La paresse, selon Thây

Chaque semaine, nous avons besoin d’une journée de paresse
Thich Nhat Hanh

Après une longue période d’accueil de retraites cet été (familles, jeunes Wake-Up), le Village des Pruniers s’est accordé une période de repos, de vacances, de ‘paresse’… mais qu’est-ce donc que cette paresse que nous recommande vivement Thây et qu’il considère même comme une pratique à part entière ? En quoi est-elle nécessaire ? Comment l’intégrer à notre programme hebdomadaire, surtout en cette période de rentrée scolaire ?

Laissons Thây nous guider dans ces questions, à travers quelques extraits de ce qu’il nous enseigne et a toujours tant incarné. En cette période de retour de vacances, de reprise scolaire et de retour aux activités diverses, voici donc une belle invitation à expérimenter une nouvelle façon d’être.

Si vous connaissez l’anglais, vous serez sûrement heureuses et heureux d’entendre Thây nous enseigner l’art de ne rien faire (cliquer ici), vous pouvez aussi lire (en choisissant l’onglet ‘transcript’) la transcription française dont nous vous offrons quelques extraits ci-après.

Dans notre société, tout le monde est surchargé, y compris les enfants. Ils ont un horaire surchargé. Et c’est pour cela que nous souffrons de stress, de dépression et d’autres maux.[…] Au Village des Pruniers, nous avons une journée par semaine consacrée à la ‘paresse’. Le jour de paresse n’est pas un jour où nous nous contentons de faire ce qui nous plait. Il y a souvent des choses qu’on a envie de faire, qu’on aime vraiment faire. Les autres jours, on doit faire des choses pour la Sangha, les choses du quotidien ; et on a donc besoin de temps pour pouvoir faire les choses qu’on aime faire. Peut-être que c’est l’idée que nous avons du jour de paresse, un jour où je fais ce que je veux. Mais ce n’est pas cela la journée de paresse. Le jour de paresse, c’est une journée où l’on doit se retenir de faire quoi que ce soit. Nous résistons à la tentation de faire.[…] La journée de paresse est une sorte de mesure drastique contre ce type d’énergie d’habitude. Les jours de paresse, nous devons nous empêcher, nous devons faire de notre mieux pour résister à l’envie de faire quelque chose. Nous essayons de ne rien faire.[…]Nous avons tendance à penser en termes de ‘faire’ et pas en termes de ‘être’. Nous pensons que si nous ne faisons rien, nous perdons notre temps. Or, ce n’est pas vrai. Notre temps est avant tout là pour que nous puissions ‘être’. Être, être quoi ? Être en vie, être la paix, la joie, l’amour. Et c’est ce dont le monde a le plus besoin. Nous nous entraînons donc à ‘être’.

Sur le site du Village, vous pourrez aussi lire cette description de la paresse

La journée de paresse, sans activités au programme, est une pratique profonde, l’occasion de laisser la journée se dérouler de façon naturelle tout en demeurant dans la pleine conscience. C’est un jour pour “être” plutôt que pour “faire”. Un jour où nous nourrir de silence, de nature, de repos, d’écriture, de sport ou de musique. La journée de paresse nous offre du temps, de la paix et de l’espace pour peut-être écrire une lettre à quelqu’un que nous aimons ou une lettre de réconciliation. Lors des jours de paresse, nous pouvons aller marcher dans la campagne aux alentours de notre hameau. Les salles de méditation sont aussi ouvertes pour ceux qui veulent pratiquer la méditation assise ou la relaxation totale. Nous demandons à tout le monde de rester dans l’enceinte du monastère (autant que possible) afin de conserver les bénéfices de cette journée.

Dans le très inspirant podcast ‘the way out is in’ (la solution est à l’intérieur), Thay Phap Huu partage à Jo Confino ce que la paresse signifie pour Thây et à quel point il en a fait une véritable prescription pour sa communauté. L’intégralité est disponible en audio en anglais (ici) ainsi que la transcription écrite (onglet transcript). Et nous vous en offrons ci-après la traduction de quelques passages clé.

Voici quelques extraits non-exhaustifs :

