Hommage à Joanna Macy

Afin de rendre hommage à Joanna Macy qui vient de nous quitter, et en profonde gratitude pour sa vie, ses enseignements et son œuvre, nous vous proposons une sélection d’extraits de son ouvrage ‘World as Lover, World as Self’ (dans une traduction libre pour cet article). Nous rendons hommage à son héritage profond et à sa vie consacrée à l’éveil collectif, à l’action compatissante et au service envers la vie.

Joanna Macy

La vie n’existe que dans le moment présent. Tout se trouve dans cet instant : le passé, le présent, le futur et tous les êtres, partout.

Thich Nhat Hanh, maître zen, 1991

Dans la préface de World as Lover, World as Self, le maître zen Thich Nhat Hanh souligne avec une profonde admiration la clairvoyance et le courage de Joanna Macy :

« En partageant ses visions profondes quant aux dangers actuels et au rôle important que joue chacun.e d’entre nous, tant dans leur création que dans leur dépassement, Joanna Macy énonce la vérité avec la force d’une lionne, et tous les êtres à travers l’univers lui caressent la tête et la câlinent en signe de gratitude et d’appréciation. »

« Si nous lisons attentivement les propos de Joanna et mettons en pratique ses propositions, il nous reste peut-être encore une chance de témoigner notre amour à notre Terre Mère. L’amour exige de la compréhension, et l’ouvrage de Joanna, ‘World as Lover, World as Self’, nous aide à comprendre comment nous pouvons guérir cet univers interconnecté et interpénétré. »

S’enraciner dans la gratitude

Nous avons reçu un cadeau inestimable. Être en vie dans cet univers magnifique et auto-organisé, participer à la danse de la vie avec tous nos sens pour la percevoir, des poumons pour la respirer, des organes pour s’en nourrir, est un miracle qui dépasse les mots. Et c’est, en outre, un privilège extraordinaire que de se voir accorder une vie humaine, avec une conscience réflexive qui nous rend conscients de nos propres actions et nous donne la capacité de faire des choix. Elle nous permet de choisir de nous joindre à la célébration et à la guérison de notre monde.

Le sentiment de gratitude envers le don de la vie est une source fondamentale de toutes les religions, une caractéristique essentielle du mystique et un moteur pour l’artiste. Et pourtant, nous avons si facilement tendance à considérer ce don comme acquis. C’est pourquoi tant de traditions spirituelles commencent par une action de grâce, afin de nous rappeler que, malgré tous nos malheurs et nos soucis, notre existence même est une bénédiction imméritée qui dépasse tout ce que nous pourrions mériter.

Dans la voie du bouddhisme tibétain, il nous est demandé de marquer une pause avant d’entreprendre la pratique méditative et de nous livrer à une réflexion sur la préciosité de la vie humaine. Non pas parce que nous, les humains, sommes supérieurs aux autres êtres, mais parce que nous pouvons ‘changer le karma’. En d’autres termes, dotés d’une conscience réflexive, nous avons la capacité de choisir, de faire le point sur ce que nous faisons et de changer de direction. Peut-être avons-nous enduré des millénaires de vies sous la forme d’autres êtres vivants, sous le joug du destin et du jeu aveugle de l’instinct, mais aujourd’hui, enfin, nous avons la capacité de réfléchir, de juger et de prendre des décisions.

En tissant nos circuits neuronaux toujours plus complexes dans le miracle de la conscience de soi, la vie aspirait à travers nous à la capacité de connaître, d’agir et de parler au nom de l’ensemble. Le moment est maintenant venu de nous lancer consciemment dans la danse.

Dans la pratique bouddhiste, cette première réflexion est suivie d’une seconde, sur la brièveté de cette précieuse vie humaine : “La mort est certaine ; le moment de la mort est incertain.” Cette réflexion nous fait prendre conscience du merveilleux cadeau que nous offre le moment présent : saisir cette chance d’être en vie ici et maintenant, sur la planète Terre.

