Chers amis du Village, nous sommes heureux de vous offrir cette transcription d’un entretien du 9 février 2022 entre Frère Pháp Hữu et Jo Confino suite au décès du Maître zen Thich Nhat Hanh.
Cet échange fait partie de la série de podcasts audio (en anglais) intitulée “The Way Out Is In” (la solution est à l’intérieur). Vous pouvez retrouver l’ensemble des entretiens audio en vous rendant sur le site anglophone du Village des Pruniers, sous l’onglet ‘podcasts’ : https://plumvillage.org/podcast/.
Nous avons conservé le style oral de l’entretien pour en traduire, autant que faire se peut, l’ambiance et l’émotion vécue par les deux intervenants, ainsi que leurs respirations…
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Description de l’Entretien
Dans cet entretien réalisé à peine 3 semaines après le décès du Maître zen Thich Nhat Hanh, Frère Phap Huu et Jo Confino (pratiquant laïc et journaliste) reviennent sur la période qui a suivi l’annonce du décès de Thây. Ils offrent un récit intime retraçant les derniers évènements et partagent leurs visions profondes concernant la semaine de commémoration, les funérailles, l’impact du décès de Thây sur la communauté du Village des Pruniers et l’immense réaction mondiale.
Frère Phap Huu, ancien attendant de Thây et actuel Abbé du Hameau du Haut, nous fait part de sa relation personnelle avec Thich Nhat Hanh et de l’impact de ces derniers événements sur lui. Il nous fait ainsi découvrir les coulisses des cérémonies traditionnelles, des services commémoratifs, des préparatifs et des processions, ainsi que certaines histoires personnelles des communautés du Village des Pruniers au cours des huit jours qui ont suivi le décès de notre Maître bien-aimé.
La conversation aborde ainsi les sujets suivants : la signification des textes des cérémonies ; les pratiques profondes qui sous-tendent les cérémonies ; le fait que Thây devienne un ancêtre spirituel ; les niveaux profonds d’aspiration ; les emplacements symboliques pour les cendres de Thây ; l’acceptation, l’unité et l’impermanence ; la pertinence des enseignements de Thây pour les années à venir ; et ce que signifie “Être la continuation de Thây“.
Cet entretien se termine par une courte méditation guidée, offerte par Frère Phap Huu, sur le thème de la continuation et de la gratitude.
Pour retrouver l’entretien oral en anglais dans son intégralité, cliquez ici.
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Traduction de la transcription
Un nuage ne meurt jamais : Le décès du maître zen Thich Nhat Hanh (épisode n°20)
Le 9 février 2022
Jo Confino – Chers auditeurs, bienvenue dans ce nouvel épisode du podcast The Way Out Is In. Je m’appelle Jo Confino et je travaille à l’intersection entre transformation personnelle et évolution des systèmes.
00:00:15
Frère Phap Huu – Et je suis Frère Phap Huu, moine bouddhiste zen, élève du Maître zen Thich Nhat Hanh dans la tradition du Village des Pruniers, en France.
00:00:24
Jo Confino – Aujourd’hui, cher frère, cela fait deux semaines que Thich Nhat Hanh est décédé. Nous sommes au Hameau du Haut, en France, assis dans la Hutte de l’Assise Tranquille, la hutte de Thây. Nous avons ainsi l’occasion de réfléchir à ces deux dernières semaines. Et c’est très intéressant parce que je suis assis ici et je sens que ma voix est très différente de ce qu’elle est habituellement…
Son de Cloche
00:01:17
Jo Confino – Je suis Jo Confino.
00:01:19
Frère Phap Huu – Et je suis Frère Phap Huu, moine bouddhiste zen, élève du Maître zen Thich Nhat Hanh dans la tradition du Village des Pruniers, en France.
00:01:21
Jo Confino – Aujourd’hui, cher frère, cela fait deux semaines que Thich Nhat Hanh est décédé. Nous sommes au Hameau du Haut, en France, assis dans la Hutte de l’Assise Tranquille, la hutte de Thây. Nous avons ainsi l’occasion de réfléchir à ces deux dernières semaines. Et c’est très intéressant parce que je suis assis ici et je sens que ma voix est très différente de ce qu’elle est habituellement…Bienvenue à vous, cher Frère. Oui, comme je l’ai exprimé, cela fait deux semaines que Thây est décédé et c’est l’occasion, comme je l’ai dit, de réfléchir et d’offrir à nos auditeurs l’occasion d’avoir une sorte d’aperçu profond de ces deux dernières semaines : ce que vous avez ressenti, comment se sent la communauté… l’extraordinaire événement mondial qu’a constitué le décès de Thây, puis ses funérailles. Mais il m’apparaît important de rappeler à nos auditeurs, cher frère, quelle a été votre relation à Thây.
00:02:04
Frère Phap Huu – Bonjour à tous. J’ai été ordonné à l’âge de 14 ans, mais j’ai commencé ma formation monastique quand j’avais 13 ans. Ma relation, ma relation étudiant-enseignant avec Thây a donc commencé en 2001. J’ai été son assistant personnel pendant plus de 15 ans, et j’ai donc eu le privilège et la chance d’être extrêmement proche de lui dans la vie de tous les jours, de pouvoir apprendre de lui, à travers le Dharma, son enseignement, puis d’avoir la chance d’apprendre par sa façon d’incarner la pleine conscience au quotidien, corps et action. Et je porte encore tout cet enseignement comme s’il était implanté dans chaque cellule de mon corps. Et donc, oui, cet épisode pourrait se révéler chargé en émotions, parce que ces deux dernières semaines ont été très spéciales, très… Comme un moment solennel chaque jour, par le simple fait de sentir Thây dans la Sangha en ce moment – libre comme un nuage – et combien nous avançons et pratiquons dans la continuation de Thây. Parce que nous pouvons considérer ce moment présent sous deux aspects. La dimension ultime, que Thây nous apprend à voir. Thây n’est pas parti. Thây continue à travers chacun d’entre nous, à travers notre respiration en pleine conscience, notre marche en pleine conscience, notre pratique en tant que communauté, car c’est ce qu’il nous a transmis. Aussi longtemps que nous porterons son message dans notre vie, Thây ne mourra jamais. J’ai touché cela et c’est la vérité, ce n’est pas un vœu pieux. Mais à un autre niveau, disons la dimension historique, nous sommes des êtres humains et chacun d’entre nous a des relations différentes avec Thây. Thây est le nom du maître zen Thich Nhat Hanh, qui signifie ‘professeur’. Ainsi, lorsque vous m’entendez dire Thây, c’est à lui que nous faisons référence. Nous avons tous des niveaux différents de connexion avec Thây. Certains d’entre nous ont eu la chance d’être auprès de lui pendant plus de 60 ans, comme la Sœur Chân Không. Certains d’entre nous sont avec lui depuis 20 ans, d’autres depuis plus de 15 ans. D’autres encore ne l’ont jamais rencontré en personne, mais ont côtoyé son enseignement à travers ses livres, ses messages, ses vidéos sur YouTube ou ses interviews. Et ils ont porté son enseignement dans la vie. Donc, pour moi, c’est aussi rencontrer Thây. Et donc, lorsque nous entendons quelqu’un d’aussi magnifique que Thây, qui a eu un tel impact sur des millions de personnes, il est normal d’être triste… il faut juste se sentir tristes du décès de quelqu’un comme ça, vous savez.
Et c’est normal d’être triste. C’est OK d’avoir du chagrin parce que c’est notre pratique : “En inspirant, je suis conscient de mes émotions. En expirant, j’embrasse mes émotions”. C’est notre pratique, donc nous devons nous autoriser à être tristes, nous devons nous permettre de ressentir le chagrin parce que, dans le chagrin, on exprime aussi ce que cette personne représentait pour nous. Et pour moi, une grande partie des émotions qui sont apparues concernent, tout d’abord, la gratitude. Je me dis : “Wow, j’ai pu naître à une époque où le maître zen Thich Nhat Hanh était vivant et enseignait”. Ensuite, la reconnaissance d’avoir eu les bonnes conditions pour rejoindre le Village des Pruniers, et c’est à mon père que je le dois. Il y a aussi les ‘bons mérites’ qui se sont rassemblés pour m’inciter à devenir moine, parce que ce sont les conditions qui m’ont donné l’occasion d’entrer dans cette vie avec une telle personne. La deuxième émotion que j’ai ressentie, c’est la tristesse, une sorte de vide. Et c’est très étrange parce qu’il m’arrive parfois de ne pas parvenir à vraiment mettre le doigt dessus. Certains jours, je me réveille et je me sens vide, et ce n’est pas le vide vacuité comme enseigné dans le Dharma.
Il s’agit du vide laissé par la personne qui a changé ma vie, qui est à présent accueillie par la Terre Mère, et qui a quitté sa forme physique. Et ce qui a été si, si intéressant avec Thây, c’est… Je peux dire que Thây a préparé ses étudiants monastiques et laïcs à pratiquer la non-naissance et la non-mort depuis plus de 40 ans, en reconnaissant sa continuation. Mais comme notre esprit est parfois très élémentaire, nous nous disons : “Oui, oui, ça, ce sera plus tard, dans le futur”. Et nous nous accrochons encore à l’ici et au maintenant, celui d’il y a quelques années alors que Thây était encore en bonne santé, qu’il enseignait encore. Et nous n’avons pas encore introduit l’impermanence. Pas vrai ? Donc, soudainement, maintenant que Thây n’est plus ici sous sa forme physique, j’ai pris conscience que, lorsqu’il était là, je me sentais en sécurité. Je me sentais en sûreté. J’ai senti que je marchais sur le chemin que m’avait montré mon maître en quelque sorte soutenu par le simple fait de savoir que Thây respirait le même air que moi sur cette belle planète. Ça me donnait une impression de stabilité. Et quand le moment est venu… Au début, en recevant la nouvelle, c’était surréaliste. Mais ça a été très intéressant, et j’aimerais le partager avec vous. J’étais dans un échange Zoom. Nous avions une réunion Zoom avec la Fondation Thich Nhat Hahn. Et en 2018, lorsque Thây est retourné au Vietnam, l’un de nos frères aînés a interrogé Thây : “Thây, aimeriez-vous retourner au Vietnam pour aussi y vivre vos derniers jours et revenir un jour à la terre du Vietnam ?” Et Thây a hoché la tête. Ainsi, dès le moment où Thay nous a donné cette confirmation, nous avons déjà commencé à nous préparer au décès de Thây, à la continuation de sa vie, et nous avons développé une procédure pour que les choses se déroulent bien. Je vous en parlerai plus tard. Mais au cours des quatre dernières années, j’ai conservé le téléphone portable avec moi, toujours allumé, en mode vibreur, ou bien l’écran constamment visible. Vous voyez ? Juste au cas où il y aurait des informations concernant Thây. Donc nous étions en réunion et le téléphone a retenti ; l’appel venait de l’une des principales attendantes de Thây. En temps normal, je réponds par texto par un message du type : “Oh, je suis en réunion, pouvez-vous me rappeler dans 30 minutes ou me dire quand je peux vous rappeler ? Est-ce que ça peut être reporté ? Mais le téléphone n’arrêtait pas de sonner, et il y eut un moment où je me suis dit que ça pouvait être très grave. Alors j’ai coupé mon micro, j’ai éteint ma caméra sur Zoom et j’ai rappelé la Sœur. Je lui ai dit, [Parle vietnamien] ça veut dire ‘Grande Sœur, Soeur aînée’. ‘[Parle vietnamien], je suis là. Qu’est-ce qu’il y a ? Et elle m’a demandé : “Que fait la Sangha ?”. Et j’ai répondu : “La Sangha est sur le point de dîner. Et elle a dit : “Le cœur de Thây ralentit, nous sommes tous en train d’envoyer de l’énergie à Thây. Est-ce que la Communauté du Village des Pruniers peut aussi penser à Thây et lui envoyer de l’énergie maintenant ?”