  • Jo Confino :
    Pourquoi Thây a-t-il tant enseigné et prescrit la ‘paresse’ à sa Communauté alors que cette notion est connotée si négativement en Occident ?
  • Phap Huu :
    Oui. La paresse est donc une évolution dans les enseignements du bouddhisme, en particulier dans notre tradition. Elle est considérée comme une journée pour apprendre à ne rien faire. Nous sommes dans la communauté du Village des Pruniers et notre maître, le fondateur, a toujours eu à coeur de renouveler le bouddhisme en apprenant à connaître les souffrances et difficultés d’aujourd’hui et les habitudes dans lesquelles nous sommes tous pris au piège. Et dans la société actuelle, nous pouvons tous reconnaître que nous avons l’habitude d’être agités. Nous ne savons pas comment rester immobiles. Nous ne savons pas comment ne rien faire. Et ce courant de la société qui nous pousse à faire quelque chose afin de nous sentir accomplis nous amène à courir après un objectif ; nous devons courir après une certaine vision des choses, que ce soit le bonheur, le succès ou autre chose. Ce type d’énergie est devenu assez courant. C’est même enseigné dans l’éducation. Pour réussir, il faut avoir ceci et cela. On ne sera heureux qu’après avoir accompli ceci et cela. C’est donc un cycle incessant d’actions.
    […]Lorsque nous ne sommes pas capables d’être présents pour nous-mêmes, pour notre corps, pour nos proches, pouvons-nous vraiment dire que nous sommes vivants ? Pouvons-nous vraiment profiter pleinement de la vie si nous ne sommes pas présents ? C’est pourquoi, au Village des Pruniers, Thây a fait du lundi (à l’encontre de la société, où le lundi marque la reprise du travail), un jour où l’on ne fait rien, appelé ‘jour de paresse’. Et cette journée est si précieuse dans notre semaine. … Je l’appelle parfois le jour sacré, car c’est le jour où l’on peut être libre. Et la liberté vient de l’intérieur, mais nous avons besoin de conditions, donc le jour de paresse est une condition pour apprendre à être avec nous-mêmes. […] Thây a prescrit cette journée de paresse hebdomadaire parce qu’il constate que, dans notre époque moderne, nous ne savons pas nous reposer et, par conséquent, il y a une intention derrière la paresse. […] Cette journée peut réveiller un sentiment de solitude, de séparation ou de peur mais nous pouvons en réalité saluer notre solitude, ne faire qu’un.e avec elle, la reconnaître, l’accepter et comprendre d’où vient cette solitude. Ainsi, dans notre tradition, cette journée de paresse nous permet d’approfondir notre pratique sans être soumis à un emploi du temps.
  • Jo Confino :
    Racontez-nous cette petite anecdote où Thây s’est comparé au Dalaï Lama, car je pense que c’est un très bel exemple de ce dont nous parlons.
  • Phap Huu :
    Oui. L’un des bons amis de Thay est Sa Sainteté le Dalaï Lama, et de temps en temps, Thay fait référence au Dalaï Lama dans ses enseignements, par exemple dans le livre du Dalaï Lama sur l’art du bonheur, etc. Une fois, lors d’un enseignement du Dharma, je crois que Thay parlait d’apprendre à faire moins, d’apprendre à être calme, et il y a cette phrase qui dit : « Ne reste pas assis là, fais quelque chose. » Et puis Thay, qui est toujours un révolutionnaire, ajoute : « Ne fais pas quelque chose, apprends à rester assis là. » Encore une fois, l’intention est en quelque sorte d’aller à contre-courant, car certaines des qualités de notre courant, sont vraiment bonnes pour l’humanité, et certaines d’entre elles mènent à une voie très sombre. Puis Thay a fait une blague en disant qu’il ne veut pas être considéré comme un maître zen ou un grand enseignant, (de toute façon, cela échappe au contrôle de Thay), mais la façon dont Thay aimerait être appelé, ce n’est pas « Sa Sainteté », comme le Dalaï Lama, mais c’est « Sa Paresse ». Et je comprends vraiment que c’est aussi le sens de l’humour de Thay. Mais je vois aussi que c’est une pratique car, dans la vie de Thay, je ne sais pas combien de temps il a pu se reposer pendant sa jeunesse, car c’est une personne très engagée, un moine très engagé. Et je suis sûr que les journées de paresse ne faisaient pas partie de sa réalité à cette époque, car le Dharma doit être adapté à son temps. Et à cette époque, où il y avait tant de souffrances et de chaos, avec la guerre et la destruction, on ne pouvait pas rester les bras croisés, il fallait agir.
  • Jo Confino :
    […] Il semble que la paresse est en fait un don. Je sais que Thay donne l’exemple suivant : « Si vous avez un bol à moitié vide, il est très difficile de continuer à donner, car le bol se vide. Mais si le bol déborde naturellement, si vous le remplissez naturellement, s’il se remplit naturellement d’eau, alors le don de générosité coule naturellement ». […] Et je pense que beaucoup de gens ne savent pas vraiment comment se donner à eux-mêmes. Ils savent comment donner aux autres, mais en réalité, ils ne savent pas comment le faire pour eux-mêmes.
  • Phap Huu :
    Oui, et il s’agit aussi d’écouter son corps. Parfois, nous tombons malades parce que notre corps nous dit de nous reposer. Récemment, j’ai passé une semaine entière malade, et il faut simplement accepter la situation. Il faut renoncer à agir et apprendre à accepter ce qui nous arrive, c’est-à-dire rester alité et se laisser soigner.
  • Jo Confino :
    Thay a fait tellement de choses. Comment la paresse a-t-elle soutenu l’action ?
  • Phap Huu :
    Thay parle toujours de l’interdépendance de toute chose. Ainsi, la paresse et l’activité ne sont en réalité pas deux choses distinctes. Nous apprenons à intégrer cette idée de paresse dans notre activité. Ce n’est pas comme si nous séparions simplement la paresse. Je veux dire, parfois, nous pouvons apprécier une journée de paresse, mais en réalité, dans la vie, il s’agit d’apporter de l’espace, d’apporter une occasion de réflexion. Il s’agit d’avoir des moments de créativité et de laisser les choses émerger plutôt que d’essayer de les contrôler. […]Parfois nous ne prenons qu’une demi journée de paresse. […] Nous avons une réunion communautaire. Nous nous mettons au travail, nous rendons service, puis, dans l’après-midi, nous nous disons : « Bon, nous avons besoin de nous reposer, de profiter de la présence des uns et des autres. » Et nous avons alors une demi-journée libre. Soyez donc l’artiste, cultivez quelque chose qui vous convient.
    […]Et nous pouvons avoir des moments de paresse. Je veux dire, le fait est qu’il est temps d’intégrer cela dans différents aspects de la vie. Parfois, juste écouter la cloche… Au Village des Pruniers, prendre trois respirations et simplement s’arrêter, c’est ce que nous appelons la cloche de la pleine conscience, mais c’est aussi la cloche de la paresse…
  • Frère, y a-t-il d’autres conseils que Thây nous aurait donnés concernant la paresse ? Et comment avez-vous vécu cela avec lui ?
  • Il est véritablement passé maître dans l’art de savourer la vie en toute simplicité. Vous savez, Thây nous rappelait sans cesse à quel point le temps que nous passions ensemble était précieux. Je pense que, comme il avait déjà plus de 80 ans, puis plus de 90 ans, Thây était très conscient de son impermanence. Il savait pertinemment qu’aucun.e d’entre nous ne pouvait échapper à la maladie, à la vieillesse, etc. […]

