un voyage en Palestine
20 mars 2019, Howard vient nous chercher à l’aéroport de Tel Aviv pour nous conduire au village de Neve Shalom. Neve Shalom est un village coopératif fondé conjointement par des juifs et des musulmans pour montrer que ces deux peuples peuvent vivre ensemble.
Pendant le trajet, mes pensées se tournent vers mon amie Lora. Sans elle, je n’aurait sans doute pas fait partie de ce voyage. Il y a trois ou quatre ans, elle passa trois mois dans la communauté où je vivais. Au moment de son départ, je lui ai demandé de me calligraphier le mot paix en arabe. Elle me regarda avec intensité, plantant ses yeux noirs et fiers dans les miens: NON !
Quand je lui demandai de m’expliquer sa réponse, elle s’anima et devînt très loquace:
Paix ! Ce n’est qu’un mot. Pour la plupart d’entre nous à Bethléem, il ne veut rien dire. On tire sur nos amis, parfois ils se font tuer. Nos maisons peuvent être détruites du jour au lendemain, nous n’avons pas le droit de nous déplacer librement et tu voudrais me faire parler de paix…
Je n’ai jamais été satisfaire de la réponse que j’ai essayé de lui donner. J’ai parlé bien plus que je n’ai écouté.
Mais aujourd’hui, je me rends compte que mon seul désir est que tous les peuples puissent penser à la paix paisiblement, et que c’est la raison profonde de ma présence dans cette région.
Pour ce voyage, nous sommes 4 monastiques, 2 frères, Phap Lai et Duc Pho, 2 sœurs, Luc Nghiem et Mai Lâm.
Nous nous attendons à tout et à rien en même temps. Plusieurs fois, nous nous sommes réunis pour parler de ce voyage dans les mois qui l’ont précédés, nous demandant sans cesse si nous prenions la bonne décision, demandant sans cesse conseils et éclairages. Est ce que concentrer notre voyage sur la Palestine est la meilleure chose à faire ? Ne prenons-nous pas clairement parti en choisissant de ne participer à aucune retraite en Israël, en refusant l’invitation de nos amies de Tel Aviv pour une journée de Pleine Conscience ?
Ces questions vont revenir sans cesse. Nous prenons le temps de nous asseoir autour d’une table avec des représentants de nos groupes de pratique en Israël, nous les écoutons, nous partageons notre désir profond d’entrer en contact avec les jeunes palestiniens et de les aider à ne pas entrer dans une logique de haine*, de leur présenter les quelques outils dont nous disposons.
Après deux jours à Neve Shalom nous partons pour Bethléem qui sera notre point de chute pendant ce voyage.
Nous rencontrons des gens de tous horizons, du vendeur de rue au propriétaire de notre hôtel en passant par des volontaires engagés dans des ONG. Ils sont tous chaleureux, accueillants, désireux d’échanger et d’en savoir plus sur les pratiques de Pleine Conscience et notre façon de vivre.
Je vais rendre visite à mon amie Lora et à sa famille. Ils font partie des 5% de chrétiens qui vivent encore à Bethléem, qui n’ont pas fui.
Bouddhiste, hum, qu’est ce que ça veut dire ?
J’essaie de répondre à la question en évoquant les pratiques de l’écoute profonde et de la respiration pour gérer les émotions fortes. Le père disparaît entre les bras de son fauteuil. Un aide-soignant a été tué la nuit dernière à l’entrée d’un camp de refugiés alors qu’il tentait de venir en aide à un civil blessé. Manifestement, ce peuple s’y connait en émotions fortes et j’ai le sentiment qu’être simplement présente pour écouter leurs peurs et leur colère est la meilleure, et la seule, chose que je puisse faire.
Alors la tentation est grande de prendre partie.
La seule alternative que nous ayons, et la raison de notre venue, c’est d’offrir notre pratique, de continuer à écouter, de croire que l’apaisement des souffrances là, dans le fait d’être entendu, de rencontrer un espace où l’on peut déposer tout ce qui pèse, absolument tout car on sait qu’on ne sera pas jugé. La neutralité est la condition de la qualité de notre écoute profonde, et notre challenge constant.