En entendant cela, j’ai encore pensé que Thây traversait une période difficile et qu’il avait besoin de soutien. Je ne pensais pas que Thây était en train de mourir. Et cela s’explique parce que je suis resté à ses côtés depuis son accident vasculaire cérébral. En 2014, j’étais à ses côtés à l’hôpital quand Thây a eu son attaque et je le tenais dans mes bras quand l’attaque a eu lieu. Or, il n’était pas supposé subir ça. Les médecins disaient qu’il était censé décéder dans les quelques heures. C’était en novembre 2014, et Thây a surmonté ça. Vous savez, parler de son parcours pourrait faire l’objet d’une série entière, et nous l’avons envisagé. Et nous le ferons, nous nous y mettrons à un moment donné… mais je veux juste souligner le fait que Thây a traversé tant de difficultés relatives à la maladie physique et l’impermanence physique. Alors cet appel, je l’ai juste pris comme un message “Thây traverse un moment difficile et la Sangha envoie de l’énergie à Thây”. Et il y a vraiment quelque chose de spécial quand, collectivement, tout le monde pense à vous et vous envoie son amour, parce que nous les humains, nous vivons aussi d’énergie. Et je sais que cela a un grand impact sur Thây. À ce moment-là, j’ai dû poursuivre l’appel Zoom, mais tout a changé pour moi à ce moment-là. Et je ne voulais pas créer de panique au sein de la Sangha, car ce n’est pas sain non plus. Et donc, une fois l’appel Zoom terminé – heureusement, il s’est terminé dans les 20 minutes qui ont suivi – Sœur True Dedication a reçu un message de notre chère Grande Sœur assistant Thây, annonçant “C’est le moment où Thây devient nuage”. Mais il n’a pas encore été annoncé que Thây était décédé. Elle m’a donc envoyé un texto immédiatement et je lui ai téléphoné pour lui dire : “Attendons, nous ne pouvons encore rien annoncer pour l’instant, mais envoyons de l’énergie à notre professeur et à la communauté qui entoure Thây”. Les dix minutes suivantes ont été très intenses pour nous. Et chaque minute nous a semblé interminable parce que nous avons une procédure mise en place depuis 2018 indiquant ce que nous devons faire en tant que communauté quand le moment arrive, quand Thây décède, quand Thây entame sa continuation. Le plus important, c’est que l’information doit venir du Village des Pruniers, c’est l’information la plus précise. Puis Sœur Concentration nous a laissé un message vocal disant que Thây était décédé. Ensuite, Sœur True Dedication s’est occupée de l’annonce sur le plan international, et à la presse. Et Jo, vous faisiez partie de cette discussion en 2018.
Jo Confino – Oui
Frère Phap Huu – Thay Pháp Khâm et moi-même étions censés nous occuper du réseau monastique, de tous les monastères du Village des Pruniers. Thay Pháp Khâm était responsable de l’Asie et moi de l’Europe, puis de l’Amérique du Nord et de tous les autres monastères. Ce réseau a donc été mis en place, et on se souviendra qu’en 2014 il y avait déjà une fausse information annonçant le décès de Thây. Cette information s’est propagée telle un feu de forêt et nous avons dû limiter les dégâts et confirmer à tout le monde : “ Non, Thây est toujours vivant, s’il vous plaît, respirons ensemble et générons cette énergie de pleine conscience pour soutenir Thây en ce moment critique”. Aujourd’hui, en 2022, après avoir appris tant de choses au fil des ans, nous voulions nous assurer que ce moment soit un moment de rassemblement. C’est ce que nous avons ressenti, et c’est ce que nous voulions générer ensemble, à l’échelle mondiale, parce que nous savons que ce moment ne concerne pas uniquement les monastères, vu l’impact de Thây bien au-delà des monastères. Nous devions donc être très sûrs de chaque information que nous recevions. C’est pour cela qu’à cette annonce, nous avons essayé d’obtenir des informations tout en respirant, alors que notre esprit essayait de visualiser ce qui se passait, car nous n’étions pas là-bas. Et, vous savez, pour être honnête, je n’ai rien ressenti à ce moment-là parce que je suis entré dans un mode différent, celui du “ Que devons-nous faire ? ” Un peu comme le mode combat, en quelque sorte. J’étais donc très, très alerte, extrêmement présent pour les monastiques qui étaient au Vietnam avec Thây ; et j’essayais d’obtenir les informations correctes. Dans le même temps, comme j’avais déjà été aux côtés de Thây pendant son séjour à l’hôpital, je savais à quel point l’émotion est grande lorsque Thây doit faire face à des difficultés physiques : votre maître est juste en face de vous. Alors j’essayais de comprendre ce que mes chers frères et sœurs attendants de Thây ressentaient en ce moment, évitant de leur mettre la pression.
Donc, par texto, je disais, vous savez, avec compassion, “Y a-t-il des nouvelles ? Vous pouvez nous dire… Parce qu’on est là pour vous”. Et il y avait ces pauses de… Je sais que ça durait seulement deux minutes ou quelque chose comme ça, mais ça semblait si long et c’était toujours comme, nous envoyons toujours de l’énergie. Et pour moi, cela signifiait que Thây n’était pas encore mort. Soeur True Dedication et moi étions au téléphone, essayant de respirer ensemble. Et nous nous sommes dit : “Essayons d’appeler, essayons d’obtenir des informations précises”. Et quand nous avons eu l’appel téléphonique, nous avons pu entendre les frères et sœurs chanter [Chants] (Namo Avalokiteshvara), Bodhisattva de la Grande Compassion. Et c’est tout ce que nous pouvions entendre. Et nos sœurs ne pouvaient pas, n’avaient pas l’énergie à ce moment-là pour nous parler. Et elle l’a simplement mis sur vidéo pour que nous puissions en être témoins. Et je sais que c’était une invitation pour nous à être là avec Thây et avec les frères et sœurs monastiques. Mais néanmoins, nous avions encore besoin d’informations parce que nous savions ce que nous devions faire. Et donc, quand ce moment est arrivé, Sœur Dang Nghiem a dit que Thây était devenu nuage. À ce moment-là, lorsque nous avons reçu ce mémo vocal, je suis passé à l’action. Sœur Hien Nghiem a dit : “Je suis au Hameau du Bas, je vais le dire à toutes les Sœurs”. J’étais au Hameau du Haut et je devais l’annoncer à tous les frères et aux amis laïcs. Je devais aussi le communiquer au Hameau Nouveau, car aucune de ces Sœurs n’était au téléphone, et cela fait partie de ma responsabilité. Et j’ai passé ce coup de fil alors que je courais, essayant de rassembler tous les frères et sœurs, tous les amis laïcs, en annonçant : “ J’ai besoin de tout le monde dans la salle de méditation dans 20 minutes ”. C’était l’étape suivante à faire. Je plains la Sœur qui a reçu mon appel téléphonique au Hameau Nouveau ! J’avais besoin de reprendre mon souffle parce que je courais. Elle m’a demandé : “Mon frère, que se passe-t-il ?” Pourquoi respires-tu comme ça ? Et moi : “Est-ce qu’il y a une grande Sœur disponible ?”. Et elle m’a dit, “Oh, je peux aller en chercher une”, “Non, ce n’est pas la peine, oublie. Dis juste à la Soeur aînée que notre maître est décédé”. Et vous pouviez entendre à l’autre bout du fil, “Vous êtes sérieux ?”. Et moi : “Ma soeur, ce n’est pas un entraînement, cela vient d’arriver. C’est le moment pour nous de nous rassembler”. Ainsi, nous avions convenu qu’à l’annonce du décès de Thây, tous les monastères de la tradition du Village des Pruniers inviteraient la Grande Cloche du Monastère, quelle que soit l’heure de la journée. Il était décidé aussi que le Frère ou la Sœur invitant la Cloche devrait porter sa Sanghati, et que nous l’inviterions pour, en principe, 30 minutes, mais notre Frère l’a invitée une heure entière – un de nos Frères. La Sangha devait se rassembler au sein de chacun des hameaux ; nous ferions l’annonce du décès de notre maître et nous pratiquerions l’assise méditative tous ensemble, tout en respirant. Ensuite, viendrait une très courte cérémonie de recueillement, parce qu’à ce moment-là, la cérémonie contient cette énergie d’union avec la Sangha. C’est très important. Il y aurait le chant du Soutra du cœur, qui nous enseigne l’impermanence : ‘Ce corps n’est pas moi, je ne suis pas prisonnier de ce corps, ni œil, ni oreille, ni nez, ni langue, ni forme. Nous sommes libres de tout cela’. C’est donc le Soutra qu’il convient de chanter. Ensuite, vient l’offrande de l’encens, avant la récitation de ce poème que Thây a magnifiquement composé : Je ne suis pas ce corps. Je ne suis pas prisonnier de ce corps, etcetera. Je ne veux pas le massacrer parce que je ne le connais pas par cœur, mais c’est une très belle méditation et nous devons la pratiquer directement. Ce qui a été vraiment intéressant pour moi à ce moment-là, c’est que je pensais que …j’allais bien …parce qu’en 2016… Thây avait déjà quitté le Village pour se rendre en Thaïlande, dans notre centre asiatique. Quand Thây est parti, j’ai vraiment senti que Thây ne reviendrait peut-être pas au Village des Pruniers. J’ai eu cette intuition parce que ce matin-là, Frère Pháp Dung et moi-même – c’était pendant la retraite des pluies et il était prévu que la communauté accompagne Thây à l’aéroport, à Bergerac. Mais Frère Pháp Dung et moi, nous avions d’autres obligations et nous ne pouvions pas retrouver Thây à l’aéroport. Nous sommes donc allés tous les deux, tôt le matin, dire au revoir à Thây à l’Ermitage, avant son départ pour l’aéroport. Nous nous sommes mis tous les deux à genoux, nous avons joint nos paumes et nous avons souhaité à Thây un bon voyage et de bons moments avec nos jeunes frères et sœurs en Thaïlande et en Asie. Et Thay Pháp Dung a dit à Thây : “Thây, nous, tes élèves du Village des Pruniers, nous allons perpétuer ton héritage ici”. Et Thây, de sa main gauche, a joint ses paumes et s’est incliné devant nous. Il a mis sa main sur nos deux têtes, et a touché notre visage. Et puis il a dit… il a fait ce mouvement comme pour dire “maintenant, allez”.
