Cela fera 1 an que Sœur Lan Nghiêm nous a quitté (le 1er décembre 2020). Une soeur du Village des Pruniers nous raconte avec beaucoup d’humilité et d’amour les expériences spirituelles vécues alors qu’elle s’occupait de son aînée en fin de vie.
Sœur Trăng Lộc Uyển, ordonnée novice en 2010, appartient à la famille d’ordination du Bambou jaune. Jeune, active et future enseignante du Dharma du Village des Pruniers, elle vit en France, au Hameau du Bas. Alors que Sœur Lan Nghiêm (moniale hollandaise) était gravement malade, elle s’est portée volontaire pour l’assister, avec d’autres Sœurs, jusqu’à son décès. Cet article est consacré aux expériences spirituelles qu’elle a vécues pendant qu’elle s’occupait de Sœur Lan Nghiêm.
Des conditions favorables
C’est un après-midi de juillet que je suis arrivée pour la première fois au Hameau du Bas. Ma Sœur, issue de la même famille d’ordination, m’a emmenée saluer nos sœurs aînées. Il y avait une Sœur particulièrement amicale qui m’a demandé si je parlais anglais. Cette Sœur était Sœur Lan Nghiêm. Je me souviens de ces mots dans ma tête : “Whoa, mon Dieu, comment peut-il y avoir une personne aussi grande sur cette planète ?”
Toutes les conditions ont été réunies pour avoir la chance de partager une chambre avec Sœur Lan Nghiêm ; nous faisions en effet partie de la petite minorité de religieuses du Hameau du Bas à apprécier l’air frais et les fenêtres ouvertes l’hiver.
Le jour où elle est revenue à la Sangha après six mois de repos et de convalescence, et après avoir appris qu’elle avait un cancer, je travaillais au bureau pour préparer une retraite en ligne. Même si j’en avais envie, il y avait tellement de travail qui s’accumulait qu’il m’était difficile de prendre du temps pour être avec elle. Et je n’étais pas à l’aise avec cela. J’ai décidé d’être son accompagnante, car c’était le meilleur moyen d’exprimer mon amour envers celle qui, depuis quelques années, était ma ‘jeune’ amie bien-aimée.
Le voyage commence.
Faire connaissance
Après sa première séance de chimiothérapie, Sœur Lan Nghiêm se sentait suffisamment bien pour me raconter toutes sortes d’histoires. Des histoires de son enfance, de promenades en bateau avec son père, de l’achat d’une maison à Amsterdam, de sa décision de tout quitter pour s’installer en France, de la vie en communauté dans une ferme fabriquant du fromage…
Après toutes ces années passées à vivre avec elle, je pensais que ma capacité à écouter ses histoires interminables était plutôt solide. Mais après deux semaines de présence auprès d’elle, j’ai commencé à avoir peur. Peur parce que j’entendais sa voix tout le temps. Lors de la méditation assise, les yeux fermés, ou avant de m’endormir, je ne voyais que ses gestes. J’avais peur de porter en moi son énergie et j’avais l’impression de ne plus être moi-même. J’étais la réplique exacte de Sœur Lan Nghiêm.
