Lors d’une retraite organisée en 2003 au Village des Pruniers à l’intention des Palestiniens et des Israéliens, Thich Nhat Hanh a partagé sa profonde compréhension de la situation au Moyen-Orient en s’appuyant sur les enseignements bouddhistes et sur sa propre expérience de la guerre au Vietnam.
Cette retraite a été l’une des nombreuses retraites organisées par le Village des Pruniers (en France), durant laquelle quinze à trente Palestiniens et Israéliens ont été invités à pratiquer la Pleine Conscience ensemble, pendant deux semaines, au sein d’une communauté plus large. Les propos recueillis ci-après ont été offerts par Thich Nhat Hanh lors de ses Enseignements du Dharma et d’une session de Questions et Réponses donnés pendant cette retraite.
Sommaire :
- Être en Paix
- S’écouter profondément les uns les autres
- La Non-Violence
- Trouver le véritable ennemi
- Comment procéder face aux inégalités entre deux camps
- Le processus de paix entre les peuples
- Jeûner pour la Paix
- La réconciliation est possible
Être en Paix
Nous avons tous des sentiments de tristesse, de douleur ou d’excitation. Nos sentiments coulent en nous comme une rivière et nous submergent souvent. En étant avec des amis qui savent comment prendre soin de leurs sentiments et de leurs émotions, nous pouvons apprendre à embrasser les nôtres également. En quinze minutes de respiration et d’attention, nous pouvons commencer à savoir comment gérer notre peur, notre désespoir et notre colère ; c’est très important. Si vous ne pouvez pas prendre soin de votre corps ni de votre sentiment de colère, de peur ou de désespoir, vous ne pouvez pas parler de paix. En apprenant à en prendre soin correctement, vous apporterez la paix et l’harmonie dans votre corps, vos sentiments et vos émotions.
Nos corps sont rarement en paix. Nous pouvons apprendre à apporter la paix à notre corps, ici et maintenant. Notre corps souffre, surtout en temps de guerre. Nous ressentons des tensions, du stress et de la pression. Nous avons fait travailler notre corps de manière trop intense et il est empli de conflits. La façon dont nous traitons notre corps lui apporte tellement de souffrance que nous n’avons pas de véritable paix en nous. Pour apporter la paix à notre corps, nous lui permettons de se reposer et d’avoir une chance de se renouveler et de se guérir. Nous pouvons le faire aujourd’hui. Même après une ou deux heures, nous nous sentirons beaucoup mieux. Il ne s’agit pas seulement de parler de la paix dans notre corps, mais d’y apporter la paix.
Lorsque nous sommes submergés, nous ne percevons pas les choses telles qu’elles sont ; nous avons des perceptions erronées de qui nous sommes, de qui sont les autres et de ce à quoi ressemble le monde. Ces perceptions erronées sont à la base de toutes nos actions induisant le malheur, la destruction, la peur et la colère. Nous devons être capables de gérer nos perceptions, afin de savoir si elles sont correctes ou erronées. La plupart de nos souffrances proviennent de nos perceptions erronées. Nous devons prendre le temps d’examiner en profondeur la nature de nos perceptions afin de ne pas nous laisser entraîner par elles, car nos perceptions sont le fondement de tous nos sentiments, émotions et afflictions.
Dans la vie quotidienne, nous sommes rarement libres de nos sentiments, de nos perceptions et de nos pensées. Nous sommes rarement vraiment nous-mêmes. Nous sommes souvent victimes de nos sentiments et de nos perceptions ; nous sommes comme une feuille flottant sur l’océan, et ballotée par les vagues. Nous n’avons pas la souveraineté sur notre situation. C’est pourquoi il est si important de revenir à nous-mêmes. De cette façon, nous cessons d’être dominés par les aléas des circonstances. C’est la pratique de base de la paix. Si nous avons un peu de paix dans notre corps, nos émotions et nos perceptions, alors nous pouvons aider une autre personne à avoir la paix. Mais nous devons commencer par nous-mêmes. Vous ne pouvez pas être un instrument de paix si vous n’avez pas la paix en vous.