Il a mis sa main en avant, comme pour dire : “Vas, fais ce que je veux que tu fasses, sois ma continuation”. Et je me souviens que Frère Pháp Dung et moi, nous avons eu ce moment où nous nous sommes regardés comme… nous devons continuer Thây, cela ne se questionne pas. Et je n’ai partagé cela qu’à certains frères et sœurs du cercle interne, mais quand Thây a quitté le Village des Pruniers en 2016, j’ai eu le sentiment que Thây voulait que le Village des Pruniers soit en France, parce que le Village des Pruniers de France est maintenant la communauté racine de la tradition du Village des Pruniers. Le temple racine de Hue est toujours notre temple racine, parce que c’est là que Thây a été ordonné et qu’il a été formé, et notre ‘maître grand-père’ était aussi de là. C’est notre lignée. Nous avons ce magnifique courant de continuation. Mais Thây a également instauré une nouvelle tradition, l’école du Village des Pruniers. Et à de multiples occasions, Thây a partagé avec moi et avec la communauté que le Village des Pruniers de France et le Hameau du Haut deviendraient la racine, le monastère racine de cette belle tradition pour la prolonger à l’avenir, si j’ose dire, pour des centaines d’années à venir. Et en 2016, quand Thây est parti, j’ai eu la sensation que Thây voulait que nous apprenions à déployer nos propres ailes et à ne pas toujours nous réfugier en Thây, comme des étudiants qui n’avancent pas. Je me souviens très bien qu’en 2016, alors que nous avions toutes ces belles retraites – retraite de 21 jours, retraite francophone, retraite d’été, retraite Wake Up – Thây nous observait grandir parce que maintenant Thây ne pouvait plus parler, alors nous, jeunes enseignants du Dharma, nous apprenions à être la continuation de Thây. Comme c’est beau d’être soutenu par Thây de cette façon. Et maintenant, avec le recul, je dirais que nous avons beaucoup grandi. Mais le plus amusant, c’est que, surtout pendant la marche méditative, nous alternions chaque fois la responsabilité de mener le groupe. Parce que Thây n’a jamais dit qu’une personne deviendrait le leader du Village des Pruniers, Thây a dit “Chacun d’entre vous sera ma continuation”. Et les aînés savent ce qu’ils ont à faire. Les jeunes savent comment ils peuvent continuer Thây. Les amis laïcs savent comment ils peuvent soutenir et aussi comment ils peuvent être la continuation de Thây dans leur propre pratique. Chaque fois que nous nous réunissions pour la méditation marchée et que Thây arrivait, nous faisions tous un pas en arrière et nous laissions Thây mener à nouveau. Nous avions toujours l’habitude que Thây soit le guide, pensant que nous pourrions toujours prendre refuge en Thây. Et je crois que c’est normal, nous avons ce privilège, mais je pense que Thây voulait que le Village des Pruniers, l’un des temples racines, se tienne désormais sur ses deux pieds. Et c’est donc depuis 2016, quand Thây est parti, que je méditais et pratiquais avec cette réalité que nous ne sommes pas prisonniers de la forme physique de Thây. Et nous nous en sommes vraiment bien sortis, vous savez. Nous avons considérablement grandi, nous avons pu continuer à bâtir notre Sangha, nous avons pu continuer à avoir des ordinations année après année. De jeunes frères et sœurs sont venus avec l’aspiration à rejoindre la voie, et cela nous montre que nous sommes toujours… l’héritage de Thây se poursuit à travers nous. J’étais donc naïf, d’une certaine manière, en pensant que j’étais prêt, uniquement parce que j’avais déjà été témoin de “la continuation du corps de Thây dans la Sangha.” Et quand enfin je me suis assis, et que j’ai mis ma Sanghati, pour notre rassemblement, j’ai tout simplement craqué et j’ai fondu en larmes. Je me suis mis à sangloter, et les larmes n’ont pas cessé de couler.
00:28:21
Jo Confino – Et les larmes continuent à couler, mon frère.
00:28:30
Jo Confino – Ecoutons la cloche et respirons un moment pour accompagner Phap Huu dans ses émotions. Respirons un instant.
00:28:47
Frère Phap Huu – Frère Minh Hy est venu vers moi – le frère aîné du Hameau du Haut à ce moment-là. Il m’a pris dans ses bras, et j’ai pleuré, j’ai pleuré sur son épaule. Et j’ai juste accepté “Wow, l’humanité vient juste, vient juste de dire au revoir à l’un des plus grands maîtres de notre vie”. Et j’ai ressenti une immense vague de gratitude, car j’étais assis à la cloche, la place habituelle de Thây. Et nous avons apporté la photo que nous avions choisie pour les funérailles. Cette photo a été choisie parce qu’elle symbolise la transmission. Je pense que tout le monde a vu la photo de Thây dans sa Sanghati, tenant une lampe du Dharma, avec la flamme ; elle a été prise lors d’une transmission de la lampe. Et chaque fois que Thây transmettait cette lampe à un monastique ou à un laïc, pour les désigner enseignant du Dharma, il chantait : “Cette flamme est transmise de génération en génération, et maintenant je vous la transmets à tous”. Puis il ajoutait : “S’il vous plaît, protégez-la, laissez-la briller, et assurez-vous qu’elle continue dans le moment présent et dans le futur”. Je me rappelle aujourd’hui de l’amour et de la confiance que Thây nous a manifestés tout au long de son séjour parmi nous. Il était tellement, tellement, tellement désintéressé. Et malgré la célébrité dont il a bénéficié, Thây n’a jamais demandé à être sous les feux de la rampe, il n’a jamais cherché à l’être. Mais le monde avait besoin d’entendre parler de la pleine conscience, de la compassion et de l’amour, et Thây était heureux de le faire. Mais d’un point de vue personnel, il ne nous a jamais quittés. Il ne nous oubliait jamais. Il prenait le temps de manger avec nous, de nous emmener en promenade, de boire du thé, de nous inviter à regarder les fleurs s’épanouir. Nous avons des collines de jonquilles et il en faisait un festival. Il disait : “C’est le festival des jonquilles, tout le monde va mettre son emploi du temps de côté et nous allons profiter des jonquilles”. Vous savez, ces petits moments qui sont des moments d’amour et de désintéressement. Pas vrai ? Thây pouvait simplement dire “Je suis occupé”, nous respections tous cela. Nous savions tout ce qu’offrait Thây et combien il avait besoin de temps et d’espace pour faire ce qu’il avait à faire. Et une des choses qui me sont venues à l’esprit est que la vie de Thây est aussi son message. Vous savez, il l’a dit tant de fois et à ce moment-là, alors que j’étais assis là et que nous étions sur le point de faire cette cérémonie pour Thây, j’ai réalisé que Thây devait être vivant en chacun d’entre nous. Et comme nous étions assis en silence, vous savez, ces mots sont venus, “Je fais le voeu, je fais le voeu de garder ce feu vivant.”
Et c’est à ce moment-là que nous avons terminé notre première cérémonie et que nous nous sommes rassemblés. Nous avons ensuite réparti les différentes responsabilités, car nous avions un tas de choses à faire. L’étape suivante concernait le niveau international, pour s’assurer que le monde entier puisse faire son deuil ensemble, respirer ensemble et rendre hommage à Thây ensemble. Et nous sommes passés en mode monastique super actif, très, très attentif, mais pas du tout lent. Nous avons été super rapides et nous avons créé des cercles d’information puis l’équipe a été constituée. Le premier jour, nous nous sommes tous réunis au Hameau du Bas ; nous devions nous assurer que les bonnes informations soient transmises aux organes de presse identifiés. Puis, certains d’entre nous ont été chargés d’écrire à tous les amis qui soutiennent Thây au Village des Pruniers depuis plus de 40 ans, nous assurant que les informations leur soient transmises directement par nous. J’ai contacté tous les monastères et certains d’entre eux, même après avoir reçu l’information officielle, n’y croyaient pas encore. Ils m’ont écrit en privé et m’ont demandé : “Frère Phap Huu, est-ce vrai ?”. Et je répondais simplement : “Oui”. C’est tout, je ne pouvais pas écrire davantage, j’ai juste dit oui. Et j’ai appuyé sur ‘envoyer’. Nous étions également en contact avec le Vietnam à ce moment-là, nous voulions vérifier la manière de poursuivre les cérémonies, car nous avions convenu que la première cérémonie de mise en bière de Thây serait un événement international, retransmis en direct depuis le Vietnam. Nous devions aussi décider ensemble la manière de commenter le déroulement de la cérémonie et ce qui se passe, car tout allait se dérouler en vietnamien et une cérémonie revêt une telle importance que si vous n’avez aucune idée de ce qui s’y passe, vous allez tout simplement passer à côté. Et puis s’assurer de ce que nous allions faire durant les huit jours de cérémonie ; c’est pour cela que nous nous sommes préparés depuis 2018. Et puis en 2020, nous nous sommes à nouveau organisés en raison du COVID. Que faire si cela arrive en situation de COVID, de pandémie ? Nous avons alors décidé que, dans ce cas, ce serait réduit à cinq jours. Mais, par la suite, le soutien des autorités vietnamiennes nous a permis d’organiser de plus grands rassemblements. Nous sommes donc revenus à un programme de huit jours ; huit jours de… nous pourrions dire ‘retraite’, 8 jours de retraite de silence et de remémoration, pour nous souvenir de Thây et continuer Thây. Et pour le dernier jour, celui de la crémation, il a également été convenu que ce serait un événement international auquel tous les monastères, quelle que soit l’heure du jour ou de la nuit, seraient présents, en quadruple Sangha, monastiques et laïcs, nous serions là ensemble. Peu importe l’heure de la journée. C’est ce qui avait été convenu en 2018 puis confirmé à nouveau en 2020.
Et la transition de Thây a eu lieu le 22 janvier 2022 à minuit au Vietnam. C’était donc encore le 21 en France. Nous avons travaillé à la première phase de préparation jusqu’à cinq heures du matin. Et la cérémonie était à 9h30, alors Maarten, notre cher frère qui s’occupe du site internet du Village des Pruniers, m’a ramené au Hameau du Haut, et il m’a dit, “essayez de vous reposer”. Et j’ai dit : “Oui, au moins fermer les yeux”. Je devais guider la première cérémonie car Thây est décédé quand c’était la nuit au Vietnam, et le Vietnam avait besoin de plus de temps pour se préparer. Cela nous a permis de disposer d’un jour supplémentaire pour organiser une cérémonie au Village des Pruniers comme cérémonie principale pour que le monde entier respire ensemble, chante ensemble et se souvienne de Thây ensemble. Et au Vietnam, cela a donné davantage de temps aux monastiques, ses étudiants, pour simplement être avec Thây. Et c’était très beau de pouvoir garder le corps de Thây dans la hutte de l’écoute profonde, la hutte de Thây au Temple Racine. Et les frères et sœurs ont pris le temps de s’asseoir à côté de son lit en différents groupes. Ils ont eu le temps de se prosterner, et cette prosternation n’est pas une dévotion, cette prosternation est notre plus profond respect pour quelqu’un qui a… qui nous a amené à la vie spirituelle. Vous voyez ?
