Cérémonie / Cérémonies de Commémoration du décès de Thầy

Article de Frère Pháp Dung et Frère Pháp Lưu, publié le 5 janvier 2024 dans la revue américaine ‘Mindfulness Bell

Un entretien avec Hoà Thượng Giác Quang, Haut Vénérable de Huế, au Vietnam. Grand partisan de Thầy et de la tradition du Village des Pruniers, il explore l’importance des nombreuses cérémonies commémorant et honorant le décès de Thầy.

Frère Pháp Lưu : Nous sommes profondément émus lorsque vous parlez de notre Maître, de son amour, de son chemin et de son enseignement. Beaucoup de personnes en Occident soulèvent cette question : “Pourquoi faire une cérémonie lors du premier anniversaire du décès de Thầy [Lễ Tiểu Tường] au Vietnam?” Quelle est la signification de la cérémonie de crémation [Lễ Trà Tỳ], de la cérémonie de quarante-neuf jours, de la cérémonie de cent jours, de la petite cérémonie commémorative à l’occasion du premier anniversaire du décès de Thầy [Lễ Tiểu Tường] et de la grande cérémonie commémorative [à l’occasion du deuxième anniversaire, Lễ Đại Tường] ?

Frère Pháp Dung: De nombreux pratiquants vivant à l’étranger suivent notre Maître, ils l’aiment beaucoup. Ils ont pu suivre nos cérémonies en ligne au cours de l’année écoulée, et ils écrivent des lettres très touchantes commémorant Thầy. Ils n’ont pourtant pas une grande compréhension de la culture et des coutumes du peuple vietnamien, surtout en ce qui concerne le Bouddhisme. Pháp Lưu and moi-même aurions pu faire des recherches en bibliothèque mais, cette fois, nous avons la chance d’être à vos côtés et de pouvoir vous interroger. Conscients de votre expérience et de votre amour pour notre Maître, nous souhaitons avoir directement votre avis sur la culture et vos ressentis lors de ces cérémonies. D’autres moines nous ont dit que, grâce à votre aide, ces cérémonies ont été réalisées dans l’esprit de l’enseignement de Thầy et de la tradition du Village des Pruniers. Les cérémonies d’anniversaire affecteront notre Sangha mondiale. Je pense qu’au cours des cinq à dix prochaines années, de nombreux Occidentaux commenceront à partir en pèlerinage dans des endroits comme Huế, au Vietnam. Nous espérons que vous partagerez vos idées personnelles sur la signification des cérémonies. Voici la première question que je souhaite vous soumettre :

Pourquoi la culture bouddhiste, vietnamienne, organise-t-elle des cérémonies au décès d’un grand maître. Et pourquoi doit-il y avoir autant d’étapes dans les cérémonies ?

Hoà Thượng Giác Quang; Photos avec l’aimable autorisation des monastiques du Village des Pruniers de Thailande

Ôn Giác Quang : De façon générale, les cultures des pays d’Asie de l’Est vouent un grand respect aux défunts, qu’il s’agisse de la Chine, du Japon, de la Corée du sud et encore particulièrement la culture vietnamienne. Le Vietnam a été fortement influencé par la Chine. Lorsque la culture chinoise a été introduite au Vietnam, les cérémonies [néo-confucéennes] étaient principalement utilisées pour renforcer la culture nationale. En tant que bouddhistes, nous ne nous opposons jamais à cette tendance, mais nous ajoutons du contenu bouddhiste vietnamien aux cérémonies. C’est ce qu’a toujours fait le bouddhisme [s’intégrer dans la culture locale], tout comme le Bouddha.

Après le décès d’une personne laïque, nous organisons d’abord la cérémonie de purification. Elle consiste à nettoyer le cercueil, chanter des prières et asperger de l’eau pour la purification. Vient ensuite la cérémonie de clôture du cercueil : le cadavre est déposé dans le cercueil, avec grand soin et dans le respect du corps. Différents objets précieux sont aussi disposés dans le cercueil, et parfois des vêtements et effets personnels.