S’écouter profondément les uns les autres
Cela fait plusieurs années que nous accueillons régulièrement au Village des Pruniers différents groupes de Palestiniens et d’Israéliens qui viennent pratiquer la pleine conscience. Lorsqu’ils arrivent, ils se méfient souvent les uns des autres. Ils ne peuvent pas se regarder d’un œil bienveillant. Mais avec la pratique et le soutien de la communauté, ils parviennent à apaiser leur souffrance, leur colère, leur méfiance et leur haine. Et après quelques jours, ils sont capables de voir que l’autre groupe souffre lui aussi. Cela nécessite un certain temps.
La pratique de l’écoute profonde et compatissante est cruciale. Si vous n’avez pas de compassion, vous ne pouvez pas écouter, car ce que l’autre personne dit peut faire germer en vous les graines de l’irritation et de la colère, et vous risquez alors de perdre la compassion que vous avez et de ne plus être capable d’écouter. Si vous savez comment écouter pendant une heure, profondément, avec compassion, l’autre personne souffrira beaucoup moins. C’est très guérissant et transformateur.
L’écoute profonde va de pair avec la pratique de la parole aimante. Nous essayons de parler de notre souffrance sans blâmer l’autre partie. Nous parlons sans amertume, sans reproche et sans colère. Cela aide les autres à comprendre notre situation et notre souffrance. Si nous utilisons l’écoute profonde et la parole aimante, la communication sera possible.
Les cinq ou six premiers jours, nous ne disons rien. Nous pratiquons simplement la respiration en pleine conscience, la marche en pleine conscience, la reconnaissance de la peur, de la colère et de la souffrance en nous, et le calme. Une fois que nous avons réussi à calmer nos émotions, nous pouvons commencer la pratique consistant à écouter profondément l’autre personne pour comprendre sa souffrance. Nous nous asseyons et écoutons l’autre groupe et reconnaissons qu’il a également beaucoup souffert. Nous sommes maintenant capables de regarder avec les yeux de la compassion, et nous utilisons l’écoute profonde et la parole aimante. Lorsque c’est au tour de l’autre groupe de parler de sa souffrance et de sa frustration, la compréhension mutuelle devient alors une réalité.
Lorsque nous voyons qu’une autre personne pleure elle aussi et est dans un état de désespoir, nous la considérons comme un être humain et, soudain, le niveau de haine, de peur et de suspicion en nous diminue. Nous nous sentons mieux. Nous pouvons dès lors regarder l’autre personne avec plus de compréhension et de compassion. Il y a des frères et des sœurs dans la pratique, qu’ils soient monastiques ou laïcs, qui savent comment aider.
La Non-Violence
Vous, en tant que groupe de Palestiniens et d’Israéliens, avez subi beaucoup de souffrances. Chaque fois que votre peuple est touché par une bombe ou une arme, vous voulez riposter. Le message est très clair: “Si vous nous attaquez, nous vous attaquerons en retour. Oeil pour oeil, dent pour dent, c’est la politique. Si vous commettez un acte de terrorisme, vous serez soumis à la terreur.” Ce message vise à dissuader l’autre camp. Vous vous terrorisez et vous vous menacez mutuellement. Mais si vous êtes éveillé et que vous avez vu la souffrance et appris de la souffrance, alors vous savez que punir n’apporte aucun résultat positif.
[Thich Nhat Hanh décrit ensuite un incident au cours duquel quatre de ses amis ont été tués au Vietnam].
Nous avons ensuite organisé une cérémonie et invité de nombreuses personnes à se joindre à nous. Au cours de la cérémonie, nous avons prononcé un discours dans lequel nous avons tenu ces propos : “Chers amis, vous nous tuez parce que vous pensez que nous sommes vos ennemis, que nous essayons de vous détruire. Mais notre intention n’est de détruire personne. Nous avons été formés pour aimer et servir. Nous ne voulons pas que quelqu’un meure, qu’il soit communiste, non communiste ou anticommuniste. Si vous nous aviez vraiment compris, nous et nos motivations, vous ne nous auriez pas tués de la sorte “. Nous savions qu’ils étaient là, à écouter, quelque part dans la foule.