00:38:20
Jo Confino – Frère, prenons à nouveau un moment ; chers auditeurs, donnons un moment à Frère Phap Huu. Nous pouvons tous respirer ensemble et le soutenir en ce moment.
00:38:43
Frère Phap Huu – Vous savez, pour beaucoup d’entre nous, nous avons grandi dans une famille bouddhiste, mais nous ne connaissions pas la belle culture et les profondeurs du Bouddhisme, et nous pouvons dire que nous avons attendu un maître pour ouvrir nos yeux à la dimension spirituelle. Nous avons eu beaucoup de chance de rencontrer Thây. Donc, vous savez, les larmes et la prosternation ne sont que de la gratitude, de l’honneur et du respect.
00:39:55
Frère Phap Huu – Lors de la première cérémonie, j’ai encore été naïf quand j’ai dit à mon équipe d’organisation : “Oh, j’ai vraiment pleuré, donc tout va bien maintenant”. Et je savais que, le lendemain, il y aurait une diffusion en direct. Et, honnêtement, nous ne savions pas combien de personnes allaient nous rejoindre. Nous n’avions aucune idée de l’effet phénoménal et de l’inter-être au long de ces huit jours, de cette connexion. Nous avons vraiment, je veux dire, en ce qui me concerne, je ne connaissais pas l’ampleur et je plaisantais avec…, vous savez… Sœur True Dedication, Sœur Hien Nghiem, “Sœur, je vais bien. J’ai déjà pleuré. Demain, j’irai parfaitement bien pour guider la cérémonie”. Et à 7 heures, je répétais dans ma chambre en lisant simplement les textes, ce que j’allais devoir lire, je les ai lus trois fois et je me sentais vraiment confiant. Mais quand la cérémonie est arrivée, dans cette énergie collective de rassemblement de la Sangha, quelque chose s’est produit, cette unité et cette belle manifestation de Thây… juste… là. Et; distant d’un coussin de moi, un frère a commencé à pleurer, juste après l’offrande de l’encens. Il a simplement commencé à permettre que ses larmes et son émotion soient embrassées par la Sangha. Et je pouvais l’entendre. Et j’ai su : “Oh non, il va y avoir un effet domino”. Et moi, tout de suite, j’ai invité… J’ai réveillé le son de la cloche et j’ai commencé à chanter parce que je ne voulais pas succomber à l’émotion. J’ai plutôt bien chanté le premier ‘Namo Tassa Bhagavato Arahato Samma Sambuddhassa’ ainsi que la phrase ‘le Dharma est transcendant et merveilleux’, le verset d’ouverture. Puis j’ai amené la communauté à chanter le Soutra du Cœur. Mais quand est arrivée la ligne disant que ‘ce corps est vide’ et que nous sommes libres de toute forme, je n’ai pas pu poursuivre. Mon corps me disait juste que j’avais besoin de pleurer. Et quelle meilleure façon d’être triste que dans l’étreinte de la Sangha ? Et je, à ce moment-là, vous savez, parfois Thây nous disait avant de chanter, Thây a dit que vous pouviez dire “Chère Sangha, ceci est mon chagrin, ceci est ma souffrance. Je prends refuge en toi”. Et vous laissez la Sangha vous porter. Et à ce moment-là, j’ai dit : “Chers frères, chères soeurs, chers amis, je suis si triste”. Et j’ai juste pleuré, et j’ai pleuré, et de temps en temps, quand je parvenais à chanter quelques mots, je me joignais à eux et ensuite, quand les larmes et les émotions remontaient, je l’embrassais à nouveau, je les reconnaissais. Et le texte que nous avons lu était destiné à annoncer la raison de notre présence ici. Les cérémonies de comémoration sont choses courantes au sein des temples et monastères. Nous en avons fait beaucoup au Village des Pruniers. Il y a trois cérémonies importantes que nous faisons ensemble, avec les trois hameaux. La première est en commémoration du maître zen Tang Hoi, le premier maître zen du Vietnam. La deuxième est dédiée à notre patriarche, le fondateur du temple racine, le temple Tu Hieu, le maître zen Nhat Dinh. Et la troisième honore la mémoire de notre ‘grand-père professeur’, le maître de Thây, le Maître Zen Thanh Qui. Ce sont donc les trois services commémoratifs que nous organisons chaque année et qu rassemblent les trois monastères du Village des Pruniers. Nous nous réunissons et nous honorons nos vénérables… nos maîtres spirituels déjà décédés. Thây a écrit une très belle introduction et, maintenant, je devais la lire pour Thây. Ce qui m’a terriblement ému, ce sont les mots : “Il est maintenant notre ancêtre spirituel”. Et j’ai dû annoncer le nom de Thây. S’il s’agit d’évoquer le nom de quelqu’un qui est décédé il y a des années et sans lien profond, tout va bien… mais quand il s’agit de Thây, c’est très différent. Parce que, pour moi, vous savez, Thây est plus qu’un maître zen. Il est aussi un père spirituel pour nous. Thây se souciait de notre bien-être, non seulement sur le plan spirituel, mais aussi pour des questions de type : “Avons-nous assez de nourriture ? Avons-nous assez de vêtements chauds ? Avons-nous assez de chambres ?” Et lors de ses tours de conférences et enseignements, Thây aimait vendre ses calligraphies pour soutenir des oeuvres.
00:45:28
Jo Confino – Prenons un moment, chers auditeurs, pour respirer avec Frère Phap Huu et pour sentir sa douleur, et, derrière celle-ci, son amour profond pour son maître spirituel.
00:45:50
Jo Confino – Frère, Thây pour vous était un maître, mais aussi un père, il vous a pris sous son aile alors que vous étiez très jeune et il a beaucoup investi en vous. Je crois d’ailleurs qu’il vous a dit un jour quelque chose comme “Frère Phap Huu, nous avons été ensemble au cours de nombreuses vies”. Il semble donc qu’il existe peut-être pour vous aussi ce lien karmique profond, peut-être même plus profond que ce que vous connaissez, ce fait de voyager ensemble sous différentes formes, dans différentes relations. Je peux donc imaginer que cette séparation en ce moment est très, très profondément ressentie.
00:46:51
Frère Phap Huu – Merci. Merci, Jo. Vous savez, Thây partait en tournée et vendait ses calligraphies afin d’obtenir des fonds pour nous permettre de construire une résidence monastique, car ses étudiants monastiques étaient de plus en plus nombreux. Le Village des Pruniers a démarré sous la forme d’une une petite ferme et, au fil des ans, des milliers de personnes ont commencé à connaître l’existence du Village des Pruniers et découvrir l’enseignement de Thây. Ils voulaient étudier directement auprès de Thây, alors ils venaient. Il y a eu ces moments où il a fallu construire des salles de méditation plus grandes et tout, vous savez, dans le monde, nécessite des dépenses. Alors comme ça, pas après pas, Thây a pris soin de nous.
00:47:48
Tout cela avec le sens extraordinaire qu’il avait de l’influence globale, percevant les choses à un niveau global, dans sa profonde compréhension de l’inter-être, que ce soit sur le plan le plus vaste ou sur le plan le plus intime, conscient qu’il n’y a aucune différence entre eux.
00:48:05
Aucune différence.
00:48:06
Et cela montre quelque chose de sa nature extraordinaire, alors que tant de personnes qui atteignent un niveau élevé dans la société perdent le lien avec la Terre. Il était toujours… il était comme dans les étoiles et, en même temps, ses pieds étaient fermement au sol. Il était capable de voir le tout et de voir l’un.
00:48:28
Frère Phap Huu – Exactement. Je suis arrivé au Village jeune adolescent… et il y a une chose que je n’oublierai jamais : alors que nous étions assis dans la hutte de Thây, vous savez, dans la hutte de l’Assise Tranquille.. Je n’ai jamais partagé ceci publiquement, je vous le confie dans ce podcast. Un jour, l’un des attendants de Thây m’a appelé et m’a dit, “Thây veut te voir”. Je suis entré dans la hutte un peu nerveux, car lorsque Thây veut vous voir, c’est soit parce que vous ne pratiquez pas correctement et qu’il veut vous donner des conseils, ce qui signifie que vous avez fait quelque chose de mal, soit parce qu’il a des projets pour vous auxquels il veut que vous participiez, ce qui est un grand, grand honneur. Mais quand vous ne savez pas, il y a juste un peu de peur. Pas vrai ? Et quand Thây convie quelqu’un dans sa hutte, il invite toujours à prendre le thé. J’ai donc pris le thé avec Thây, à 14 ans. Alors Thây a commencé à me parler : “Khong”, ça veut dire ‘étudiant’, ‘fils’, ‘fille’. Khong met l’accent sur fils, fille, neveu, nièce, peu importe. “Khong, tu vas grandir et ton corps va changer, alors si tu as des questions sur la puberté, sur ton développement en tant qu’être humain, n’aie pas peur de les poser à Thây. Et n’aie pas peur de demander conseil à tes frères aînés”. C’est ce qu’est Thây. Il se soucie profondément de nous. Et, comme vous l’avez dit, il ne se voyait pas séparé de nous. Et je pense que c’est ce qui nous a attirés si près de lui. Et en même temps, Thây est vraiment drôle et il aime la vie. Vous savez, dans cette hutte, nous avons eu des moments où Thây chantait des chansons. Thây nous racontait des histoires. On riait tous. Thây s’investissait vraiment en écoutant nos histoires et il, il riait de nos défauts et parfois nous partagions quelque chose dont nous n’étions pas très fiers, mais il disait “Mais grâce à ça, maintenant tu es ici”. Vous savez, il nous aidait toujours à voir la beauté de la souffrance, la beauté des défauts et la beauté de la vie. Il y a un autre moment, alors que j’assistais Thây. Vous savez, en temps normal nous préparions toujours les repas pour lui. Je ne suis pas un bon cuisinier, mais nous avons beaucoup de sœurs qui font ça très bien et qui cuisinaient pour lui. Et dans les grandes retraites, vous savez, Thây recevait beaucoup d’invités. Et l’une de mes responsabilités consistait à m’assurer que le temps qu’il passe avec ses invités ne soit pas trop long. S’il était trop fatigué, je savais que je devais trouver une façon habile de mettre fin à la réunion pour que Thây puisse se reposer.