Ce n’est que lors d’une séance de méditation assise que j’ai vu clair : c’est vrai, comment ne pas être la réplique de Sœur Lan Nghiêm ? Toute personne impliquée dans une relation intime va plus ou moins influencer l’autre. Tout se déverse dans notre conscience du tréfonds, que nous le voulions ou non. Et soudain, lorsque j’ai reconnu toute l’énergie négative que l’on peut absorber de la personne dont on s’occupe, j’ai immédiatement pensé à toutes les infirmières et à tous les soignants. Je m’occupe de Sœur Lan Nghiêm, mais je vis dans la Sangha, je suis dans un bon environnement, je peux pratiquer la méditation assise et la marche méditative… or, je suis quand même confrontée à cette difficulté… que font les infirmières et les soignants à l’hôpital ? Cette prise de conscience me procura davantage d’énergie pour me pencher en profondeur sur ma pratique et prendre soin de moi, tout en étant accompagnante. Un matin, j’ai vu la relation intime entre moi et tout ce qui m’entoure. J’ai compris que, physiquement, j’allais bien et que j’étais le récipiendaire indirect de la peur et du malaise de Sœur Lan Nghiêm. J’ai vu que, chaque heure, Sœur Lan Nghiêm était la destinataire directe de sa douleur physique, mais aussi de la peur et de la confusion de ce qui allait se passer ensuite. Cette prise de conscience m’a donné une motivation supplémentaire pour pratiquer. Je me suis dit : Sœur Lan Nghiêm va endurer sa douleur et je vais pratiquer pour elle. J’ai accepté la vérité de l’inter-être. Au lieu d’avoir peur et de nier l’énergie présente, je l’ai acceptée comme la boue la plus précieuse pour générer la motivation nécessaire à l’examen approfondi de la peur de la mort qui réside au plus profond de ma conscience du tréfonds.
À chaque séance de méditation assise, surtout avant de m’endormir, je me mettais à la place d’une personne mourante et je pratiquais avec le Gatha ‘Ce corps n’est pas moi…’
Chaque fois que je prenais soin de Sœur Lan Nghiêm, je me rappelais d’être consciente : je suis de la même nature, je finirai par vieillir, par tomber malade, par avoir peur de la mort, par avoir peur d’être perdue et confuse. En pratiquant de la sorte, j’ai senti la gratitude déborder en moi. Sœur Lan Nghiêm est une manifestation de Bodhisattva, qui accepte et embrasse sa douleur physique afin que je puisse m’éveiller. Même jeune, la maladie et la mort peuvent survenir à tout moment et elles n’épargnent personne. Elle m’a rappelé que je devais être diligente dans ma pratique et mon étude afin de pouvoir goûter à l’intuition de la non-naissance et de la non-mort.
J’ai dit à ma conscience Manas : “Tu n’as pas la capacité de me duper. La mort peut survenir à tout moment. Je peux mourir à tout moment.” J’ai directement remercié Sœur Lan Nghiêm d’avoir accepté de revenir dans la Sangha afin que celle-ci puisse prendre soin d’elle. Cela signifiait beaucoup pour la Sangha : il y a quelque chose de rassurant à être malade dans la Communauté. Il y a beaucoup de personnes qui tombent malades et ne restent pas au sein de la Communauté, par peur de déranger. Sœur Lan Nghiêm a été la première Sœur non vietnamienne à rester dans la Sangha alors qu’elle était malade, jusqu’à sa mort. Je sais qu’en prenant soin de Sœur Lan Nghiêm, je prends également soin de mon avenir et de celui de la Sangha. La manifestation de son cancer est comme une cloche d’éveil pour la communauté du Hameau du Bas, nous permettant de nous entraîner à contempler la vieillesse, la maladie, la mort et à nous chérir les unes les autres.
Dans la forêt de la peur et de la confusion
C’était le matin précédant sa deuxième chimiothérapie. À quatre heures du matin, une jeune Sœur m’a réveillée en m’expliquant que Sœur Lan Nghiêm criait dans la chambre et me réclamait. Quand je suis arrivée dans sa chambre, elle pleurait : “Lộc Uyển, aide-moi ! Je ne sais pas où je suis.” Elle pleurait continuellement comme une enfant confuse et apeurée. Elle ne comprenait pas pourquoi elle était dans le train pour aller en Italie. Heureusement pour moi, comme j’ai également eu l’occasion d’être attendante de Sœur Chân Đức, je savais comment offrir un massage pour détendre ses muscles autour de sa tête et de son cou et favoriser la circulation du sang vers son cœur. J’ai continué avec une main massant son oreille et l’autre main placée sur son ventre, pour lui donner de la chaleur. J’ai commencé à lui proposer une méditation guidée. Je lui ai demandé si elle pouvait sentir ma main sur son ventre. Elle a répondu oui. Puis elle m’a demandé pourquoi elle était dans un train en direction de l’Italie. Je n’ai pas répondu, mais j’ai continué à guider son esprit vers ma main chaude placée sur son ventre, en maintenant son attention sur la chaleur de ma main et sur le mouvement ascendant et descendant de son abdomen.