La machine de guerre est horrible. Si vous y entrez, vous serez écrasé, et vous devrez écraser la vie des autres. C’est pourquoi j’exhorte les jeunes à ne pas rejoindre la révolution violente. Cela ne signifie pas que vous devez rester assis et ne rien faire ; au contraire, vous pouvez faire beaucoup, et vous pouvez aussi réussir. La pratique bouddhiste peut aider à condition d’être modernisée. Il en va de même pour le christianisme, l’islam ou le judaïsme. La pratique doit nous aider à être plus paisibles et à nous libérer de la colère, de la méfiance et de la peur, sinon nous ne pourrons rien accomplir. C’est la pratique qui peut nous aider à être ensemble en tant que groupe, à ne pas nous méfier les uns des autres, mais à nous traiter comme des frères et des sœurs. Vous ne réussirez votre révolution que si vous faites cela.
Il y a des Israéliens qui sont pour la paix, qui ne sont pas d’accord avec leur gouvernement. Les soutenir est l’une des choses que vous pouvez faire. Savoir que certains Israéliens ont cette opinion peut vraiment contribuer à vous sortir du désespoir. Et c’est pareil du côté israélien : ils savent qu’il y a des Palestiniens qui voient les souffrances de la guerre et ne veulent pas suivre la voie de la violence. Cela les aide aussi à se sentir mieux. Il y a des jeunes Israéliens qui ont le courage de refuser d’aller à l’armée. Leur acte s’apparente à un Enseignement du Dharma sur la non-violence.
Asseyez-vous ensemble et écrivez une lettre d’amour. Cette lettre doit être le fruit de votre compréhension et de votre compassion. Si vous n’avez pas assez de compréhension, vous ne pouvez pas écrire la lettre. La lettre peut prendre plusieurs mois, car votre intention est de manifester tout l’éveil et la compassion présents en votre cœur. Lorsque vous aurez terminé la lettre et que l’autre groupe la lira, il verra que vous l’avez écrite au départ de votre éveil et de votre compassion et qu’il ne s’agit pas simplement de diplomatie. Cela touchera leur cœur. Elle s’adressera directement au cœur des Palestiniens, des Israéliens et de toutes les personnes dans le monde qui se préoccupent de la souffrance au Moyen-Orient. Vous parlez au nom de votre propre peuple parce que votre gouvernement n’a pas été capable de le faire. Vous faites partie d’un véritable processus de paix.
Trouver le véritable ennemi
Il est parfois plus facile d’être en colère que d’exprimer sa propre souffrance. Les Israéliens pensent qu’ils ne sont pas Arabes, mais ils sont très semblables aux Arabes. Ce sont des êtres humains. Ils ne veulent pas mourir, et ils veulent vivre en sécurité. Ils veulent la fraternité, la solidarité et la paix. Nous sommes séparés par des noms comme “bouddhiste”, “chrétien”, “juif”, “musulman”. Lorsque nous entendons un de ces mots, nous voyons une image et nous nous sentons aliénés, nous ne nous sentons pas connectés. Nous avons mis en place de nombreuses structures afin d’être séparés les uns des autres et de nous faire souffrir mutuellement. C’est pourquoi il est très important de découvrir l’être humain dans l’autre personne, et d’aider l’autre personne à découvrir l’être humain en nous. En tant qu’êtres humains, nous sommes exactement les mêmes. Si vous avez de nombreuses couches de vêtements, vous empêchez les autres personnes de vous voir comme un être humain. Le fait d’être “bouddhiste” peut être un désavantage car, si vous avez ce titre, cela peut constituer un obstacle, et il se peut que cela empêche les gens de découvrir l’être humain qui est en vous. De même, si vous portez l’étiquette “musulman”, cela peut rebuter de nombreuses personnes, car les gens sont pris dans ces notions et ces images et ils ne peuvent pas se reconnaître en tant qu’êtres humains. C’est dommage. C’est pourquoi Maître Lin Chi a dit que vous deviez brûler tous ces obstacles – les ôter et les brûler. C’est une véritable pratique – tout brûler pour que l’être humain soit révélé. C’est le travail de la paix.