Un jour, au cours de l’une de nos retraites de 21 jours. Thây avait beaucoup d’invités et l’heure du déjeuner de Thây a été largement dépassée ; la nourriture de Thây avait déjà été portée dans sa salle à manger, précisément là où nous sommes assis maintenant, Jo, cette table, où Thây mangeait. Habituellement, j’allais au réfectoire me servir de nourriture puis j’allais manger avec Thây. Et ce jour-là, Thây m’a dit : “Viens, partage avec Thây, mange avec Thây”. C’était vraiment intime car j’ai pu me servir le même du même riz que Thây, manger le même tofu, la même soupe, les mêmes légumes. Mais, comme vous l’avez dit, Thây avait beau être reconnu comme un grand maître, il n’en était jamais victime. Et c’est ce que j’ai vraiment aspiré à cultiver en moi. Vous voyez ? Lors des cérémonies, nous avons eu l’occasion de partager tout cela, dire ce que cela signifiait pour nous, qui était Thây, comment il a touché notre cœur, et comment nous voulions incarner sa continuation. Les cérémonies ont été un moyen de canaliser notre chagrin ensemble, parce que la tristesse est une énergie. La gratitude est une énergie. Le chagrin est une énergie, et le faire en tant que corps de la Sangha, c’était la meilleure façon de le faire.
00:53:25
Jo Confino – Et comme vous le dites, mon frère, je sais que lors du décès de Thây certaines personnes ont ressenti qu’il était normal d’être triste. Et je pense que vous leur donnez la réponse sans avoir à dire quoi que ce soit, que les larmes sont amères mais aussi très douces, parce que si nous n’allons pas au fond de nos émotions (pour rappel, l’intitulé de ce podcast est “The Way Out Is In” La solution est en nous) si nous n’allons pas au fond de nos sentiments de tristesse, de notre chagrin, alors tout ce que nous faisons c’est les bloquer. Or le but n’est pas d’être coincés dans nos émotions. Nos larmes sont comme un flux, c’est comme un, c’est comme un flux.
00:54:06
Frère Phap Huu – Oui.
00:54:07
Et nous devons les laisser couler.
00:54:08
Oui
00:54:10
Frère Phap Huu – Le caractère si unique du Village des Pruniers, et je pense que beaucoup d’amis ont pu le ressentir en nous rejoignant en ligne, c’est que même s’il y avait beaucoup de tristesse et de chagrin, il y avait aussi beaucoup de légèreté et de solidarité. Nous avons eu des moments où nous avons simplement bu du thé ensemble et nous avons ri. Vous savez, nous avons partagé quelque chose de très beau concernant notre chemin. Vous savez, nous partagions un repas et nous… J’ai commencé à réaliser que je regardais mes frères et sœurs avec des yeux tout neufs, voyant Thây en eux. Et puis je marchais beaucoup plus attentivement, chaque pas que je faisais, chaque fois que j’ouvrais la porte, je le faisais beaucoup plus attentivement. Et n’est-il pas étonnant que Thây nous enseigne encore en ce moment ? Cest cela que j’embrassais, sentir que Thây est toujours là à travers ces actions et à travers ma pratique.
C’était donc le premier jour, le 22 janvier.
Puis vint la première cérémonie au Vietnam, où le corps de Thây allait être placé dans le cercueil. Je voudrais arroser les fleurs de toute l’équipe du Vietnam et du Village des Pruniers, parce que la quantité de travail mise dans la préparation de cette cérémonie fut incroyable. Ce fut un moment où nous étions vraiment comme une rivière. Il n’y a pas de séparation, personne ne pensait à soi-même. Nous avons dû préparer tous les textes, il a fallu comprendre tout ce qui allait se passer, afin que Sœur True Dedication puisse donner un beau commentaire sur la façon dont les événements allaient se dérouler. Elle a accompli un travail absolument incroyable, vous savez. Et aujourd’hui encore, chaque fois que je la vois, je m’incline profondément devant elle parce qu’elle a été l’une des forces de l’équipe, l’énergie de l’équipe, et elle était… Parfois je l’appelle ‘chef’, parfois je l’appelle ‘ma chère sœur’, ou parfois ‘ma jeune sœur’ si je veux la soutenir. Elle a été un véritable roc pour nous tous pendant cette période.
Et j’étais aussi très conscient de la difficulté que cela représentait pour elle. Mais quand j’ai vu, et que nous tous avons vu la vidéo et la diffusion en ligne, quand j’ai vu le corps de Thây… L’impermanence. ‘Il est dans notre nature de vieillir. Il est dans notre nature de tomber malade. Nous sommes de nature à mourir. Tout ce que nous chérissons, nous devrons un jour le laisser partir’. C’est ce que je me récitais dans ma…, à chaque respiration, alors que je regardais le corps de Thây porté par mes merveilleux frères et sœurs au Vietnam. Et la première personne à laquelle j’ai pensé après cette cérémonie, avec tous les monastères du Village des Pruniers et les amis laïcs du monde entier, la première personne à laquelle j’ai pensé est Sœur Chân Không. Elle a été la compagne de Thây dès les premiers temps où il a développé le Bouddhisme engagé; elle oeuvrait en tant que laïque, en tant que jeune femme laïque, avec cette profonde aspiration à suivre la voie de la non-violence. Je l’ai donc appelée, je me suis dit : “Je dois contacter Sœur Chân Không parce que, même si c’est un grand moment pour la Sangha de se souvenir de Thây, je pense aussi que nous devons penser à Sœur Chân Không”. Je l’ai donc appelée, et nous avons tous deux pleuré pendant l’appel vidéo. Sœur Chân Không était si gentille qu’elle m’a dit : “Grâce à vous, c’est la deuxième fois que Sœur Chân Không est capable de pleurer”. Elle a dit que la première fois, c’était ce matin-là, et la seconde, c’était avec moi, et nous avons partagé ce moment de larmes. Sœur Chân Không est une pratiquante tellement expérimentée, qu’elle savait comment ‘changer de disque’ tout de suite, comme l’enseigne Thây, changer la situation. Puis elle a dit : “Vous êtes la belle continuation de Thây. Tu porteras Thây dans l’avenir”. Et elle a continué à arroser mes fleurs, et mes larmes ne pouvaient s’arrêter. Et alors qu’elle arrosait mes fleurs, j’ai sauté sur l’occasion pour lu dire: “Sœur Chân Không, nous vous sommes très reconnaissants car vous êtres aussi Thây. Sans vous, je ne pense pas que Thây aurait été capable d’accomplir autant de choses. Vous êtes aussi notre maître. Vous êtes aussi notre lumière, Sœur Chân Không. Alors, je vous en prie, prenez soin de vous et embrassons Thây ensemble”. J’étais vraiment heureux d’avoir pu dire cela. Oui, et après avoir pleuré un peu plus, elle a dit : “OK, on devrait raccrocher maintenant”. Et j’ai dit : “Oui, je pense qu’on devrait raccrocher.” Puis nous sommes tous allés nous reposer. Et ce matin du 23, fut un véritable jour d’étreinte ensemble. Ce jour là, mes larmes n’ont été qu’une cascade. Je buvais du thé, je pleurais. Je regardais les arbres, je pleurais.
01:00:21
Jo Confino – Je pense que votre thé est allé directement dans votre thé. Il y a un flux direct.
01:00:25
Frère Phap Huu – Ce qui a donné lieu à cette blague : “Phap Huu, combien de nuages as-tu pleuré aujourd’hui ?” Et je répondais: “environ deux nuages aujourd’hui.” Oui. Un peu comme si nous devions embrasser notre peine, vous savez… Et les jours suivants ont été beaucoup plus beaux en ramenant la vie de Thây dans le moment présent. L’une des plus grandes joies a été de pouvoir organiser une cérémonie d’ordination de novices. L’ordination des novices était déjà prévue pour le 21 janvier. Je ne suis pas sûr, je suis désolé, pas le 21, mais le 25 janvier. Pardonnez-moi. J’avais une petite crainte parce que je ne savais pas s’il serait approprié d’avoir une ordination de novices, euh, pendant ce, ce service commémoratif. J’ai donc interrogé de nombreux frères et sœurs, des frères et sœurs aînés, et je leur ai demandé si c’était approprié. Et ça pouvait être beau parce que… c’est la continuation et l’occasion pour le monde de témoigner ensemble du fait que, même si Thây est maintenant un nuage, et que Thây est embrassé par la Terre Mère, sa vie n’est pas sous cette forme. Il demeure dans le courant de vie de cette dimension spirituelle. Et ce jour-là, j’ai vraiment senti ce changement. L’énergie de la communauté est toujours très solennelle, mais il y avait quelque chose en plus. Il y avait énormément de vie. Et quand, à nouveau, j’étais assis à la cloche, c’est là que j’étais. Non, Thây Minh Hy était à la cloche, et j’étais à côté de lui et j’aidais à guider les chants. Et j’ai vraiment vu Thây sourire. Thây était très heureux que nous poursuivions la croissance de la communauté, parce que pour moi, l’un des plus grands chefs-d’œuvre de Thây est la Sangha ; la création d’une communauté où les frères, les sœurs, les amis du monde entier qui ont l’aspiration de pratiquer la pleine conscience peuvent venir et être soutenus. Thây l’a partagé dans de nombreux enseignements. Et je pense qu’il vous l’a dit à vous aussi, Joe, lors de ses interviews à quel point, quand il était jeune, son seul espoir était d’avoir une communauté où tous puissent aspirer à suivre la voie de la pleine conscience, de la paix et de la compassion. Et la Sangha est cette voie. Chaque fois que quelqu’un quitte le Village des Pruniers, Thây est interrogé sur ce qu’ils pourraient faire. Et la réponse est toujours “aider”. Bâtir la Sangha partout, aider Thây à construire un refuge, un refuge spirituel partout, parce que nous avons tous besoin d’une dimension spirituelle. Nous avons tous besoin d’un endroit où nous pouvons rentrer ‘à la maison’ pour ‘toucher’. Je suis arrivé. Je suis chez moi dans le moment présent.
01:04:18
Jo Confino – Chère frère, pourriez-vous dire, pour les personnes qui écoutent, ce que signifie pour elles “continuer Thây” ? Ce que je veux dire, ce que vous avez décrit si magnifiquement, c’est le décès de Thây, c’est un exemple si ancré, si réel, du fait que, même si le corps de quelqu’un peut mourir,… il y la cinquième remémoration (dont vous n’avez pas parlé, à part le fait de vieillir, d’être malade et de mourir, de tout abandonner) est que tout ce sur quoi nous pouvons compter, ce sont nos actions et nos pensées. Donc, vous savez, ce que je vois très clairement, c’est que la continuation de Thây, ce sont ses actions et ses enseignements et qu’ils sont aussi solides que s’il était ici, qu’il n’y a pas, qu’il n’y a aucune dilution. Il nous a enseigné d’une manière si magnifique, pratique et simple que les gens peuvent immédiatement s’y référer et pratiquer, comme il l’a dit, vous n’avez pas besoin d’être dans la pratique depuis 10 ans, vous pouvez commencer dès maintenant. Donc si quelqu’un écoute ceci, qu’il connaisse ou non Thây, qu’est-ce que c’est ‘continuer Thây’ ? Quelles sont les quelques petits pas possibles pour réellement être la continuation de Thây ?