Au bout de quelques minutes, elle a demandé pourquoi ça lui arrivait. Elle a répété cette question plusieurs fois. J’ai continué à pratiquer la méditation guidée. La séance a duré deux heures. Tout ce temps, elle avait peur d’être seule et ne me laissait aller nulle part ailleurs. Je me souviens de sa voix forte : “Je t’en prie, ne me laisse pas seule, je t’en supplie, ne me laisse pas seule”.
J’ai poursuivi la méditation guidée. Après cela, elle a repris sa respiration et s’est endormie sans s’en apercevoir. Moi aussi, assise à côté de son lit, une main placée sur son ventre, l’autre cramponnée à son lit, je me suis endormie sans m’en rendre compte.
Une demi-heure plus tard, elle s’est réveillée. Elle m’a regardée : “Ouf, maintenant je suis rentrée à la maison.” Elle était revenue à la normale, et savait où elle était.
Dans le calme, j’ai observé la situation, et j’ai compris qu’elle avait très peur de devoir subir une nouvelle séance de chimiothérapie. Tous ses muscles étaient tendus, son sang ne pouvait pas refluer vers son cœur et son cerveau, et c’est pourquoi elle a été prise de panique. Son voyage en train vers l’Italie était le voyage vers sa séance de chimiothérapie, car son médecin était de nationalité italienne.
Quelque temps plus tard, Sœur Lan Nghiêm a été admise à l’hôpital pour une transfusion sanguine et une perfusion de potassium.
De retour au Hameau, elle est devenue étrangement difficile ; de mauvaise humeur, elle voulait être indépendante mais elle oubliait toujours tout. Nous étions désemparées. J’étais déterminée à expérimenter une nouvelle méthode. Je connaissais sa personnalité et c’est pourquoi j’ai osé tenter l’expérience. Elle s’est énervée contre moi alors que je venais de préparer ses médicaments (c’était la première fois qu’elle était en colère contre moi). J’ai respiré profondément pendant un moment et j’ai dit : “Chère sœur, nous t’aimons beaucoup et nous nous sommes portées volontaires pour prendre soin de toi, de tout notre cœur. Mais j’ai aussi des lacunes et des limites, surtout lorsqu’il s’agit de comprendre la médecine occidentale. Si tu vois que nous ne pouvons pas t’aider, dis-le à Sœur Thủy Nghiêm pour qu’elle change d’attendantes. Nous ne voulons pas te fatiguer davantage.” Après lui avoir dit cela, je m’étais préparée à entendre une réaction. Mais au lieu de cela, elle est rentrée dans un grand silence, sa voix s’adoucissant mais se faisant un peu plus triste. J’étais inquiète. J’ai demandé si elle avait besoin d’autre chose avant que je quitte sa chambre. D’une voix triste, elle m’a répondu qu’elle pouvait se débrouiller. Le lendemain matin, une jeune Sœur m’a informée que Sœur Lan Nghiêm était plus douce, et que chaque fois qu’elles faisaient quelque chose pour elle, elle les remerciait. Mon Dieu ! Cela signifiait que mon expérience avait fonctionné. À partir de ce moment, elle nous a fait entièrement confiance, y compris à Sœur Đào Nghiêm, la personne qui prenait soin de ses traitements médicamenteux et qui communiquait avec le médecin.
Le cancer avait commencé à se propager dans son cerveau. Sœur Lan Nghiêm a commencé à ne plus comprendre bon nombre de choses et à ne plus savoir où elle se trouvait. Parfois, elle me posait des questions et je ne pouvais m’empêcher d’être entre larmes et sourire : “Pourquoi les gens ont-ils créé l’horloge ?”, “Pourquoi suis-je ici ?”, “Comment ont-ils découvert que j’avais un cancer ?”
