toute chose, je me détourne de toute définition de quoi que ce soit, car je considère que cela n’est vraiment d’aucune utilité. Mais je dirais que, dans mon cœur, je suis une personne très engagée dans mon domaine, à savoir la protection de notre belle planète, et que je participe activement à sa protection.

J’ai beaucoup d’amis qui se disent ‘activistes’ et qui pourraient me regarder et dire ‘tu n’es pas une activiste, tu es une vraie mauviette’. Ils restent des amis très chers, car nous avons besoin de tous les types d’engagement possibles.

À titre d’illustration de cette nécessité, je citerai un exemple tiré de l’une de ces négociations internationales auxquelles participaient tous les pays et qui ont débouché sur les négociations de Paris. Les négociations ne se déroulaient pas bien et un de mes bons amis, qui dirigeait Green Peace, a débarqué dans mon bureau pour me dire : “C’est scandaleux ce que font les gouvernements, nous allons sortir d’ici, tous, toutes les ONG, toute la société civile, nous allons descendre dans les rues et manifester contre vous”.

Je lui ai dit : “C’est une excellente idée, avez-vous tout ce qu’il vous faut ? Avez-vous assez de microphones ?” et il a répondu “J’ai deux microphones”, j’ai dit “J’ai accès à six microphones, vous en avez maintenant huit. Quand allez-vous sortir ?”, “Mercredi à 14 heures”. J’ai dit : “D’accord, quelle porte allez-vous prendre ?”, “Nous allons passer par la porte numéro deux”, “Je vous suggère de passer par la porte numéro quatre parce qu’il y a davantage de journalistes à la porte numéro quatre”.

Nous avons examiné et amélioré cette déclaration, ce qui était absolument nécessaire étant donné l’insuffisance des efforts déployés par les gouvernements. La manifestation s’est avérée assez impressionnante et je suis restée assise dans mon bureau à regarder tout ce qui se passait (“c’est très bien”) et les gouvernements se sont légèrement mobilisés en réponse à cette situation.

Ceci signifiait également que je ne pouvais pas renoncer à ma responsabilité, qui était de maintenir à ce moment-là le processus gouvernemental, ce que je ne fais plus aujourd’hui. J’ai maintenant une autre responsabilité.

Nous avons toutes et tous un rôle à jouer

Ma façon de guider a toujours été marquée par l’importance de comprendre que, en raison de la vérité de l’inter-être, nous jouons toutes et tous un rôle, nous avons chacun.e notre position, des options différentes, des intérêts différents et que tous sont nécessaires.

Et même si se tient devant moi une personne qui considère que nous sommes diamétralement opposées sur tout sujet, qu’il s’agisse d’une question familiale ou d’un sujet plus global tel que le climat ou la guerre, ou tout autre chose, il m’apparaît personnellement utile de ne pas visualiser une ligne droite entre cette personne et moi mais plutôt un cercle.

Je visualise que cette personne se trouve complètement à l’opposé de moi, de l’autre côté du cercle ; mais il s’agit bien d’un cercle. Toujours, je saurai, découvrirai ou aurai confiance dans l’existence d’une autre personne, d’un gouvernement ou d’une institution dont la position ou l’intérêt est adjacent à celui que j’écoute. Et il y aura ensuite un autre avis adjacent au premier et adjacent et adjacent… et bien vite nous aurons parcouru les 180° autour du cercle et en ferons le tour.

Le fait est que, en vertu de l’inter-être, il n’existe aucune opinion, intérêt ou position mutuellement exclusives et ce, même en ce qui concerne la personne qui se pense diamétralement à l’opposé de moi.

Je souris toujours dans mon petit coeur et, en moi, je me dis “oui, tu penses être complètement différente de moi mais, en réalité, il y a beaucoup de moi en toi et beaucoup de toi en moi ; en fait, nous sommes d’accord sur de nombreux points !” Je découvre que c’est la leçon de l’inter-être et de la compréhension : la haine en l’autre personne est une part de moi, que le désespoir présent chez l’autre est une part très active chez moi.

Sans boue, pas de lotus

Pour être honnête, je m’éveille la plupart des matins en désespérant de ce que je vois. Il m’appartient alors de m’interroger : “vais-je laisser cela contrôler ma journée? Vais-je laisser ce désespoir maîtriser mes pensées, mes paroles, et mes actions ? ou vais-je au contraire en faire bon usage, tel un riche terreau de boue, pour le transformer en lotus ?”