Dans la pratique bouddhiste, nous avons la cérémonie d’ouverture des ‘Écritures’, au cours de laquelle nous rendons hommage à Bouddha, lui demandant l’autorisation d’entamer le chant des Écritures pour la prière. Vient ensuite la cérémonie de retour de l’âme [invitant l’âme à revenir] ; quand une personne meurt, ses trois âmes [三魂] et ses sept esprits [七魄] sont partis, nous les invitons donc à revenir. C’est alors qu’intervient la cérémonie d’hommage pour honorer le défunt. Les jours suivants, nous préparons des offrandes de repas au quotidien. Arrive ensuite la Cérémonie matinale, avant le jour des funérailles. C’est en cette matinée que nous offrons un repas à l’esprit qui s’en est allé et que nous lui annonçons que nous l’escorterons le lendemain. Le jour de la Cérémonie du Matin, nous invitons également l’esprit du défunt à rendre hommage aux grands-parents, aux ancêtres. En tant que descendant, le défunt s’apprête à entrer dans la lignée des ancêtres qui l’ont précédé.

L’après-midi suivant est consacré à la cérémonie de Requiem, elle-même suivie d’une cérémonie du soir. La particularité de la cérémonie du soir est que tous les descendants sont présents pour une offrande conjointe. Un peu à l’instar de parents qui, partant loin, reçoivent visite et cadeaux de leurs enfants en guise d’adieu.

Les funérailles ont lieu le jour suivant, avec la Cérémonie de Départ, qui consiste à informer l’esprit du défunt que ce jour est celui où nous pouvons l’escorter tout au long de son chemin. Lors de l’escorte du défunt, les laïcs peuvent participer à une cérémonie de clôture du cercueil. Vient ensuite la cérémonie de purification de la tombe, au cours de laquelle les moines se lèvent pour purifier la tombe avant de descendre le cercueil dans le lieu de sépulture. [Dans le cas de Thầy, nous avons incinéré son corps au lieu de l’enterrer, ce qui est encore une procédure inhabituelle au Vietnam.]

En rentrant à la maison, nous organisons la cérémonie du ‘retour de l’âme’. Nous ramenons l’esprit du défunt à la maison et nous l’installons sur l’autel. On considère que le brûleur d’encens est le lieu où habite l’esprit du défunt, c’est pourquoi nous avons installé un brûleur d’encens sur l’autel.

Nous terminons par la cérémonie de clôture, qui consiste à chanter les écritures et à rendre hommage à Bouddha.

Soeur Chân Không lors de la cérémonie de commémoration un an après le Thây, en janvier 2023 à Huế, au Vietnam. Photo avec l’aimable autorisation de la Sangha monastique

Après les funérailles et l’enterrement (ou la crémation), la plaque commémorative du défunt est placée sur l’autel des ancêtres au cours d’une cérémonie appelée An Vị Bát Hương. Une image du défunt est placée sur l’autel et de l’encens est offert.

Ensuite, on compte la première semaine (depuis le jour du décès jusqu’au septième jour). Ce cycle se répète chaque semaine. Selon la culture chinoise, une personne décédée doit passer par dix étapes, appelées les ‘dix Cours de l’Enfer’, où elle est jugée par un ‘Tribunal’. Dans l’une de ces cours, le roi des enfers transmet le dossier au juge. Dans le bouddhisme, nos ancêtres acceptent toujours le concept des dix tribunaux issus des croyances populaires, mais ils les utilisent pour donner un sens et un contenu à dix cérémonies. Ainsi, dans le Soutra de la bonne naissance [le Siṅgāla Sutta dans le canon pali], le Bouddha demande à ‘Bonne Naissance’ le nombre de directions devant lesquelles il s’incline chaque jour et le but de ses prosternations. Bonne Naissance ignorant la réponse, car elle se contentait de suivre ce que ses parents lui avaient enseigné, le Bouddha lui indique devant qui s’incliner dans chaque direction. Chaque prosternation a donc une signification, et la prosternation devient complète.

Le principe des dix cours est toujours d’actualité, mais nous y ajoutons un contenu et une signification. Chaque semaine a pour objectif de permettre aux descendants de se souvenir de leurs ancêtres. Les descendants se réunissent pour pratiquer ou cultiver le souhait de prier. C’est tout à fait normal, cela ne présente aucun obstacle.

Au cours des sept semaines qui suivent l’enterrement, il y a sept étapes au cours desquelles nous chantons des soutras au quotidien, accomplissons de bonnes actions et prions pour la personne décédée. Que ce soit sur le chemin spirituel ou dans le monde, nous dirigeons notre esprit vers nos proches.