Les Israéliens comme les Palestiniens sont victimes, même leurs gouvernements sont victimes de ces idées et de ces émotions. La pratique recommandée au Village des Pruniers ne consiste pas à détruire l’être humain, mais à détruire le véritable ennemi qui se trouve à l’intérieur de l’être humain. Si vous voulez aider une personne atteinte de tuberculose, vous tuez la bactérie, pas la personne. Nous sommes tous victimes de la bactérie appelée violence et perception erronée. Pendant notre séjour au Village des Pruniers, nous avons la possibilité de nous asseoir ensemble, de localiser le véritable ennemi et de discuter de façon à l’ôter. Lorsque vous avez encore beaucoup de colère, de peur et de désespoir, vous n’êtes pas lucide ou calme, et vous n’êtes pas en mesure d’entreprendre la bonne action susceptible d’apporter une paix réelle.
Si je pouvais vous donner un conseil, ce serait vous inviter à regarder profondément et à reconnaître le véritable ennemi. Cet ennemi n’est pas une personne. Cet ennemi est un mode de pensée qui a engendré beaucoup de souffrance pour tous. C’est l’occasion pour nous de nous asseoir, de rester calmes et de faire exactement cela : identifier le véritable ennemi et chercher les moyens de l’éliminer.
Comment procéder face aux inégalités entre deux camps
Dans le cas d’Israël et de la Palestine, on peut avoir l’impression que la situation est impossible et que les parties sont inégales parce qu’Israël a plus de pouvoir politique, possède des armes nucléaires et bénéficie du soutien des États-Unis. Or, vous pouvez être trompé par l’apparence. Pendant la guerre du Vietnam, tout le monde a vu que l’Amérique était la grande puissance et que les Vietnamiens n’étaient qu’une minuscule nation sans armes, sans technologie et sans les énormes sommes d’argent dont disposaient les Américains. Mais les Américains ont dû se retirer du Vietnam. Nous ne devons donc jamais être trop sûrs de nos perceptions. Supposons que les Palestiniens soient plus unis, qu’ils se parlent gentiment, qu’ils communiquent parfaitement entre eux, qu’ils vivent en harmonie et qu’ils se traitent comme les frères et sœurs d’une communauté. Ils seraient alors en mesure de produire le type de visions profondes qui les aiderait à devenir très forts, afin de pouvoir se protéger, créer leur propre pays et obtenir le soutien du monde dans leur tentative d’avoir leur propre pays, leur propre territoire, leur propre souveraineté. Je ne pense pas qu’il faille être une grande puissance pour y parvenir. Il faut être intelligent, pacifique et harmonieux. Il y a des choses intérieures que nous devons faire. Ne pensez pas que tout va bien à l’intérieur et qu’il ne reste plus que des choses à faire à l’extérieur. C’est une grave erreur. Rentrer en nous-mêmes – réorganiser les choses de manière à avoir l’harmonie et la paix à l’intérieur – nous apportera beaucoup de pouvoir. Ce pouvoir ne peut être considéré en termes d’armes, de technologies ni de soldats.
Que fait la communauté des nations dans cette situation ? Elle ne semble pas faire grand-chose. Les nations semblent tout laisser aux États-Unis d’Amérique. L’Amérique est un grand frère dans la famille humaine. Il a tendance à tout faire tout seul et ne permet pas aux autres membres de la famille de venir l’aider. Il veut s’occuper de l’Irak tout seul, il veut s’occuper du Moyen-Orient tout seul. Je pense que les Nations Unies doivent se réunir en tant que famille de nations et aborder la manière de mettre fin immédiatement à la violence au Moyen-Orient. Selon ma compréhension, nous devrions investir dans les Nations Unies et lui permettre de devenir une véritable organisation de maintien de la paix. Dans l’état actuel des choses, elle n’a ni l’autorité ni les moyens de le faire.
Beaucoup d’entre nous souffrent beaucoup parce qu’ils se sentent impuissants. Nous avons l’impression que nous ne pouvons rien faire pour arrêter les atrocités au Moyen-Orient, car il semble que nos pays ne puissent jouer aucun rôle, même s’ils sont représentés aux Nations Unies. En tant que citoyens, nous devons nous exprimer. Que vous soyez juif ou musulman, que vous soyez bouddhiste ou chrétien, vous devez dire qu’il est important que nous nous comportions comme une famille et que nous permettions à cette famille de s’occuper de nous.