Son corps commença à s’affaiblir, mais sa conscience n’était pas encore capable d’accepter la réalité de son cancer : “Quelle est cette chose qu’on appelle la mort ?”. Si elle était décédée comme ça, cela n’aurait pas été bon. Tout le monde dans la Sangha le savait, mais nous ne savions pas précisément ce qu’il fallait faire pour être vraiment utile. Je me souviens qu’à cette époque, je chantais le nom d’Avalokiteshvara, espérant que l’énergie d’amour bienveillant et de compassion en moi s’éveillerait pour que je puisse faire quelque chose pour l’aider.
La force de la Sangha
Finalement, la Sangha a appris qu’elle souffrait d’un cancer de stade 4. Lors de ses deux dernières séances de chimiothérapie, les médecins lui ont administré le minimum de produits nécessaires pour lui éviter d’avoir des plaies. Ce n’était pas le dosage habituel d’une séance de chimiothérapie normale.
Nous ne pouvions pas aider Soeur Lan Nghiêm à se rétablir. Il était maintenant temps de l’aider à surmonter sa dépression et à accepter qu’elle allait bientôt mourir. L’équipe des Soeurs qui s’occupaient d’elle a commencé à chanter de nombreuses chansons sur la non-naissance et la non-mort. La Sangha proposa des séances de chant deux fois par semaine pour elle. Un soir, alors qu’elle se retournait, elle s’est réveillée et je lui ai demandé : “Comment va ton corps ?” Elle a répondu : “Oh, je me sens très heureuse et à l’aise.”
Je me suis sentie extrêmement heureuse en entendant ces mots. Je ne sais pas depuis combien de temps elle ne s’était pas sentie confortable et paisible dans son corps. J’ai dit : “Sais-tu pourquoi tu te sens heureuse ? C’est parce que la Sangha t’a envoyé l’énergie de paix.”
Quand elle a entendu cela, elle a dit : “Oh vraiment, je remercie la Sangha.”
Apparemment, elle essayait d’oublier la réalité de sa situation. Un jour, après l’assise, j’ai réalisé que pour qu’elle accepte la réalité de sa mort prochaine, nous devions demander l’aide de Sœur Chân Đức. Ce matin-là, lorsque Sœur Chân Đức est venue me rendre visite, j’ai partagé avec elle l’état dans lequel se trouvait à présent Sœur Lan Nghiêm. Après avoir entonné une ou deux chansons, Sœur Chân Đức a ôté son bonnet, et j’ai su qu’elle allait commencer à parler du Dharma. Elle a partagé sur le bonheur d’être disciple de Thầy, de connaître la pratique de la pleine conscience, et de pouvoir vivre dans l’étreinte aimante de nos frères et sœurs monastiques. Puis elle a demandé à Sœur Lan Nghiêm si elle savait quel discours du Dharma Shariputra avait partagé avec Anapathindika avant sa mort ? Sans attendre la réponse de Sœur Lan Nghiêm, elle a poursuivi :
“Ces yeux ne sont pas moi, je ne suis pas emprisonnée dans ces yeux. Ces oreilles ne sont pas moi, je ne suis pas emprisonnée dans ces oreilles. Ce corps n’est pas moi, je ne suis pas emprisonnée dans ce corps.”
(Soutra de l’Aide aux Mourants. – Livre ‘Chants du Coeur’, Village des Pruniers)
A mesure que Sœur Chân Đức approfondissait le Soutra, l’énergie de concentration de Sœur Lan Nghiêm se renforçait. Je m’en souviens comme si c’était hier : Sœur Lan Nghiêm était parfaitement immobile et écoutait les paroles de Sœur Chân Đức, tout comme un enfant écouterait les enseignements de ses parents.
Après ces enseignements, Sœur Chân Đức a chanté quelques chansons avant de repartir. Sœur Lan Nghiêm a commencé à ressentir une vive douleur. Nous l’avons massée pendant une heure, sans résultat. Je savais que la douleur était forte. En effet, elle commençait à se réveiller à la réalité et à ne plus l’éviter. Manas devait se détourner et regarder derrière.