A la fin de ce podcast, Frère Phap Huu nous offre une courte méditation, une méditation de paresse, dont nous vous offrons la traduction à notre tour (cliquer sur le + ci-dessous) :

Méditation de paresse

Chers amis, que vous soyez en train de marcher, de courir, assis dans un bus, un train, un avion ou sur votre canapé, ou encore en train de travailler chez vous, accordez-vous de rester immobile. Vous pouvez rester debout, vous asseoir ou même vous allonger et simplement sentir le poids de votre corps sur cette Terre. Concentrez-vous sur votre visage. Détendez votre visage. Concentrez-vous sur vos épaules. Laissez vos épaules se libérer de toute tension ou stress. Prenez conscience de vos bras, vos poings, vos doigts, vos paumes. Vous pouvez remuer vos doigts si cela vous aide à sentir votre main et à la détendre lentement. Sentez votre poitrine, votre abdomen, votre dos, le bas de votre corps, vos deux jambes, vos deux pieds. Offrez simplement de la présence à votre corps. Et maintenant, en pleine conscience, lorsque vous inspirez, prenez conscience de votre inspiration. Et lorsque vous expirez, prenez conscience de votre expiration. Voici l’inspiration. Voilà l’expiration. Votre respiration peut être courte ou longue. Acceptez-la simplement. Laissez-la être telle qu’elle est, car votre respiration est la vie même.
Inspirez, expirez. Maintenant, lorsque j’inspire, je me permets d’être immobile. Lorsque j’expire, je me sens à l’aise avec l’immobilité.
Inspiration, immobilité. Expiration, tranquillité.
Et lorsque j’inspire, je me permets d’apprécier cette inspiration. Lorsque j’expire, je peux sourire à cette expiration. Sourire à la vie elle-même.
En inspirant, je me réjouis de cette inspiration. En expirant, je souris à cette expiration. Lorsque nous sommes attentifs à notre respiration, notre souffle peut devenir plus doux et plus calme.
Lorsque j’inspire, je me sens calme. Lorsque j’expire, je ressens le calme dans mon corps et dans mon esprit.
En inspirant, je ressens l’énergie du calme. En expirant, je ne fais qu’un.e avec le calme qui m’habite, dans mon corps et dans mon esprit.
En inspirant, je ressens de la clarté. En expirant, je souris à la vie qui m’habite et qui m’entoure.
En inspirant, je souris à la paresse. En expirant, je profite de ce moment où je ne fais rien, juste respirer et être présent.
En inspirant, paresse. En expirant, présence véritable.

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Enfin, ne manquez pas d’écouter et visionner le très bel enseignement que nous a offert Soeur Dao Nghiem le 14 mai 2023, qui nous explique aussi pourquoi il est si difficile de ne rien faire. Disponible sur youtube :

https://www.youtube.com/watch?v=LuoMSBofXao


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What is Mindfulness

Thich Nhat Hanh January 15, 2020

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