En mai 2019, Sœur Dao Nghiem et sa fille ont eu la joie de marcher ensemble en pleine conscience pendant vingt jours, parcourant la partie nord du Chemin de Saint-François, de Florence à Assise, en Italie. Elle partage ici son expérience.
Si j'avais 53 minutes à dépenser à ma guise, se dit le Petit Prince,
je marcherais très lentement vers une fontaine. -
(Le Petit Prince d'Antoine de Saint-Exupéry)
Lorsque je marche en pleine conscience, un profond sentiment de joie m’envahit, nourrissant tout mon être, de l’intérieur comme de l’extérieur. Parfois, j’apprécie de pratiquer la méditation marchée seule, parfois avec la Sangha ; parfois au cœur de la nature, parfois au milieu des grandes villes. La pratique de la marche méditative sur plusieurs jours, lors de pèlerinages, m’aide à me libérer des pensées superflues et à me reconnecter à l’essentiel, à l’instant présent, à ce qui est.
En marchant en pleine conscience, je retourne à mon refuge intérieur. Je me sens libre ; mon esprit s’apaise et se vide des soucis, des anxiétés, des pensées inutiles. Une légèreté de cœur m’habite alors, et je peux pleinement apprécier les merveilles de la vie qui m’entoure. Dans cet état, j’éprouve une profonde connexion avec la vie, avec moi-même, avec mon humanité. Une compassion douce surgit pour la souffrance de mon enfant intérieur, ainsi qu’une compréhension des barrières que j’ai créées en moi. En aimant la vie et en lui faisant confiance, chaque cellule de mon corps s’illumine de bonheur, et je ressens une profonde connexion et une interdépendance avec notre mère, la Terre. Tout comme nos parents, nos ancêtres et nos enseignants vivent en nous, la Terre est en nous. La Terre, c’est nous.
En mai 2019, ma fille et moi avons eu la joie de pratiquer la méditation marchée ensemble pendant 20 jours, en parcourant la partie nord du « Chemin de Saint-François », depuis Florence jusqu’à Assise, en Italie. Marchant sur les traces du saint patron des animaux, de l’écologie, des familles et de la paix, j’ai été profondément émue par la beauté des paysages toscans et ombriens, par la chaleur des cœurs qui nous entouraient sur notre chemin, et par la vie de saint François, de sainte Claire, ainsi que celle des franciscains du XIIᵉ siècle et d’aujourd’hui.
Parfois, au cours du pèlerinage, une pensée surgit : « Serai-je capable de marcher jusqu’au bout ? Aurai-je la force ? » J’accueille ces pensées avec bienveillance et respire avec elles. En répétant le mantra « Chaque respiration est un miracle, chaque pas est un miracle », je reviens à la joie du moment présent. Chaque jour, le chant du coucou nous accompagne, et je ressens l’amour de Thay. Au Village des Pruniers, nous entendons également ce chant, et Thay nous a transmis la belle pratique de considérer que, chaque fois que nous l’entendons, c’est lui qui nous appelle. C’est une porte merveilleuse vers le Dharma.
Ainsi, chaque jour de notre marche, le chant du coucou nous offre la présence de Thay, nous invitant à faire confiance à l’univers, à embrasser la vie avec ses joies et ses défis, et à marcher sur la terre avec révérence. Je ressens la présence de Thay et laisse le Bouddha marcher à travers moi, revenant à l’ici et maintenant, éveillée à la splendeur du paysage, au miracle d’être en vie, de pouvoir marcher et de partager ce moment avec ma fille.
Nous avons la chance de bénéficier d’un temps frais et aimons commencer notre marche méditative tôt chaque matin, afin de prendre notre temps et de nous arrêter pour contempler la beauté qui nous entoure. Un matin, nous nous réveillons au son d’une pluie battante. Ma fille et moi nous demandons si nous devrions profiter d’une journée paresseuse ou bien pratiquer la méditation marchée sous la pluie. Après un moment d’hésitation, je me laisse inspirer par l’image de saint François marchant avec ses frères par tous les temps, avec peu de nourriture et un sourire aux lèvres (des images tirées du film Frère Soleil, Sœur Lune). Je dis alors : « Allons-y ».
En marchant sous la pluie, en acceptant pleinement d’être complètement trempée, je réalise que je vais bien et que mon esprit est en paix. En silence, en écoutant et en ressentant la pluie, nous assistons à une magnifique danse de nuages qui voilent et dévoilent les collines et les montagnes verdoyantes. Plus tard dans la journée, la pluie s’arrête, et nous nous réjouissons de mettre des vêtements secs. Sortir de ma zone de confort, où je reste au sec, me permet de ressentir une grande liberté. Je me sens bénie et emplie de gratitude. Nous comprenons mieux l’enseignement de saint François sur le vœu de pauvreté.