Le lotus fleurit dès que la boue est acceptée
Dix jours avant de quitter son corps, elle était une fois de plus dans une douleur atroce. Je lui ai dit : “Chère Sœur, tu sais que nous t’aimons et que nous n’hésitons pas à prendre soin de toi. Je vois que le cancer se propage rapidement. Si, à un moment donné, tu sens que tu ne peux plus supporter l’inconfort, alors tu peux lâcher ce corps, ok ? La Sangha est toujours présente pour te protéger et t’envoyer de l’énergie”.
Elle a répondu : “J’y songe. Cela devient plus difficile.”
J’étais heureuse d’entendre cela. Ces mots prouvaient qu’elle était parvenue à s’accepter – à accepter la vérité.
Avec un peu plus de confiance, je l’ai interrogée : “Combien encore penses-tu pouvoir continuer comme comme ça ?” Elle n’était pas prête à répondre. Comme je la connaissais, je lui ai fait quelques suggestions : “Encore quelques mois, quelques semaines, quelques jours ?” Elle a répondu : “Je pense que je peux continuer pendant environ deux semaines.” N’étant pas sûre de la réponse, je lui ai proposé de confirmer : “Tu veux dire encore deux jours ou deux semaines ?”
Elle a répondu : “Je pense que je peux continuer pendant environ deux semaines.”
“Veux-tu que je fasse quelque chose pour toi ? Y a-t-il quelque chose qui te donne des remords ou des regrets ?” “Non”, me dit-elle. Puis j’ai poursuivi : “Veux-tu que les moines et moniales viennent chanter quelques chansons pour toi ?”. Elle a hoché la tête. À compter de ce jour, sa chambre fut emplie de chants et de partages de magnifiques souvenirs des anges en robe brune.
Deux jours plus tard, c’était à mon tour de prendre le service de nuit. Avant de m’endormir, j’ai chanté la chanson “Je suis arrivée, je suis chez moi”. À ma grande surprise, elle m’a accompagnée dans la chanson. À ce stade, sa langue était raide et recroquevillée, si bien que les mots n’étaient pas audibles. Mais lorsque nous avons atteint la ligne qui disait “la porte de la non naissance et de la non mort est ouverte…”, elle a entonné le chant avec grande détermination. Je sentais qu’elle était déterminée à voir la perspective de la non-naissance et de la non-mort. Je lui ai dit : “Je sais que le but suprême d’un moine ou d’une moniale est d’atteindre la vision profonde de la non-naissance et de la non-mort. Même si je suis encore jeune, je souhaite également avoir cette vision.” Elle a répondu : “Moi aussi”
En entendant ces mots, je me suis sentie extrêmement heureuse. Après quelques respirations, j’ai poursuivi : “À présent, tu fais l’expérience de la vieillesse, de la maladie et de la mort avant moi : par conséquent, tu réaliseras la vision de la non-naissance et de la non-mort avant moi. Si tu y parviens avant moi, s’il te plaît partage-le avec moi.” À ce moment-là, Sœur Lan Nghiêm s’exprima d’une voix ferme que je ne peux oublier : “Je te le ferai savoir avant de partir”. Après cela, j’ai diffusé l’Enseignement offert par Thầy sur la non naissance et la non mort. Un sourire s’est dessiné sur ses lèvres. Il est demeuré présent jusqu’au lendemain matin, et jusqu’au moment où elle a libéré son corps.
Ses deux jeunes sœurs de sang nous ont informées que deux jours après avoir écouté l’enseignement du Dharma, alors qu’elle était allongée, elle a soudainement dit à deux reprises : “J’ai compris, j’ai compris.”