Le centième jour après le décès s’appelle la ‘huitième étape’ ; ensuite, le premier anniversaire est la neuvième étape et le deuxième anniversaire est la dixième étape. Le premier anniversaire a lieu exactement douze mois après le décès. Le deuxième anniversaire est la grande cérémonie commémorative qui a lieu vingt-quatre mois après le décès. Après cette date, les commémorations sont annuelles.

Lorsque la cérémonie se déroule en deux lignes, il s’agit d’une formalité cérémonielle, influencée par des rituels anciens. Le fait de marcher sur deux lignes représente la solennité. Les funérailles à Huế sont les plus élaborées. Dans le Sud, les funérailles sont accompagnées de musique, de chants, d’alcool et de nourriture, en fonction des coutumes de la région.

Les cérémonies de Thầy sont influencées par la culture de la cour royale, la culture des temples et les inscriptions des temples. Il y a une procession cérémonielle, marchant en deux lignes, faisant preuve de respect et de solennité.

photo de Thuy Cu

Phap Dung : Cher Grand Vénérable, nous avons entendu dire qu’à l’occasion du deuxième anniversaire, la grande cérémonie commémorative (Lễ Đại Tường) est très importante. Pourquoi cette importance ?

Ôn Giác Quang : Habituellement, on considère qu’après la grande cérémonie commémorative, Thầy n’est plus. Avant cela, nous pensons que Thầy est toujours là. Pendant les deux années qui suivent le décès de Thầy, si quelqu’un est digne d’être abbé, il ne pourra pas encore le devenir. Pendant ces deux années, c’est comme si Thầy était toujours là. En 2016, par exemple, lors de la cérémonie de transmission des Grands Préceptes de Gratitude (Đại Giới Đàn Ân Nghĩa), Thầy était malade, mais nous avons quand même pu accomplir ce que nous avions à faire, parce que Thầy était toujours là, assis, à nous protéger, à nous nourrir de sa solidité.

Les deux années qui ont suivi le décès de Thầy, celui qui se préparait à devenir abbé n’était considéré que comme un superviseur du temple, c’est-à-dire qu’il se contentait de surveiller et de gérer le temple ! Ce qui est bien, c’est que les frères ne sont pas perturbés par le fait que Thầy soit toujours là. Les frères sont toujours unis. Au bout de deux ans, tout est en ordre et le moine aîné devient officiellement l’abbé. La signification de la grande cérémonie commémorative est la même ! C’est le moment de la séparation entre maître et élève ; tous les disciples, enfants et petits-enfants se retrouvent à la maison. Une fois la grande cérémonie commémorative terminée, seules des cérémonies d’anniversaire sont organisées.

Pháp Lưu : Pourquoi tous les disciples seniors doivent-ils revenir assister à la grande cérémonie commémorative de Thầy ?

Ôn Giác Quang : Les anciens sont importants, ils doivent donc être présents au service. Au Vietnam, nous avons un dicton : “Si vous jouez le rôle d’un frère ou d’une sœur aîné(e), vous devez en assumer la responsabilité.” En tant que frères ou sœurs aînés, nous avons le devoir de prendre soin de notre professeur ; en tant que frères et sœurs aînés, nous devons être les premiers à prendre des responsabilités.

Pháp Lưu : Après le décès de Thầy, vous avez souligné combien le lien entre le Village des Pruniers et notre temple racine était crucial. Pourriez-vous nous dire pourquoi ce lien est nécessaire et pourquoi il est si important ?

Ôn Giác Quang : Le Village des Pruniers et Từ Hiếu sont inséparables, tels un seul corps. La première fois que j’ai fait venir mes disciples à Từ Hiếu, je leur ai dit que leur venue ici était comme un retour à leur patrie spirituelle. Ils étaient encore très immatures et je craignais qu’ils ne contrarient les Grands Vénérables. Je leur ai indiqué de poser directement leurs questions aux Grands Vénérables pour qu’ils les guident. Je n’aurais jamais osé les instruire moi-même. Le temple Từ Hiếu est leur patrie spirituelle, quel que soit leur pays d’origine. Ce lien profond se reflète dans les enseignements de Thầy. Vers la fin de sa vie, Thầy est retourné à Từ Hiếu, invitant ses disciples à le rejoindre. Il est naturel pour nous de nous sentir reliés à Từ Hiếu, et même lorsque des événements inattendus se produisent, nous reconnaissons toujours Từ Hiếu comme notre racine.