Le processus de paix entre les peuples
De nombreuses personnes dans le monde sont préoccupées par la souffrance au Moyen-Orient. Si vous pouvez organiser une conférence populaire sur la paix, vous disposerez d’un pouvoir considérable d’éducation sur la manière de faire la paix : tant pour vous que pour l’autre groupe et pour le monde entier.
Lorsque des adversaires se rendent à une conférence de paix, chaque camp est chargé de suspicion, de colère et de méfiance. Avec ces émotions dans le cœur, on ne peut pas faire grand-chose, parce qu’il n’y a pas de paix en soi comme base pour faire la paix avec l’autre. Les négociateurs pour la paix devraient avoir un peu de paix en eux. Ils devraient au moins savoir comment gérer leur colère, leur peur et leur méfiance.
Dans les pourparlers de paix, les gens formulent habituellement beaucoup de propositions, procédant à de nombreuses discussions. Une véritable conférence de paix devrait s’organiser de la même façon qu’une retraite ; les deux camps devraient avoir le temps de se calmer et de prendre soin de leurs émotions, de leur peur et de leur méfiance. Certains d’entre nous savent comment aider. Certains d’entre nous, originaires du Moyen-Orient, connaissent la pratique de l’apaisement, du repos et de l’acceptation de notre peur et de notre colère, et nous pouvons aider à préparer le terrain pour une compréhension mutuelle. Si les négociations de paix échouent, c’est parce que les gens ne commencent pas par cela. Ils sont pressés et veulent discuter tout de suite. La compréhension mutuelle n’est pas possible lorsqu’il y a beaucoup de souffrance, de peur et de suspicion de part et d’autre.
Vous êtes en mesure d’organiser une conférence populaire pour la paix, quelque part au Moyen-Orient, à Paris, ou même au Village des Pruniers. Vous pouvez inviter la presse internationale à y participer. Vous réalisez la paix, non pas par vos discussions mais en pratiquant ; vous établissez la communication avec l’autre groupe de personnes. C’est le processus de Paix – la véritable feuille de route. Vous êtes capables de le faire.
Nous ne pouvons pas chercher Dieu ou la paix au sein du Gouvernement. C’est au fond de notre cœur que nous devons chercher la paix. Le véritable processus de paix doit venir de nous-mêmes, de notre groupe et de notre peuple. Nous ne devons pas continuer à reprocher à l’autre partie de ne pas pratiquer la paix. Nous devons pratiquer la paix afin d’aider l’autre partie à faire la paix.
Je pense que votre groupe pourrait organiser une conférence des peuples pour la paix d’ici six mois à un an. Peu importe le lieu où elle se tiendrait, le monde entier viendrait vous écouter et voir comment vous pratiquez la paix. Beaucoup viendraient de partout et vous soutiendraient dans votre conférence de paix des peuples. Cela attirerait l’attention du monde et de vos gouvernements.
Votre gouvernement vous écoutera si vous êtes une véritable entité de paix, si vous pouvez écouter l’autre groupe avec toute votre compassion, et si vous parvenez à voir que son peuple souffre autant que le vôtre. Les adultes et les enfants vivent dans une peur constante. Le nectar de la compassion coulera en votre cœur dès l’instant où vous parviendrez à les voir comme des victimes de la souffrance, et vous souffrirez moins. En souffrant moins, vous les aidez à souffrir moins. Tout accord conclu grâce à ce type de compréhension mutuelle offrira une véritable solution de paix, un texte signé par les deux parties. Si la peur, la colère et la suspicion restent intactes des deux côtés, alors ce n’est qu’un bout de papier ; ce n’est pas la paix. Mais s’il y a de la compassion et une compréhension mutuelle, alors vous n’avez même pas besoin de papier.
Nous ne pouvons pas attendre que nos gouvernements initient le processus de paix. Ils peuvent continuer pendant longtemps sans aboutir à rien. Nous devons prendre la situation en main et organiser le processus de paix à travers notre propre pratique.
Jeûner pour la Paix
Le dernier jour de la retraite, Thich Nhat Hanh a conseillé une pratique concrète aux Palestiniens et aux Israéliens qui assistaient à son Enseignement.