01:05:49
Frère Phap Huu – Le premier pas que nous pouvons faire chaque jour est de nous permettre de pratiquer la respiration en pleine conscience, d’être vraiment en contact avec la respiration et de ne pas être piégé dans le futur ou emporté par le passé. Et cette respiration en pleine conscience est la transmission que nous a offerte Thây et que Bouddha a offerte à Thây. Si nous pouvons être en contact avec cela, nous sommes en contact avec Thây. C’est le premier point. C’est ce qu’il nous a toujours dit. Le deuxième point concerne nos pas. Thây a de nombreuses calligraphies célèbres et l’une d’entre elles est “La paix est à chaque pas”. La paix n’est pas extérieure à nous. La paix est chaque action que nous entreprenons. Il ne s’agit pas d’attendre que la paix arrive, mais on peut être en contact avec la paix ici et maintenant. Donc si nous pouvons faire au moins 10 pas en pleine conscience, en sachant vraiment que c’est un pas que je fais sur la Terre Mère. En inspirant, voici mon pied gauche, qui place son sceau de paix sur la Terre. En expirant, c’est mon pied droit qui place un sceau d’amour sur la Terre. Et ces pas incarnent le Dharma de Thây, ils incarnent une partie de l’héritage de Thây, car nous avons eu la chance que Thây soit un enseignant spirituel, un maître zen, un activiste pour la paix, un poète, un érudit et aussi un visionnaire. N’est-ce pas ? Donc chacun d’entre nous peut honorer une des choses qu’il nous a données et en faire son foyer spirituel. Et je sens que nous pouvons continuer Thây, parce que cela mènera au pas suivant. Nous devons toujours commencer par prendre la première respiration, le premier pas ou la première tasse de thé. Et si nous pouvons nous connecter à Thây, à ce moment-là, il n’est jamais perdu. Et pour aller un peu plus loin, nous devons pratiquer la vue juste, développer notre esprit pour transformer la souffrance dans notre esprit, transformer la discrimination, cultiver l’amour bienveillant, la compassion, la joie et l’inclusivité. Ces quatre éléments d’amour sont ce que j’ai toujours ressenti lorsque j’étais avec Thây. Et, pour moi, je m’évalue toujours : Ai-je été plus aimable cette année, ou plus amer ? Et si je veux devenir un meilleur pratiquant, je m’examine toujours. Est-ce que j’ai toujours de l’amour dans mon cœur ? Ma gentillesse est-elle plus grande ou plus petite ?
01:09:06
Jo Confino – Parce que rien n’est statique, ça va dans un sens ou dans l’autre.
01:09:10
Frère Phap Huu – Exactement. Et nous sommes toujours en train de grandir, nous sommes toujours en train de changer. Et si nous ne nourrissons pas notre vie spirituelle, notre dimension d’amour, de bonheur, de joie, nous allons la perdre. Donc ce que nous a appris Thây, c’est que tout a besoin de nourriture. Ainsi, même s’il est vrai qu’une image de Thây n’est pas Thây, c’est là qu’intervient la dimension ultime, ce que Thây nous enseigne : “Ne cherchez pas Thây dans l’image, ne cherchez pas Thây dans le stupa”. Si vous venez au Village des Pruniers et que vous ne pratiquez pas, vous n’avez pas été en contact avec Thây. C’est un bouddhisme très profond, et ce sont les enseignements très profonds de Thây. C’est si simple, si facile à comprendre, mais pour comprendre il faut vraiment s’entraîner, il faut vraiment s’investir, car Thây ne peut pas le faire pour vous. Beaucoup d’entre nous pensent : “Oh, si nous apprenons de Thây, alors oui, cest bon”. Or, ce que Thây nous a offert c’est l’héritage, mais nous devons le recevoir et le mettre en action. Et ces derniers jours, j’ai écouté des les enseignement de Thây, par petites bribes. Et cela me fait dire : “Wow, il y a encore tellement d’enseignements de Thây qui seront pertinents pour les années à venir”.
01:10:48
Jo Confino – Oui. Et cher frère, qu’est-ce que… J’aimerais, pour un moment, en venir à ce qui a été la cérémonie finale.
01:10:54
Frère Phap Huu – Oui.
01:10:55
Jo Confino – Mais avant cela, vous savez, nous sommes au coeur du Nouvel An, le Nouvel An lunaire, et beaucoup de monastiques choisissent ce moment pour formuler une aspiration pour l’année.
01:11:08
Frère Phap Huu – Oui.
01:11:09
Jo Confino – Je sais qu’il est encore très tôt depuis le décès de Thây, mais durant vos temps de réflexion, quelle aspiration avez-vous touchée ? Comment voyez-vous votre chemin ? Parce que pour moi, vous êtes, nous sommes tous des continuations de Thây. Donc il n’y a aucune sorte de discrimination là. Et, en même temps, vous êtes l’abbé du Hameau du Haut, vous avez été l’attendant de Thây pendant 15, 16, 17 ans. Il a, en un sens, investi très directement en vous. Il y a une sorte de très belle relation qui continue à s’épanouir en vous, ses enseignements s’épanouissent en vous d’une manière très claire et directe. Je me demandais donc ce que vous avez sur le cœur en ce moment, comment vous voulez embrasser pleinement Thây dans votre vie actuelle, dans la vie de cette communauté et dans votre capacité à partager le Dharma.
01:12:21
Frère Phap Huu – En 2016, j’étais attendant de Thây depuis 2014. L’année ou l’AVC s’est produit, j’étais donc avec lui jour après jour, parfois 24 heures sur 24. Mais vers 2016, est arrivé un moment où, toujours attendant de Thây, j’ai senti qu’il était temps pour moi de retourner au Hameau du Haut, pour accomplir la mission d’abbé que Thây m’avait confiée, pour aider la communauté à grandir et à prospérer au-delà de Thây. Et à un moment, j’ai senti qu’il ne voulait plus que je reste constamment à ses côtés. Et certains frères et sœurs m’ont demandé : “Pourquoi ? Est-ce que tu ne devrais pas être avec lui ? Il est tellement à l’aise avec toi, il est tellement habitué à toi, et quand il souffre ains, il a besoin de se sentir soutenu ainsi”. Et j’ai juste… Il y avait quelque chose au fond de moi qui disait oui, mais Thây m’a aussi beaucoup confié, pour être un abbé, pour être un enseignant du Dharma, pour être avec le Village des Pruniers, et pour permettre à la Sangha de grandir avec l’élément physique non-Thây dans la Sangha. Ce jour-là, vous savez, j’ai demandé la permission à Thây et je lui ai dit que j’aimerais retourner au Hameau du Haut pour être avec la Sangha et continuer à guider la Sangha et la communauté dans les retraites que nous offrons, et être la continuation de Thay. Et pourquoi cela ? Parce que Thây était en train de guérir et que notre emploi du temps avec Thay était très différent de celui du corps principal du Village. C’est pourquoi tous ceux d’entre nous qui prenaient soin de Thây avaient des horaires différents. Nous pratiquions l’assise une heure le matin et l’après-midi, mais nous ne pouvions pas assister aux classes, nous ne pouvions pas participer aux retraites, car notre priorité était de prendre soin de Thây. Et d’une certaine manière, c’est ce que la Sangha a confié à ce groupe d’assistants. Et en fait vous savez, il n’y avait rien de différent.
Mais en ce moment, j’avais l’impression… que je devais vraiment tenir le flambeau à deux mains. Je pense que la vision d’avant était comme si Thây tenait le principal et qu’il tenait le bas du flambeau, et que je pouvais toujours prendre refuge en Thây. Mais maintenant ma main est la main de Thây. Mes pas sont les pas de Thây. Mon partage est le partage de Thây. Et cela semble plus réel maintenant. Ce n’est pas seulement sur le plan intellectuel et de l’enseignement, c’est comme : “Oh, ta respiration est Thây….”. Non, c’est maintenant que tu es Thây, tu dois le continuer. C’est vraiment difficile à exprimer en mots, mais c’est de là que vient mon vœu. Et l’un des derniers mots que j’ai prononcés pour clore la cérémonie était : “Thây, tu nous as transmis le flambeau, et maintenant, en tant que Sangha, nous allons porter ce flambeau vers l’avenir”. Et d’une certaine manière, c’est mon aspiration et nous savons à quel point Thây a été un extraordinaire leader et enseignant. Il nous a appris à guider des cérémonies, des retraites, des enseignements du Dharma, à animer des réunions, à prendre le pouls de l’énergie de la communauté, à faire face aux difficultés. Thây nous a enseigné tout cela mais, maintenant, il faut s’assurer que nous pourrons continuer à transmettre cet enseignement pour qu’il ne se perde pas. Et nous devons aussi réciter ces enseignements encore, et encore, et encore. Respiration consciente “Je suis arrivé. Je suis chez moi”. Les quatre nutriments, les quatre éléments de l’amour, les quatre nobles vérités, parce que c’est ce que Thây a fait. Thây nous rappelait dans enseignement du Dharma : “Avez-vous déjà respiré ? Êtes-vous dans le moment présent ?” Et maintenant, Thây ne le fera plus. Nous devons donc, avant toute chose, le faire pour nous ; ensuite, le faire pour notre communauté. Et en troisième lieu, continuer à offrir cela parce que nous ne sommes pas autorisés à être égoïstes et nous devons donner, nous devons être les enseignants de la transmission, maintenant, en tant que corps. Et cette histoire est en quelque sorte ce que j’essaie de porter en moi. Donc, en 2011, nous avons eu un moment où, à Nottingham,.. Tu étais probablement là, Jo.
01:18:13
Jo Confino – J’y étais.
01:18:16
Frère Phap Huu – Nous étions dans la pièce où Thây se repose avant d’entamer la méditation marchée après l’Enseignement. L’année suivante, le Village des Pruniers allait fêter ses 30 ans. Je suis allé voir Thây et j’ai dit : “Thây, et si l’année prochaine, le Village des Pruniers fêtait ses 30 ans ? Thây, ne voyagez pas, ne partez pas en tournée. Pourquoi ne pas rester au Village des Pruniers ? Nous organiserons toutes les retraites au Village des Pruniers pour que le monde entier vienne, pour être avec le Village des Pruniers”. Je voulais donner le temps à Thây de se reposer. Et je pense que c’était tentant parce que Thây y a pensé. Il a eu un moment de pause et de réflexion. Mais ensuite, Jo, il m’a regardé et m’a dit : “Vous savez, quand un médecin a des médicaments et qu’il voit qu’il y a une maladie autour de lui, sa responsabilité est d’offrir à ceux qui souffrent les médicaments nécessaires pour aller mieux”. Et il m’a regardé et a dit : “Et vous savez quoi ? Thây a des médicaments”. Et j’ai tout de suite compris, j’ai joint les paumes de mes mains et j’ai dit : “Merci, Thây. Nous vous soutiendrons”. Et d’une certaine manière, cet esprit doit continuer à vivre au Village des Pruniers. Cet esprit doit continuer à vivre en chacun de nous. C’est le niveau profond de l’aspiration. Et ensuite, une autre aspiration est que … Thây est si décontracté dans toutes les situations. Mon Dieu, il est toujours si solide et si paisible. Je veux être comme ça, Jo. Je veux être capable d’être au milieu de cette tempête et d’avoir malgré tout mes deux pieds sur terre. Thây nous a donné les outils, et je dois cultiver cela de plus en plus profondément, parce qu’avec cela, la fraternité, la sororité et la communauté auront de la stabilité. Et Thây a dit que si dans la communauté de Thây il y a toujours la fraternité et la sororité, alors tout est possible. Tout est possible.
