Un poème écrit par Thich Nhat Hanh, que Joanna Macy aimait tant qu’elle l’a nommé ‘poème d’amour’1
Rocher, gaz, brume, Esprit,
mésons2 qui voyagent entre les galaxies
à la vitesse de la lumière,
tu es venu ici, mon bien-aimé.
Et tes yeux bleux resplendissent, si beaux, si profonds.
Tu as pris le chemin tracé pour toi
depuis ce qui n’a ni début ni fin.
Tu racontes que sur ton chemin ici-bas
tu es passé par des millions de naissances et de morts.
Un nombre incalculable de fois, tu t’es transformé
en tempêtes de feu dans le cosmos.
Tu as utilisé ton propre corps
pour mesurer l’âge des fleuves et des montagnes.
Tu t’es manifesté comme arbres, herbes, papillons, êtres unicellulaires
et comme chrysanthèmes.
Mais les yeux avec lesquels tu me regardes ce matin
me disent que tu n’es jamais mort.
Ton sourire m’invite au jeu
dont personne ne connaît le début,
le jeu de cache-cache.
Ô chenille verte, tu utilises ton corps avec solennité
pour mesurer la branche du rosier qui poussa l’été dernier.
Tout le monde dit que toi, ma bien-aimée, tu viens de naître ce printemps.
Dis-moi, depuis combien de temps es-tu ici ?
Pourquoi avoir attendu cet instant pour te révéler à moi,
emportant avec toi ce sourire tant silencieux que profond ?
Ô chenille, soleils, lunes et étoiles s’échappent
chaque fois que j’expire.
Qui sait que l’infiniment grand
doit se trouver dans ton corps minuscule ?
Partout sur ton corps, il y a des milliers de champs de Bouddha.
A chaque étirement de ton corps, tu mesures le temps :
depuis ce qui n’a pas de début vers ce qui n’a pas de fin.
Le grand mendiant des temps anciens
est toujours sur le Pic des Vautours,
contemplant le coucher de soleil sans cesse magnifique.
Gautama, comme c’est étrange !
Qui a dit que la fleur Udoumbara ne s’épanouit
qu’une fois tous les 3000 ans ?
Le bruit de la marée montante,
tu ne peux le manquer si tu as une oreille attentive.
- Le mendiant, écrit en 1970 par Thich Nhat Hanh, nous parle du visage premier. Joanna Macy l’avait surnommé “Poème d’amour”.
Voici ce que nous dit Thây : Selon le Bouddhisme, quand un enseignant dit à son étudiant ‘montre-moi ton visage premier’, c’est une invitation à découvrir sa propre nature d’inter-être. “Mon bien-aimé, tu viens du minéral, du gaz, de la brume, et de la conscience. Tu es passé à la vitesse de la lumière par tant de galaxies. Et ce qui n’a pas de début et n’a pas de fin sont venus ensemble pour tracer ton chemin. Maintenant tu es une chenille. Je regarde en toi et c’est ce que j’y reconnais. Bien que petit, tu as déclenché une tempête de feu dans le cosmos. Tu as mesuré l’âge des fleuves et des montagnes avec ton corps minuscule.” L’infiniment petit contient l’infiniment grand. Pratiquer la méditation c’est comme chercher ton bien-aimé. Le vieux mendiant Bouddha Shakyamouni est encore assis là-bas. Il est encore là à contempler le magnifique coucher de soleil. Son enseignement est toujours et encore puissant, comme le bruit de la marée montante, si tu as les oreilles pour l’entendre.
J’ai visité le Pic des Vautours pour la première fois en 1968 et, le soir venu, je me suis vu contempler le coucher de soleil avec les yeux du Bouddha. Quand j’y suis retourné avec un groupe en 1988, j’ai ressenti la même chose. J’ai écrit ce poème en 1970. (Une flèche deux illusions, page 159 ↩︎ - Méson : Particule élémentaire très instable, de masse intermédiaire entre celle de l’électron et celle du proton, ayant une charge positive ou négative, faisant partie du rayonnement cosmique ou créée artificiellement grâce à des accélérateurs de particules comme le cosmotron ou le cyclotron ↩︎
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