Supposons qu’un groupe de Palestiniens se réunisse et organise un jeûne dans un endroit visible, disons à New York ou à Paris. Cette démarche sera difficile, car beaucoup d’entre vous ne sont pas autorisés à voyager et n’ont pas les moyens de le faire. Vous aurez besoin d’un soutien extérieur et d’une aide pour mener à bien votre projet. Vous pourriez expliquer ceci : ” Nous maintiendrons le jeûne jusqu’à ce que notre peuple obtienne un pays et, s’il le fallait, nous sommes prêts à mourir ici, à New York, sur les marches des Nations unies “. Beaucoup d’entre vous sont morts – des centaines, des milliers, des dizaines de milliers. Il suffirait de cent personnes pour participer à une lutte non violente, mais vous n’êtes pas prêts à cela. Êtes-vous capables d’aller à New York en tant que groupe, en adoptant le même type de langage et en menant le même type d’action ? Avec un tel groupe, vous auriez le soutien de millions de personnes dans le monde. Ils vous aideraient à organiser le jeûne sur les marches des Nations unies. De nombreux médecins viendraient s’occuper de vous ; de nombreuses personnes vous apporteraient de l’eau ; et beaucoup d’autres s’assiéraient avec vous pour vous manifester leur soutien.”
Un groupe de cent Israéliens pourrait ensuite s’organiser et venir s’asseoir à proximité, non pas pour protester mais pour jeûner et soutenir le groupe palestinien, en expliquant : “Nous voulons les soutenir, pour qu’ils aient un pays à eux. Nous voulons que notre gouvernement cesse de bombarder et occuper la terre”. Les Palestiniens doivent indiquer très clairement leur voie de révolution non violente. Ils doivent renoncer à toute violence et appeler leur peuple à la cessation de toute violence. Si vous êtes divisés, vous ne serez pas en mesure d’agir efficacement pour votre peuple et votre pays. C’est pourquoi la dimension spirituelle doit être présente. Vous devez rétablir l’unité, l’harmonie et la fraternité entre vous. C’est crucial pour mener à bien une révolution avec succès.
Votre groupe devrait compter cinq ou dix personnes capables d’exprimer clairement votre position. Vous pouvez ainsi déclarer : “Maintenant, nous arrêtons tout acte de violence. Nous voulons la paix. Nous nous engageons à ne plus avoir recours à la violence. Ils n’ont plus de raison de nous bombarder et de nous tuer. Dans le passé, ils pouvaient prétexter la nécessité de nous sanctionner parce que nous les tuions. Mais, désormais, notre peuple n’est plus engagé dans la violence. Nous avons cessé tout acte de violence, et nous représentons notre peuple ici. Nous voulons une solution pacifique et un pays où vivre. Les Nations Unies et le monde devraient accéder à notre demande”.
Les Israéliens peuvent eux aussi agir de la même manière. Ils peuvent convier leur gouvernement à la cessation de toute violence à l’encontre des Palestiniens ; ils peuvent aussi exhorter les Nations Unies à tenir une session d’urgence pour discuter de la situation. Il ne se passera peut-être pas grand-chose pendant les vingt ou trente premiers jours, mais si ceux qui jeûnent ne montrent aucun signe d’abandon, je suis sûr qu’ils passeront à l’action. Vous aiderez le monde à se réveiller et vous forcerez les Nations Unies et les autres pays à faire quelque chose.
Nous devons faire appel à notre intelligence. Nous avons besoin d’une stratégie basée sur la compréhension, la compassion et la non-violence. Si vous pensez qu’il n’y a pas assez de personnes dans les autres pays pour vous soutenir, vous vous trompez. Il y a au contraire de nombreux pays qui voudraient vous aider. Les Israéliens doivent eux aussi agir pour mettre fin à la violence. Les deux camps ont beaucoup de peur, de désespoir, de discrimination et de colère ; ce sont là nos véritables ennemis. Au Village des Pruniers, nous nous rappelons mutuellement que notre véritable ennemi n’est pas l’être humain, mais la division, la haine, la suspicion, la colère et le désespoir. Et lorsque nous reconnaissons et identifions ces éléments, nous essayons de les transformer et de les ôter de nous-mêmes et des autres. L’enseignement et la pratique sont très clairs.