01:21:06
Jo Confino – Magnifique, magnifique. Nous sommes ici pour vous soutenir, Frère Phap Huu.
01:21:10
Frère Phap Huu – Oui, et j’ai partagé cela avec beaucoup de mes frères et sœurs aussi. Je sais que beaucoup d’entre nous ont cette aspiration maintenant.
01:21:19
Jo Confino – Et mon frère, pour en venir à la cérémonie…
01:21:22
Frère Phap Huu – Le dernier jour.
01:21:23
Jo Confino – Le dernier jour, j’étais en voyage et je suis rentré dès que j’ai pu. J’ai conduit 13 heures pour arriver au Village à temps pour la cérémonie de crémation. Et je veux vous remercier personnellement, mon frère, parce que, jusqu’à ce moment-là, j’avais fait le deuil de Thây, mais je n’avais pas été capable de libérer mes propres larmes. Et après la cérémonie, je vous ai vu vous lever et êtes allé ouvrir une fenêtre. Et je savais que j’étais sur le point de m’ouvrir. J’ai besoin de quelqu’un qui puisse me soutenir dans ces moments-là. Je me suis approché, on s’est serré dans les bras et j’ai pu en quelque sorte… On a pu tous les deux… Vous le faisiez déjà depuis… Je vous ai arraché les dernières larmes, je crois, mon frère. Alors merci pour la profondeur de votre camaraderie à ce moment-là. Mais la crémation a été un événement mondial extraordinaire. Je veux dire, juste voir Thây, qui était un personnage si petit, si humble, vous savez, qui vivait si simplement, qui n’avait que quelques robes, qui, vous savez, alors que nous sommes assis dans sa hutte, on peut voir dans l’autre pièce sa vieille veste qu’il portait. Vous savez, juste cette minuscule, petite hutte modeste pour ce grand maître. Et puis de voir cette cérémonie extraordinaire avec … 50 personnes portant son cercueil et tout ce rouge, or et jaune. Et puis juste, je veux dire, dites-nous un peu ce que tu as ressenti à ce sujet. Et peut-être aussi, vous savez, qu’advient-il des cendres de Thây, parce que…
01:23:06
Frère Phap Huu – Il y a beaucoup de questions, beaucoup de curiosité. Oui. Wow, quel événement. Commençons par moi-même, Soeur True Dedication, Frère Phap Linh et Frère Minh Hy, qui est notre frère aîné et qui vient du temple traditionnel. Il a été ordonné dans le temple traditionnel. Il comprend donc très bien les cérémonies traditionnelles. Il a été d’un grand soutien parce qu’il a parcouru le programme avec nous, et il a expliqué la signification de l’encens, la signification de la procession de telle ou telle manière, et pourquoi. Et nous avons partagé à travers le commentaire de la cérémonie. Et tout d’abord, c’était une réelle formation pour moi, et j’étais… J’ai pu voir la très riche et magnifique culture de Hue, le bouddhisme dans le centre du Vietnam. Nous savions donc que ce serait un grand événement, et même un événement mondial. La cérémonie a donc commencé à 6 heures du matin au Vietnam, cela veut dire 12 heures en France. Et nous nous sommes tous rassemblés dans la salle de méditation Still Water au Hameau du Haut. Et nous étions tous assis, avec notre sanghati, respirant, et faisant face à l’autel. Et nous allions témoigner de cela avec la communauté mondiale. Tout d’abord, le simple fait de savoir que ce serait la dernière fois que nous pourrions voir le cercueil de Thây, même si nous n’allions pas le voir lui, mais juste…, juste la notion de ‘ce cercueil et le corps de Thây deviendront vacuité. Ça m’a fait frissonner. Au cours de la cérémonie, nous pouvions voir les frères et les sœurs du Village des Pruniers, tous en robes brunes et en sanghati jaune, marchant comme une seule famille dans le calme et la méditation. Et c’était déjà très unique parce que Thây est un maître zen, mais Thây est aussi un enseignant qui a embrassé tant de traditions différentes, comme le chant fait partie de la formation du Village des Pruniers, la cérémonie en fait aussi partie, mais Thây a, on peut dire qu’il a simplifié, mais il a gardé l’aspect le plus essentiel des cérémonies, quand il nous unit tous, il dirige nos coeurs, il dirige notre esprit, il dirige notre aspiration, qui est dans le chant des Vénérables quand ils offrent l’encens, quand nous chantons le Soutra du Coeur, quand nous récitons les noms des Bouddhas et Bodhisattvas. Et puis quand nous accompagnerons Thây dans son voyage vers la liberté. Ainsi, sur l’une des voitures qui conduisaient le cercueil de Thây, il est écrit [en vietnamien] “Aller et venir en liberté”, car c’est l’esprit du zen… être libre. Nous voulons être libres. Et donc, c’était plus pour nous d’avoir ce moment, d’accompagner Thây, et ensuite pour nous d’embrasser la liberté en nous, ainsi que Thây. Normalement, dans les cérémonies traditionnelles, il y a davantage de musique,de la musique classique. Mais comme Thây est un maître zen et que la voie du Village des Pruniers est davantage axée sur le silence, notre procession s’est déroulée dans un silence total. Et c’était si beau parce que, bien sûr, vous pouviez entendre le caméraman et entendre toute l’organisation autour, mais la marche était avec Thây. Thây marchait avec nous, dans nos pas, alors que nous pratiquions la liberté dans nos propres cœurs. J’ai parlé à de très nombreux frères et sœurs et à de nombreux amis laïcs au Viêt Nam qui ont eu la chance d’être là, et il y avait des milliers de personnes. Les images sont étonnantes et il y a eu beaucoup de magnifiques moments ; au Vietnam, le bouddhisme est notre culture racine et notre tradition racine, et il est même en l’enfant. Donc, vous savez, quand un grand maître comme Thây part, même si vous ne le connaissez pas, vous le respectez. On peut donc voir des images où, lorsque le cercueil de Thây passe, les gens touchent la terre. Et d’une certaine manière, cela m’a vraiment touché au cœur, vous savez, parce que cette personne a peut-être été sauvée par l’enseignement de Thây, et nous avons vu tant de partages sur notre site Web et sur différentes plateformes de médias sociaux de personnes partageant leur appréciation et leur aspiration sur la façon dont Thây a changé leur vie. Certains ont même déclaré que Thây leur avait sauvé la vie ; sans Thây, ils ne seraient peut-être pas là. Alors, vous savez, quand un enfant a touché la terre pour Thây, je me suis senti dans cet enfant quand il a touché la terre quand le cercueil de Thây est passé. Et ce qui était aussi très beau, c’était de voir des frères et des sœurs que je connais tenir le parapluie, tenir l’encens, porter les fleurs qui accompagnent le corps.
Et puis il y a eu le moment de l’arrivée au site de crémation, qui était… Le site existait déjà là, mais il a été encore plus développé pour Thây. Vous pouvez voir que l’herbe est toute nouvelle, que les arbres ont été plantés récemment, parce qu’une personne importante, sainte, va être incinérée ici. Et cela a été fait en fonction du respect voué à cette personne. Et nous, pendant que nous commentions, vous savez, il y a eu un moment où nous avons fait une pause et j’ai dit, “Wow, le moine le plus simple a maintenant les funérailles et la crémation les plus grandioses”… mais cela a été fait avec le cœur, et ce n’est pas pour le glamour ou quelque chose comme ça. Et j’ai senti le cœur de millions de personnes à ce moment-là. Cétait tellement beau durant la crémation ! Nous avons eu un aspect de la cérémonie qui est le chant et je peux juste partager… vous savez… le chant est une autre façon de diriger notre chagrin, une autre façon d’honorer nos maîtres, nos enseignants, nos ancêtres spirituels. Parce que dans les textes, vous parlez de la vertu de ces enseignants. Et puis nous avons eu des moments très typiques du Village des Pruniers quand, vous savez, notre grand frère, Frère Pháp Ấn, a demandé à Soeur Chân Không de chanter une chanson. À la sœur Định Nghiem de chanter une chanson, et ils lisaient le poème de Thây que nous chantions au Village des Pruniers au fil des ans. Et donc nous avons eu de très beaux, si beaux moments d’unité durant cette cérémonie. Et je me suis vraiment senti reconnaissante que tous les Vénérables présents nous aient soutenus pour que la cérémonie se déroule dans le style du Village des Pruniers, qui est plus, plus partagé et plus proche du chant parfois…
01:31:14
Jo Confino – Moins formel.
01:31:14
Frère Phap Huu – Moins formel. Même si nous étions dans notre sanghati, nous pouvions sourire, rire, nous pouvions pleurer,… nous pouvions… vous savez… nous tenir la main l’un l’autre quand nous en avions besoin. Oui, c’était moins formel et ce moment était très chaleureux. Ensuite, sur le site du Village des Pruniers, nous avons suivi jusqu’à la fin et ils ont continué à incinérer le corps de Thây, et cela a été fait à la manière traditionnelle bouddhiste, c’est-à-dire avec du bois de chauffage. Et les professionnels qui étaient là continuaient à alimenter le bois pour qu’il… pour que le cercueil et le corps de Thây brûlent. Et cela dure, je ne sais pas exactement, mais plus de 10 heures. La communauté vietnamienne a fait une pause, et c’est là que nous avons mis fin au suivi du direct. Mais nous avons conservé la transmission en ligne pour tous ceux qui voulaient la suivre parce qu’au Vietnam, ils ont alors pratiqué la marche méditative, lentement, autour de ce site. Le lendemain matin a eu lieu la cérémonie, qui n’a pas été diffusée en continu parce que c’était trop de travail, mais tout a été enregistré, et nous l’avons téléchargée plus tard – les amis peuvent la voir – et c’était également très beau parce que l’on peut y voir la même procession, ramenant les cendres de Thây au temple racine. Et l’instruction de Thây à nous tous, ses étudiants, est que Thây ne veut pas que nous nous laissions ‘piéger’ en lui. Cela veut donc dire qu’au retour des cendres au sein de nos monastères, nous devons les répandre. Ainsi, les cendres peuvent nourrir les terres du Village des Pruniers, la France, l’Amérique, l’Allemagne, Hong Kong, la Thaïlande, le Vietnam, l’Australie.
01:33:02
Je serai partout.