J’étais si heureuse ! À partir de ce moment, l’énergie de Sœur Lan Nghiêm était complètement différente. Passant d’un lieu de peur, d’inquiétude et de sommeil dans le but d’oublier la réalité, elle est devenue plus paisible et s’est reposée profondément. La douleur augmentait de plus en plus chaque jour, mais son esprit était de plus en plus léger. Ensuite, chaque fois que je faisais une méditation assise dans sa chambre, je ressentais un merveilleux sentiment de paix. Parfois, j’avais l’impression d’être assise en présence de Thầy à l’époque où j’étais son attendante. Elle ne permettait plus aux infirmières de lui faire de prises de sang ni de la nourrir par sonde. Son corps s’affaiblissait de jour en jour, mais l’énergie qu’elle dégageait était vraiment paisible. J’avais prêté attention et j’avais remarqué que chaque fois qu’elle ressentait une douleur à la tête, elle utilisait ses mains pour la masser. Les derniers temps, chaque fois qu’elle avait mal à la tête, elle faisait le mudra auspicieux et le plaçait sur sa tête. Dans la soirée du dimanche 29 novembre, elle présenta des difficultés respiratoires. Me rappelant la promesse qu’elle m’avait faite une semaine auparavant, je lui ai dit : “Ma chère sœur bien-aimée, même si tu n’as pas partagé avec moi par le biais des mots, mais par ta manifestation, j’ai compris que tu as pu goûter à la vision profonde de la non naissance et de la non mort. J’ai ressenti très clairement que tu as vu, et que tu sais où tu vas aller et que tu n’as plus aucune crainte.” Sœur Đào Nghiêm m’a dit avoir vu Sœur Lan Nghiêm lever le sourcil en réponse à ma question.
Le lendemain, sa respiration s’est affaiblie et s’est faite plus légère ; nous devions regarder son abdomen pour savoir si elle respirait ou non. Le lundi soir, les trois attendantes, ainsi que Sœur Đào Nghiêm et les deux jeunes sœurs de sang de Sœur Lan Nghiêm ont passé la nuit dans sa chambre. À cinq heures du matin, tout le monde a pris le thé ensemble. J’ai fait du thé noir, celui que Soeur Lan Nghiêm aime, pour que tout le monde le boive. Nous avons partagé tant de beaux souvenirs de Sœur Lan Nghiêm. Ce matin-là a été un moment légendaire et spirituel pour moi. Deux heures plus tard, en revenant dans la chambre après être allée laver la théière, j’ai vu Sœur Đào Nghiêm assise près du lit, la main sur le ventre de Sœur Lan Nghiêm. Elle était décédée. J’ai placé mes mains sur son ventre. Le corps était enfin au repos. Il y avait un calme intense dans le corps et l’esprit. Tout était devenu complètement tranquille.
Je me suis rendue dans la salle de méditation de l’Assemblée des étoiles pour annoncer son décès. À ce moment-là, la Sangha venait de terminer la cérémonie du matin. Sœur Lan Nghiêm avait attendu que les Sœurs terminent la cérémonie de récitation des préceptes avant de mourir. Elle est décédée à 7h15 du matin, le 1er décembre 2020.
Tu es partie, qu’en est-il de ceux qui restent ?
Cela fait 49 jours que Sœur Lan Nghiêm a libéré son corps, mais de temps en temps, j’entends encore résonner à mes oreilles la remarque qu’elle a faite lorsque les frères sont venus lui rendre visite : “Je pense que je suis douée, mais maintenant ça ne marche pas.”
En effet, en tant que témoin de ce qui lui était arrivé, j’ai clairement vu que les talents, les compétences et l’intelligence ne peuvent être d’aucune utilité lorsque vous êtes sur votre lit de malade, proche de la mort. C’est l’amour, les soins de vos proches qui vous entourent, et le fait de prendre complètement refuge dans la Sangha qui nous aident à surmonter les moments de difficultés. Comment devrions-nous donc pratiquer ou être au service des autres afin de ne pas nous laisser entraîner par notre travail, par le désir de développer nos compétences, et d’oublier la valeur de la fraternité et du but suprême de l’être qui est parti ?
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