Nous devons davantage compter sur nous-mêmes que sur les autres ; ils sont déjà bien trop occupés. Je vous propose de constituer un groupe combiné, travaillant ensemble durant une année, afin de bâtir une communauté qui s’accorde sur la manière de vivre ensemble comme des frères et sœurs sur la même terre. Je pense qu’il faudrait au moins une année pour œuvrer en ce sens et se préparer à l’action non-violente. L’année entière serait consacrée à la constitution de ce groupe, qui adopterait le même type de langage et serait engagé dans la pratique de la non-violence.
J’aimerais tant vous voir organiser votre groupe. Il faut une force spirituelle puissante pour créer un tel groupe en si peu de temps – un groupe capable d’organiser une conférence de paix du peuple et signer un traité de paix du peuple. Si vous êtes vraiment animés par le désir de servir votre peuple, c’est la voie à suivre. Je vous le dis avec mon cœur, pas avec ma tête. La voie non-violente est la seule voie. Vous gagnerez le cœur de quantité de personnes dans le monde en agissant de manière non violente. Abandonnez la violence et vous y parviendrez.
Je vois très clairement le chemin à suivre. Si vous voulez vivre, vivez d’une belle manière, avec beaucoup de sens, et vous réussirez certainement. Il est extrêmement beau de vivre au nom de la compassion, de la compréhension et de la non-violence. C’est la voie que je poursuis et je n’y renoncerai jamais. Si j’étais dans votre situation, je suivrais cette voie. J’ai appris cette leçon dans mon pays d’origine. Des centaines de milliers de personnes sont mortes dans une énergie de frustration, parce qu’elles ont emprunté la voie de la violence. Frères et soeurs se sont entretués, et je ne veux pas que vous fassiez de même.
La paix est possible. Ce ne sont pas des propos tenus dans le vague, c’est une action concrète. Cette action est dirigée à la fois vers nous-mêmes et vers le monde. C’est un processus de transformation, de guérison et de paix. La puissance spirituelle d’une telle action peut vraiment transformer le monde.
Si vous vous engagez en faveur de la non-violence et que vous demandez à votre propre peuple d’arrêter le conflit, votre voix sera plus forte que celle des dirigeants mondiaux qui créent la violence. De nombreuses personnes dans le monde vous soutiendront, et vous serez sous les feux de la rampe. Pour vous préparer à cela, il vous faut beaucoup de temps, beaucoup de pratique, beaucoup de respiration en pleine conscience et beaucoup de marche en pleine conscience. Ensuite, tout le monde devra vous voir et vous écouter. C’est là mon grand espoir.
La réconciliation est possible
En tant que laïque et monastique, Mme Hagit Harmon (anciennement Sr Thai Nghiêm), a participé à de nombreuses retraites palestino-israéliennes au Village des Pruniers et elle a préfacé le livre “Peace Begins Here”. Elle y explique que la réconciliation est effectivement possible, comme en témoignent les deux semaines de pratique commune au Village des Pruniers :
“Les groupes palestino-israéliens qui sont venus au Village des Pruniers ont été capables d’écouter de tout leur cœur, même lorsque la souffrance était partagée, sans juger ni commenter. Ce faisant, ils ont pu développer la fraternité et la sororité, une véritable terre sainte dans laquelle l’attention que nous portons les uns aux autres se révèle et où nous pouvons nourrir notre compassion et notre compréhension. Ce processus fut un véritable défi. Nous avons dû regarder en nous-mêmes, embrasser notre douleur et surmonter la suspicion.”
Alors qu’il examinait les expériences des Palestiniens et des Israéliens pratiquant ensemble au Village des Pruniers lors d’une conférence en 2008, Thich Nhat Hanh a souligné que :
“Après dix jours de pratique, les deux groupes pouvaient se tenir la main et pratiquer la méditation marchée ou s’asseoir et partager un repas dans la fraternité et la sororité.”
Depuis cette retraite, les monastiques du Village des Pruniers ont entrepris des voyages d’enseignement en Palestine et en Israël ; de même, d’autres groupes d’Israéliens et de Palestiniens ont été invités à pratiquer ensemble au Village des Pruniers.
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