01:33:04
Frère Phap Huu – Thây est partout. Il avait donc été convenu que les cendres de Thây seraient divisées entre tous nos monastères. Tous les monastères de la branche du Village des Pruniers recevraient les cendres de Thây, et chaque monastère organiserait une cérémonie pour commémorer et honorer, puis pour répandre les cendres de Thây. Ainsi, au Village des Pruniers, par exemple, nous avons trois hameaux, donc chaque hameau recevra (depuis la parution de cette traduction, la cérémonie de dispersion des cendres a eu lieu au sein des différents monastères, généralement au 49ème jour suivant la transformation de Thây) une partie et c’est ainsi que nous conclurons. Mais au village des Pruniers, lorsque nous avons terminé notre cérémonie, nous avons également eu un moment de répit et Thây Minh Hy m’a demandé de préparer un petit discours pour remercier la Sangha internationale et tous ceux qui ont été avec nous pendant ces huit jours. “Merci, car nous avons vraiment ressenti votre présence et nous n’aurions pas pu maintenir notre stabilité sans le soutien de chacun”. Puis il m’a demandé d’avoir une conversation avec Thây. Et c’est là que j’ai aussi été traversé d’émotions. L’essentiel de mon message dans cette partie portait ma dernière tournée avec Thây : à Hong Kong, en 2013. Et après le déjeuner, nous avons eu un moment où Thây et moi partagions le thé ; Thây m’a regardé et m’a dit : “Thây a déjà renouvelé le bouddhisme à 60 %. Et l’avenir, les 40 autres pourcent sont entre les mains de mes étudiants, de mes descendants, monastiques et laïcs. Vous tous avez la responsabilité de faire tourner la roue du Dharma. Et, pour nous, cela signifie maintenir le bouddhisme renouvelé, pertinent, adaptable, parlant aux défis d’aujourd’hui, au langage d’aujourd’hui”.
Et quand Thây a dit cela, j’étais encore très jeune en 2013, mais qu’il partage cela… j’ai senti toute la confiance qu’il avait en nous. Et il le voyait déjà en nous, il s’entraînait déjà au lâcher prise. Et lors de cette dernière cérémonie, c’est ce que j’ai partagé, j’ai dit : “Je n’oublierai jamais cette conversation, c’est l’un des flambeaux que vous nous avez offert, et nous faisons le vœu, en tant que vos élèves, de poursuivre ce chemin, de poursuivre votre héritage comme notre héritage. Parce qu’il y a aussi… Nous ne voulons pas devenir une victime. Et être dans l’ombre de Thây, parce que ce n’est pas ce que Thây veut. Thây veut que nous marchions sur le chemin de la liberté, car Thây a déjà ouvert un chemin pour nous. Et je n’oublierai jamais non plus que Thây a dit : “Vous avez beaucoup de chance parce que Thây a fait une grande partie des devoirs pour vous tous”. Thây a dit que s’il avait été jeune et qu’il y avait moins d’agitation et moins de guerre dans son environnement, il aurait pu aller plus loin dans la méditation. Bien sûr, nous voyons que sans boue, pas de lotus, n’est-ce pas ? C’est à cause de la souffrance que Thây est devenu ce qu’il est. Mais c’est juste lui qui nous encourage à dire que vous avez le Dharma devant vous et dans votre cœur. Si vous ne le mettez pas en pratique, alors vous prenez pour acquis ce que vous a offert Thây. Et c’est pourquoi Thây a dit : “Thây a fait tous les devoirs, à travers toutes les souffrances qu’il a traversées, Thây a trouvé les plus beaux enseignements du Bouddha, les 16 exercices de la respiration en pleine conscience, les 4 établissements de la pleine conscience, la parole aimante, l’écoute profonde, le Renouveau, la façon de restaurer les relations et la communication, les touchers de terre et les si nombreuses portes du Dharma. Et il nous l’a présenté à tous. Et l’humain… parfois… comme ça semble si simple nous pensons que c’est très basique, nous pensons que nous avons terminé. Mais si vous continuez à pratiquer, votre compréhension du Dharma s’approfondira de plus en plus, et nous devons nous assurer que ces enseignements continuent à se développer. S’il faut les renouveler, nous devons le faire. S’ils nécessitent un renouvellement de la formulation, nous devons le proposer… Et nous en faisons l’expérience avec Thây. Lorsque Thây a offert une retraite en 2003 pour les policiers et les femmes, vous savez, nous n’avons utilisé aucun terme bouddhiste. Nous avons fait une cérémonie, sans l’offrande de l’encens. Vous savez, c’est possible, et nous devons être flexibles. Nous devons maintenir cet esprit. Et c’est ce que, vous savez, cette dernière cérémonie pour moi, c’est ce que cela signifie aussi, c’est que maintenant tout ce que nous a offert Thây est maintenant entre nos mains. Et si nous ne le faisons pas, alors nous ne sommes pas de bons étudiants de Thây. Nous n’honorons pas l’héritage de Thây.
01:38:35
Jo Confino – Merci, cher frère. Et pour terminer… parce que je veux vous donner une chance de vous reposer… mais vous avez abordé le sujet de la réponse des personnes. Vous savez, j’ai toujours dit que Thây est la personne la plus célèbre dont personne n’a jamais entendu parler, parce qu’il a eu une grande influence et pourtant son nom n’est pas… Vous savez, les gens disent “Oh, le Dalai Lama”, ils savent exactement de qui vous parlez. Mais ce qui est apparu si fortement, ce sont les milliers et les milliers de personnes qui ont pris le temps d’écrire et de partager leur expérience grâce à Thây. Et je pense que pour souligner ce que vous avez dit, il y avait tellement de personnes qui ont dit : “J’étais dans l’endroit le plus sombre de ma vie, je sentais que je ne pouvais pas continuer, je ne voyais pas de chemin pour sortir de mon désespoir”. Et Thay était comme, vous savez, on pourrait dire la torche sur le chemin. Je veux dire, Thây avait un chemin éclairé par une torche qui permettait aux gens de sortir de leur endroit le plus sombre et de revenir à la lumière. Et c’était assez extraordinaire. Je parlais à mon fils cadet tout à l’heure. Il est réalisateur de documentaires, et il m’a dit : “Oh oui, je regardais mes flux, mes flux de médias sociaux, et tous ces gens que je respecte dans le monde du cinéma, je pensais qu’ils n’avaient rien à voir avec Thây, mais ils l’appréciaient vraiment”. Et je pense que tout à coup, j’ai senti Thây dans le public dans sa plénitude. Et j’ai pensé que c’était son extraordinaire pouvoir, qu’il n’était pas très connu, mais que tout le monde le connaissait. C’était comme si j’avais du mal à donner un sens complet à tout cela.
01:40:12
Frère Phap Huu – Oui, c’est presque comme si Thây était si sacré que vous ne voulez pas le montrer parce qu’il a un tel impact dans votre vie que si vous le faites, il pourrait perdre ce caractère sacré. Je crois que c’est ce qu’on ressent. Et c’est la même chose avec… J’ai commencé à voir tous ces médias, puis tous ces messages sur les réseaux sociaux de personnes dont je n’imaginais pas qu’elles seraient… touchées par l’enseignement de Thây, et elles partageaient leur appréciation. Mon cœur était vraiment empli chaud, plein de gratitude.
01:40:48
Jo Confino – Oui. Mon frère, merci d’avoir pris le temps de partager si profondément. Et, vous savez, l’une des choses les plus importantes dans la vie est qu’à travers notre leadership, nous donnons la permission aux autres de suivre notre chemin. Et ceci est un si bel exemple de votre expression de la continuation de Thây. Le fait que vous vous autorisiez à être vulnérable, profondément dans vos émotions et pouvoir vous exprimer avec tant de beauté et de profondeur ; cela donne la permission aux autres de partager et d’aller dans leurs émotions également. Je vous remercie donc d’avoir été ici aujourd’hui, alors que vous avez traversé tant d’épreuves, et de partager ce qui s’est déroulé, mais aussi de partager la pratique profonde au sein de toutes les formalités qui ont eu lieu. Alors, mon frère, selon la tradition, et nous terminons notre podcast par une courte méditation. Donc, si vous avez assez d’énergie, ce serait bien… juste après toute ces émotions, cela aiderait à nous apaiser, nous ramener au moment présent.
01:42:06
Frère Phap Huu – Chers amis, où que vous soyez en train d’écouter ce podcast, autorisez-vous à simplement être immobile. Si vous marchez, faites une pause et vous pouvez même rester debout. Si vous êtes particulièrement fatigués, vous pouvez même vous allonger, et revenons à notre respiration.
Quand j’inspire, je sais que c’est mon inspiration.
Quand j’expire, je sais que c’est mon expiration.
Je reconnais mon inspiration.
Je reconnais mon expiration.
Ceci est l’inspiration.
Ceci est mon expiration.
En inspirant, j’invite Thây à inspirer avec moi.
En expirant, j’invite Thây à expirer avec moi.
Thây, tu inspires avec moi.
Thây, tu expires avec moi.
J’inspire, et Thây inspire.
J’expire, et Thây respire maintenant.
En inspirant, je vois Thây non seulement dans sa forme physique, mais Thây est aussi l’amour, ma pleine conscience, la compassion que je génère.
En expirant, je porte Thay dans le moment présent et dans le futur.
A l’inspiration, Thây n’est pas dans la forme.
Expiration, Thây est mon attention, ma compassion.
En inspirant, je génère de la gratitude envers les enseignements, le mode de vie que Thây m’a montré.
En expirant, j’embrasse cette gratitude.
Inspiration, générer de la gratitude.
Expiration, j’embrasse cette gratitude.
Inspiration, Thây, tu es libre.
Expiration, je suis aussi libre.
Inspiration, Thây est libre.
Expiration, liberté en moi, dans cette respiration, dans ce moment.
Inspiration, c’est un moment de continuation.
Expiration, Thây, je te vois sourire.
Inspiration, continuation.
Expiration, Thây, tu souris.
J’inspire, la vie est en moi et tout autour de moi.
J’expire, je suis reconnaissant envers la vie en moi et tout autour de moi.
01:46:57
Merci, Thây. Votre héritage se perpétuera en chacun d’entre nous. Merci, cher auditeur. Et nous espérons que vous serez parmi nous pour notre prochain podcast.
01:47:11
Oui, et merci, chers auditeurs, de vous joindre à nous dans la cabane de ‘l’Eau Tranquille’ de Thich Nhat Hanh, au Hameau du Haut, en France, où le soleil commence tout juste à se coucher. Et si vous avez apprécié cet épisode, vous pouvez trouver de nombreux autres épisodes de la série ‘The Way Out Is In’ sur Apple Podcasts, sur Spotify, sur d’autres plateformes qui proposent des podcasts et sur notre propre application Plum Village.
01:47:45
Ce podcast vous a été offert par les généreux donateurs de la Fondation Thich Nhat Hanh. Si vous souhaitez soutenir les prochains épisodes du podcast et le travail de la communauté internationale du Village des Pruniers, veuillez consulter le site www.tnhf.org/donate.
Merci à tous…
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