Il y a quelque chose de profondément satisfaisant dans une randonnée longue distance : le rythme régulier du mouvement, le paysage qui se renouvelle, et la découverte chaque soir d’une nouvelle ville ou d’un village. Certaines nuits, nous dormons sous la tente, d’autres dans des cellules de monastères, des maisons privées, ou des pensions. Chaque expérience est un véritable cadeau. Mon esprit est calme, mon corps plein d’énergie, et je me sens heureuse, même si mes épaules et mes hanches sont douloureuses. Nous marchons le plus souvent en silence, et lorsque nous croisons une rivière ou un lac, nous en profitons pour retirer nos chaussures et plonger nos pieds dans l’eau fraîche. Le soir, nous savourons de délicieux repas préparés par nos hôtes, et nos ventres, tout comme nos cœurs, se réjouissent. Ce sont des moments de partage et un sentiment d’appartenance à une grande famille humaine.
En approchant du monastère bien-aimé de Saint François, La Verna, nous marchons avec la conscience que, depuis des siècles, ces vieilles forêts et ces bois sacrés sont entretenus et chéris par les moines franciscains. La légende raconte que des fées habitent les bosquets entourant le monastère, et le paysage ressemble véritablement à un royaume enchanté, avec ses hêtres majestueux et ses rochers recouverts de mousse. Nous laissons alors le silence profond imprégner tout notre être.
À notre arrivée à La Verna, nous découvrons que toutes les chambres d’hôtes sont occupées. Un moine franciscain, en discutant avec un autre, trouve finalement une chambre dans les quartiers monastiques réservée aux membres de la famille des moines. Quel cadeau ! Émues par la beauté et la paix de La Verna, nous décidons de prolonger notre séjour de deux nuits. Nos cœurs sont remplis de bonheur d’être ici. Les présents et les miracles de l’instant continuent de se manifester, et nous rencontrons des moines ainsi que des amis laïcs de la famille du Village des Pruniers, eux aussi en visite à La Verna.
En marchant sans attentes et sans itinéraire précis, chaque jour nous offre des cadeaux inattendus, uniques et variés. Cela me rappelle ce vers d’un poème de Christian Bobin : « Voir, entendre, aimer. La vie est un cadeau dont je défais les ficelles chaque matin au réveil. » Nous avançons à travers les forêts, les champs de fleurs sauvages et les coquelicots en pleine floraison. Au fil des jours, ma perception du temps s’efface peu à peu, ne laissant place qu’à la pure présence sur le chemin.
Le 23 mai, nous entrons dans la ville d’Assise en début d’après-midi. Après avoir planté notre tente dans un coin ombragé du mont Subasio, nous descendons les rues historiques sinueuses jusqu’à la basilique, où nous visitons le tombeau de saint François, niché dans une crypte sous la cathédrale inférieure. Nous avons la chance de pouvoir nous asseoir en silence dans la crypte ; mon cœur se sent léger et grand ouvert.
Le lendemain matin, ma fille et moi nous réveillons au lever du soleil et empruntons les sentiers de saint François sur le mont Subasio, jusqu’à l’ermitage Eremo delle Carceri, où le saint et ses frères résidaient à leur arrivée à Assise. Nous sommes accueillies par une forêt de très vieux arbres, dont certains étaient déjà vivants à l’époque de saint François. Un panneau rappelle aux visiteurs qu’il s’agit d’une forêt de méditation, un espace de silence et de contemplation à honorer. En marchant, j’ai l’impression de marcher dans les traces de saint François, de ses frères, de Thay, de mes sœurs et frères du Village des Pruniers. La forêt est emplie du chant majestueux des oiseaux et du murmure de l’eau qui s’écoule.
Des sentiers mènent à diverses grottes où des panneaux indiquent les lieux de vie de saint François et de ses frères. Nous méditons dans ces grottes, chacune imprégnée de sa propre saveur de paix, comme si l’énergie de la prière résonnait encore dans les roches. C’est un lieu de paix vibrant de l’amour de saint François et de sa communauté. Pieds nus, nous avançons dans les bois, gravissant des sentiers étroits. La méditation marchée faisait partie intégrante de la vie de saint François. Après quelques heures de contemplation divine, le chant des oiseaux est soudain interrompu par des voix et le bruit des voitures. Les touristes commencent à affluer, et nous sommes reconnaissantes d’être arrivées tôt, d’avoir reçu le cadeau précieux de vivre pleinement le silence et la paix de cet ermitage sacré.
En contemplant la Terre nourricière pendant ce pèlerinage, ma fille et moi avons souvent pensé que c’était bien ce que regardait saint François lorsqu’il sentait l’amour pour toute l’humanité et la nature emplir son cœur. Passé et présent se rejoignent, et une joie profonde jaillit de tout mon être. Je me sens vivante et heureuse. Je ressens une immense gratitude pour ma fille et pour toutes les conditions qui ont rendu ce voyage possible, pour chaque moment partagé : moments de pure beauté, de silence, de joie et de rire, de grâce infinie.