Bien sûr, nous partageons aussi des pratiques, nous présentons le son de la cloche à de nombreux enfants dans une école de Jérusalem Est et dans un des camps de réfugiés de Bethléem. Nous leur apprenons à respirer calmement, à ces enfants qui connaissent la peur des jets de gaz lacrymogène dans leur rues plusieurs fois par semaine. Ils se battent un peu, essayant de voler la cloche au chanceux qui la tient entre ses mains. C’est un joyeux chaos, mais si ces gamins associent finalement le fait de s’arrêter pour respirer en écoutant la cloche avec un sentiment de joie, nous les aurons touché bien plus profondément qu’au travers d’un silence imposé. Nous allons aussi rencontrer des femmes à Hebron. Je fais partie de ce second groupe et je ressors de cette rencontre trois heures plus tard complètement estomaquée par ce que j’ai vécu : trente à quarante femmes sont présentes, la plupart ayant moins de trente ans, joyeuses, extrêmement vivantes, bavardes, chaleureuses, directes… Nous leur présentons la pratique, et à nouveau nous commençons par celle de l’écoute. A vrai dire, le silence leur semble quelque chose de triste et d’ennuyeux et elles préfèrent visiblement s’interrompre, se taquiner, profiter pleinement de la liberté que leur procure le fait de se retrouver entièrement entre femmes. Mais dès que nous amenons la notion de respect de l’autre, de paix, d’harmonie en soi-même et dans le monde, l’atmosphère change du tout au tout. Faire la paix, elles veulent y croire, elles sont prêtes à tout mettre en œuvre pour y arriver ! Nous proposons aussi une courte marche méditative. Là encore je suis surprise : plus rien de l’agitation du début de la séance, elles posent un pied derrière l’autre, exactement comme si l’état du monde dépendait de la qualité de leur Pleine Conscience… Et elles n’ont de cesse à la fin de la séance qui de nous inviter à dîner (l’hospitalité est une valeur sacro-sainte en Palestine), qui de nous faire promettre de revenir. Une partie de notre cœur reste là, dans ces quelques heures d’espoir.
Nous réunissons aussi une quarantaine de personne dans un monastère salésien, un ancien séminaire connu pour la beauté des ses jardins, Cremisan, pour une retraite de deux jours. Les partages sont intenses et le public varié : chrétiens , musulmans, palestiniens, occidentaux vivants en Terre Sainte, couples, célibataires, jeunes, moins jeunes…
Nous proposons encore une journée de Pleine Conscience à côté de Ramallah et une soirée de pratique chez notre ami Issa, faisant de nombreuses et magnifiques rencontres avec des artisans de paix de diverses associations. Nous passons ces trois semaines à apprendre que nous n’avons pas de solutions, et aucun conseil à donner. Mais nous pouvons écouter et montrer aux autres comment écouter, d’abord leur propre souffrance, puis celles des autres, enfin peut-être un jour celles de ceux qu’ils pensent être leurs ennemis.
Nous terminons notre voyage par une randonnée de deux jours jusqu’aux rives de la mer morte. Ce temps de marche est pour plusieurs d’entre nous un véritable temps de silence, de retour à soi, de prière, l’occasion de déposer, de laisser décanter tout ce que nous avons reçu et de donner corps, à travers la marche à notre espoir de voir une peu plus de compréhension mutuelle émerger sur cette terre. Cet espoir est un peu fou, comme ce voyage, mais il donne sens aux quelques semaines que nous avons passées ici et à la vie de tous ceux que nous y avons rencontré.
Lors de nos dernières visites au Moyen Orient nous avons rencontré de nombreux jeunes Palestiniens et Israéliens qui ont exprimé leur souhait de venir pratiquer au Village des Pruniers. Nous aimerions créer les conditions pour pouvoir leur permettre de se joindre à la retraite Wake Up au Village des Pruniers. Pour cela nous allons avoir besoin d’aide. Peut-être pouvez-vous considérer faire un don pour le programme de bourse permettant à de jeunes adultes d’Israël et de Palestine de venir à la retraite Wake Up en Août 2019 en cliquant sur le lien ? https://donation.plumvillage.org/middle-east-wake-up/
Nous vous offrons nos plus sincères remerciements pour chaque contribution que vous pourrez offrir à ce programme.
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