Vietnam, janvier 2023 : Cérémonie de commémoration du premier anniversaire du décès de Thầy, au Temple Từ Hiếu. Photo avec l’aimable autorisation de la sangha monastique.

Lorsqu’une personne décède, sa mémoire peut s’estomper avec le temps mais, avec Thầy, les choses s’éclaircissent peu à peu. Par exemple, l’université de Harvard intègre désormais la méditation de pleine conscience à son programme d’études. Le Bhoutan, le pays le plus heureux du monde, a utilisé l’image de Thầy sur ses timbres. Les exemples sont innombrables. Un moine bouddhiste vietnamien vivant en Amérique a soudain vu clairement la grandeur de Thầy. Il s’est rendu compte que, bien qu’il soit très instruit, qu’il parle couramment l’anglais et qu’il ait une connaissance approfondie des enseignements bouddhistes, il est incapable d’accomplir ce qu’a fait Thầy. Il ne pouvait tout simplement pas communiquer avec tout le monde comme Thầy. Ces exemples mettent en évidence la vaste portée des enseignements de Thầy.

À l’avenir, le monde reconnaîtra Thầy comme un maître spirituel mondial. Comment sa voie pourrait-elle s’éteindre ? Le Village des Pruniers peut connaître des hauts et des bas. Même si certaines personnes s’inquiètent, c’est normal. Toute organisation en fait l’expérience. Cependant, lorsqu’une chose devient une vérité, une réalité, elle ne connaîtra jamais de hauts et de bas. La philosophie de Laozi, par exemple, n’a peut-être plus beaucoup d’adeptes, mais personne ne peut effacer ses idées, ni celles de Confucius, et encore moins les enseignements de Thầy. Même si le Village des Pruniers connaît des hauts et des bas, ses enseignements et ses pratiques resteront stables. À l’avenir, les gens reconnaîtront Thầy comme un maître spirituel mondial, et cela me rend très heureux.

Même les livres consacrés à Thầy et rédigés par les enseignants permettent aux lecteurs de mieux percevoir la lumière du bouddhisme vietnamien. Habituellement, nous nous limitons au Vietnam mais, aujourd’hui, les enseignements de Thầy sont devenus universels et ses disciples proviennent du monde entier. Ils parlent des langues occidentales, le chinois, etc. Nous avons des moines et une organisation monastique internationale. Lors d’une visite au Village des Pruniers, j’ai dit un jour que la grandeur d’une personne qui transmet les enseignements est d’aider les populations locales à devenir des moines bouddhistes. Le plus beau dans nos centres de pratique à l’étranger, c’est que les non-vietnamiens sont désormais plus nombreux que les vietnamiens. Dans notre centre en Thaïlande, il y a plus de dix moniales thaïlandaises. Sœur Linh Nghiêm est actuellement la plus âgée des moniales thaïlandaises pratiquant dans la tradition du Village des Pruniers. Il existe un lien étroit entre le Vietnam et la Thaïlande, tout cela grâce à Thầy. (Rires)

Phap Dung : Un tout grand merci, cher Vénérable !

Ces extraits ont été tirés d’un entretien réalisé au Village des Pruniers de Thaïlande le 7 février 2023 par les Frères Pháp Khâm, Pháp Dung, Pháp Lưu et Sœur Linh Nghiêm. L’entretien a été légèrement modifié pour des raisons de clarté et de facilité de lecture.

Les Auteurs

Frère Pháp Dung

Frère Pháp Dung, Étreinte du Dharma, est un moine américain d’origine vietnamienne, ordonné par Thầy en 1998. Il a obtenu un BA professionnel en architecture. Pour en savoir plus.

Frère Pháp Lưu

Ordonné en 2003, Frère Pháp Lưu (Courant du Dharma) a reçu la Transmission de la Lampe de la main de Thầy en 2011. En savoir plus.


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What is Mindfulness

Thich Nhat Hanh January 15, 2020

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