Il n’y a à mes yeux aucun enseignement aussi clair que ‘sans boue, pas de lotus’ car il s’agit du noyau même de la transformation et que si nous pouvons toutes et tous nous offrir cela chaque jour, alors nous pourrons faire de l’espace pour le désespoir et la colère, peut-être même pour la haine. En même temps, nous aurons peut-être la capacité de créer de l’espace pour la réconciliation et la croissance dans notre Humanité partagée que nous sommes en train de vivre.

Merci beaucoup Christiana. Je suis vraiment impressionnée par ce que vous venez de partager et, personnellement, j'ai vraiment l'impression que vous parlez de cette sorte de Vue Juste, ce genre de courage radical qui font l'objet des trois premiers entraînements à la pleine conscience (des 14 entraînements), et qui invitent à une réelle ouverture du cœur et de l'esprit. 

Comment trouvez-vous la force pour maintenir cette ouverture, en particulier dans un contexte où vous avez fait l'objet de si nombreuses attaques personnelles au sein du mouvement pour le climat et à l'extérieur de celui-ci ? Comment trouvez-vous la force ? Quelle en est la source ? Nous avons touché la vision profonde, comment trouver la force de faire cela autrement ?

Réponse de Christiana Figueres :

Cette vision profonde n’est-elle pas la force ? Pour moi, elle l’est… et, en effet, j’ai été la cible de nombreuses critiques et attaques mais je ne les ai pas prises personnellement parce que je comprends particulièrement bien la colère. Elle constitue aussi une part de moi ; je ne suis pas au pays des bisounours. Je connais les raisons de cette colère. J’en connais les raisons et si elle se dirige contre moi, c’est probablement la bonne direction car cela signifie que la colère ne sera pas renvoyée en retour. Je le peux, sans prêcher ; honnêtement, prêcher est vraiment inutile dans le domaine où je travaille : tout est question de travail intérieur.

Tout est question de qualité de présence offerte à la situation, il ne s’agit pas de ce que nous faisons ou prêchons.

C’est la qualité de présence qui permet à l’autre personne d’avoir l’espace dont elle a besoin, à ce moment précis, pour exprimer les émotions qui la submergent à ce moment-là. Il s’agit d’un moment de sa vie où la graine a émergé au départ de nombreux éléments précédant ce temps, de beaucoup de situations de sa vie, de ses ancêtres : c’est un tsunami de colère.

La frontière de cette colère n’est pas nécessairement limitée à ce dont nous sommes témoins à cet instant. Elle a des racines bien plus longues, je le sais, et ces racines sont aussi les miennes. Ces racines sont aussi les miennes et, dans mes meilleurs jours, il m’est peut-être possible de véritablement embrasser la situation et comprendre d’où provient la colère de cette personne, je peux aussi voir que ce dont a besoin cette colère, c’est d’être accueillie : une étreinte, telle un acte d’amour, un acte de patience.

Le Miracle du Changement de Système

Cette colère aura alors une chance de s’atténuer ; c’est un vrai cadeau que nous pouvons offrir à cette personne. Rappelons-nous aussi qu’il s’agit d’un cadeau que nous offrons au monde car toute interaction avec une personne se reflète à l’extérieur, dans le monde. Tout ce qui est en moi, je le reflète dans le monde, c’est le miracle du changement systémique.

Quoi que je fasse, cela a véritablement un effet sur le monde, là, à l’extérieur. L’autre option est de laisser le monde déterminer le déroulement des choses ; c’est ce que j’ai fait durant de nombreuses années et je peux dire que cela ne nous mène pas vraiment à de très bons résultats… l’invitation est donc d’assumer cette responsabilité.

Qu’est-t-il en train de se passer dans mon monde intérieur et comment puis-je amener cela à se refléter dans le monde extérieur?

Merci Christiana. Je trouve merveilleuse cette façon dont vous expliquez comment notre paysage intérieur est aussi véritablement cette frontière de transformation collective. Et ce que j'admire aussi beaucoup dans votre façon d'être, c'est que vous ne craignez pas les émotions fortes. 

Vous faites preuve de ce courage qui permet de s'appuyer sur les émotions fortes pour entrer en amitié avec elles, ce sur quoi porte d'ailleurs un de nos entraînements à la pleine conscience et de la façon de prendre soin de la colère. Il s'agit du sixième entraînement et plus particulièrement du passage suivant "‘Nous pratiquerons la Diligence Juste pour cultiver notre capacité de compréhension, d’amour, de joie et d’inclusivité. Ainsi, nous transformerons progressivement la colère ('graduellement' un terme important), la violence, la peur en nous et nous aiderons les autres à faire de même.