S’ouvrir à la souffrance des autres

Nos traditions religieuses peuvent également servir à valider le désespoir et à attester de sa fonction vivifiante. Le concept biblique du serviteur en souffrance, ainsi qu’une série de prophètes de l’Ancien Testament, témoignent du pouvoir inhérent qui réside dans le fait de s’ouvrir à la souffrance des autres. Dans le christianisme, le symbole suprême de ce pouvoir est la croix. Selon ma compréhension et mon expérience, la croix sur laquelle Jésus est mort sert à dramatiser le fait que c’est précisément en s’ouvrant à la douleur de notre monde que l’on trouve la rédemption et le renouveau.

Les héros de la tradition bouddhiste Mahayana sont les bodhisattvas, qui font le vœu de renoncer au nirvana jusqu’à ce que tous les êtres parviennent à l’éveil. Comme nous l’enseigne le Sūtra du Lotus, leur compassion leur confère des sens supranormaux : ils peuvent entendre la musique des sphères et comprendre le langage des oiseaux. De la même manière, ils entendent tous les cris de détresse, même les gémissements des êtres qui se trouvent dans les couches les plus basses de l’enfer. Toutes les souffrances sont enregistrées et assimilées dans la profonde connaissance des bodhisattvas qui savent que nous ne sommes pas séparés les uns des autres.

Un jour, quelqu’un a interrogé le poète et maître zen vietnamien Thich Nhat Hanh en ces termes : « Que devons-nous faire en priorité pour sauver notre monde ? » Ses interlocuteurs s’attendaient à ce qu’il mette l’accent sur le pouvoir de la méditation ou qu’il identifie des stratégies d’action sociale et environnementale. Mais Thây a tout simplement répondu :

Ce que nous devons faire par-dessus tout, c’est écouter en nous les pleurs de la Terre.

Thich Nhat Hanh

C’est ce que mes collègues et moi avons commencé à faire à la fin des années 1970 : trouver des moyens de sortir de cette transe et nous aider mutuellement à entendre la Terre pleurer en nous. En nous inspirant de la théorie des systèmes et des enseignements bouddhistes, nous travaillons principalement en groupe, car la situation à laquelle nous sommes confrontés nous concerne toutes et tous.

En partageant nos réactions les plus intimes face aux dangers de notre époque, nous redécouvrons notre appartenance mutuelle au réseau de la vie et la capacité qu’il nous donne d’agir au nom de la vie.

Pour désigner notre découverte ainsi que la théorie et la pratique qui nous y a menés, nous avons choisi l’appellation ‘Despair and Empowerment Work’ (‘Travail sur le désespoir et l’autonomisation’). Au fil des années, d’autres désignations ont suivi, comme ‘Deep Ecology Work’ (‘Travail sur l’écologie profonde’) et ‘The Work That Reconnects’ (‘Le travail qui relie’).

Bien que le travail de groupe ait rapidement intégré d’autres étapes et spécificités, le fait d’assumer et honorer notre douleur pour le monde est resté une caractéristique essentielle. John Seed, militant pour la protection de la forêt tropicale et facilitateur de ce travail, l’explique de la manière suivante :

Vous découvrez que les autres n’ont pas peur de votre souffrance pour le monde, et vous êtes témoin de la leur. Alors vous pouvez oser espérer quelque chose pour l’humanité et pour ce que nous pouvons accomplir ensemble. Lorsque nous levons le blocage de notre désespoir, tout le reste suit : le respect et l’admiration, l’amour.

John Seed
Prendre soin du jardin – Crédit photo : Kobe Kiekens et Tie Yann

Merci, Joanna, de nous avoir montré qu’un monde nouveau est possible grâce à nos pensées, nos paroles et nos actions collectives empreintes d’amour. Puissions-nous poursuivre ton œuvre et ton amour profond pour notre monde, pour le bien de tous les êtres.

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What is Mindfulness

Thich Nhat Hanh January 15, 2020

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