Vous pratiquez donc cela à merveille, Christiana, et je voudrais vous interroger un peu plus au sujet de cette colère. Votre manière de lui permettre d'être là me semble vraiment importante. Vous la reconnaissez, vous l'embrassez, vous lui donnez de l'espace ; peut-être que tout le monde ne sait pas que l'aide de Christiana a permis au Village des Pruniers d'accueillir des retraites pour des militants du climat, et plus spécifiquement pour des personnes affichant des opinions différentes les unes des autres et susceptibles d'être amenées à dialoguer dans le cadre de prises de décision et négociations.

Comment avez-vous vu le chemin de pratique ici au Village des Pruniers ? Comment aider avec le feu de colère en soi, colère qui a le droit d'être présente, mais qui n'aide peut-être pas toujours... la colère aide-t-elle ?

Christiana Figueres :

Oui, je pense qu’elle aide, la boue, oui. C’est ce que j’ai appelé le peloton d’exécution circulaire, cette dynamique que nous avons édifiée au sein de la communauté de l’environnement, et au sein de laquelle nous nous sentons tous très ‘bien pensants’ quant à savoir exactement ce qu’il convient de faire. Nous pensons ‘j’ai la solution parfaite et votre solution n’est donc pas valable car ce n’est pas la mienne’. Et puis nous commençons à nous attaquer les un.e.s et les autres (comme si nous avions le temps de nous attaquer !). Il s’agit donc d’une observation que j’ai commencé à faire il y a plusieurs années.

C’est donc en partie pour cette raison, et aussi parce que nous continuons à détruire l’environnement naturel autour de nous, que celles et ceux qui consacrent leur vie à la protection de notre planète sont désormais bien souvent empli.e.s de colère, désespoir, frustration ou en épuisement, voire au-delà du burnout.

Dans les pas de Thây

Les enseignements de Thây m’ont sauvée du suicide. Lorsque je regarde la communauté du climat et que je vois la profondeur de la douleur (et il ne s’agit pas uniquement du climat, mais de toutes les questions environnementales et, d’une manière croissante, de toutes les questions sociales), je vois ce monde confronté à tant de défis, je vois toutes ces personnes qui consacrent leur vie à apporter l’harmonie, la résilience et la paix, sans pour autant en voir le reflet dans le monde entier.

Cette situation génère une énorme frustration, de la colère, du désespoir, des jugements, des reproches et un comportement d’autodépréciation. Je me suis donc à nouveau tournée vers le Village des Pruniers (tout comme je l’avais fait avec Thây en 2014) parce que ces personnes qui vouent leur vie à l’environnement ne sont pas écologistes une ou deux heures par jour, non, c’est leur vie, elles y consacrent leur vie.

Je connais des femmes (et j’utilise délibérément le mot ‘femmes’) âgées de 11 ans qui consacrent leur vie à la protection de la planète. Il y a aussi des femmes âgées de 68 ans ou beaucoup plus âgées que moi et des hommes, et ce dévouement découle de cet amour profond pour cette maison que nous partageons tous.

Quand le monde ne reflète pas visiblement ce que nous améliorons alors, le désespoir, la colère, la frustration et même les pensées suicidaires nous gagnent. C’est pourquoi je vous remercie, chère sœur, ainsi que tout le Village des Pruniers, d’avoir accepté de faire le difficile travail de sauver les centaines de militants écologistes que nous sommes et qui étaient sur le point d’abandonner, car nous ne pouvons pas abandonner.

Nous ne pouvons tout simplement pas abandonner. Nous devons considérer tout ce que nous voyons comme de la boue et nous devons nous tenir debout pour faire naître le lotus, nous ne pouvons pas nous noyer dans la boue.

C’est donc ce que nous faisons. Nous le faisons avec des centaines de personnes courageuses, dévouées et magnifiques qui, à l’issue de ces retraites, me disent littéralement : “Jamais plus je n’envisagerai le suicide, je retourne au front parce que je connais désormais une autre manière d’agir. J’ai une autre façon de voir, de penser et d’agir”. Et ils retournent sur le terrain, dans les pas de Thây.

Juin 2014, Thây mène la marche méditative avec sa communauté du Village des Pruniers

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What is Mindfulness

Thich Nhat Hanh January 15, 2020

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