Ceux d’entre nous qui ont survécu à un traumatisme sont souvent perturbés par des pensées intrusives. Mais nous pouvons apprendre à penser d’une manière saine.
Article paru dans le magazine “Tricycle” et adapté d’un texte tiré du livre de Sœur Dang Nghiêm “Flowers in the Dark : reclaiming your power to heal trauma through mindfulness” (pas de traduction français disponible pour l’instant).
Sœur Dang Nghiem est née en 1968 au Vietnam, fille d’une mère vietnamienne et d’un soldat américain. Elle a perdu sa mère à l’âge de douze ans et a immigré aux États-Unis à l’âge de dix-sept ans. Après avoir vécu dans plusieurs foyers d’accueil, elle a obtenu un diplôme de médecine à l’université de Californie-San Francisco. Elle décide par la suite d’abandonner sa pratique médicale pour vivre au Village des Pruniers de Thich Nhat Hanh, où elle est ordonnée moniale en 2000. Elle vit actuellement dans notre monastère de Deer Park en Californie.
Un des obstacles majeurs à la méditation est la tendance de notre esprit à s’enliser dans des pensées négatives. L’esprit “répète” les scénarios qui nous dérangent, essentiellement parce qu’il veut résoudre le problème et trouver une issue. Malheureusement, il peut rester bloqué dans sa voie comme l’aiguille du gramophone coincée dans un sillon, répétant inlassablement la même piste.
Les personnes qui ont survécu à un traumatisme ou qui souffrent d’une détresse psychologique récurrente sont fréquemment perturbées par des pensées intrusives et répétitives. On peut comparer l’esprit à un moteur de recherche : vous lancez une pensée et il vous en propose d’autres qui y sont associées. Mais, même si nous ne passons pas à l’acte, continuer à nourrir des pensées de haine peut engendrer davantage de haine et de violence. Arno Michaelis, un ancien suprémaciste blanc, a témoigné de la façon dont ses pensées de colère l’ont mené à tenir des propos encourageant la violence contre les personnes de couleur. Interrogé après sa conversion au Bouddhisme sur les raisons qui peuvent pousser les gens à infliger de la douleur aux autres, voire à les assassiner, il répondit : “La Pratique. Lorsque vous pratiquez la haine et la violence, cela rend votre vie si misérable que seul l’homicide suivi du suicide semble avoir du sens. Tout ce qui est amour, compassion, pardon, bonté et tous les aspects les plus beaux de notre expérience humaine vous deviennent non seulement inconnus mais répugnants.”
Tout ce que nous faisons de façon routinière peut être considéré comme une pratique et une répétition. Grâce à cette prise de conscience, nous apprenons à utiliser notre “moteur de recherche” avec discernement et à ne mettre que des éléments positifs dans notre “barre de recherche”. En neurosciences, on sait que les neurones qui “s’activent ensemble se connectent ensemble”. Lorsque certains neurones s’activent ensemble de façon continue, la connexion entre ces neurones se renforce avec le temps. Le facteur déclenchant peut être une pensée, un mot ou une phrase, ou encore une action, et une voie neuronale précise est alors immédiatement activée, via des impulsions électriques, puis la libération de neurotransmetteurs ; c’est toute une réaction en chaîne qui se produit instantanément, tout comme le sentier qui, à force d’être emprunté, deviendra un chemin parfaitement tracé.
Les voies neuronales fréquemment activées peuvent commencer à fonctionner automatiquement, se manifestant sous la forme d’une habitude ou d’un schéma habituel – et cela se transforme peu à peu en véritable personnalité. De même, il suffit aux personnes souffrant de SSPT (syndrome de stress post-traumatique) d’entendre un son soudain, de voir un élément déclencheur ou même de penser à une expérience désagréable pour que s’ensuive toute une cascade de réactions, de pensées, de paroles et de comportements. Ainsi, il suffira à la personne ayant souffert d’abus d’être rebutée par le contact de son amant, ou à un soldat de se mettre à hurler comme s’il se trouvait en zone de guerre. En ce sens, le traumatisme ne se produit pas seule et unique fois ; il se produit physiologiquement chaque fois que nous le revivons de manière traumatique par la pensée. Même lorsque vous faites un cauchemar, tout votre corps passe par là.
Lorsque vous faites ou dites quelque chose de négatif, vous vous sentez probablement mal sur le moment mais, la deuxième fois, il est possible que cela vous déstabilise déjà moins. Il peut s’agir d’une situation où vous vous dites que vous ne valez rien, que vous ne méritez pas ceci ou cela, ou bien d’un moment où criez sur votre conjoint, ou bien frappez le mur ; la première fois, vous allez peut-être le vivre comme un véritable choc. Mais la deuxième fois, vous ne sentirez peut-être plus aussi mal. Et puis le comportement pourra se transformer en habitude. Chaque fois que vous êtes en colère, vous cognez le mur. Cela peut devenir incontrôlable. Une habitude devient une personnalité, qui va ensuite déterminer le cours de votre vie et de votre destin.
Nous devons nous entraîner de manière positive, afin qu’il soit plus facile de voir le côté positif d’une situation. C’est lié à la façon dont nous percevons notre réalité. Le signe ou l’apparence de l’objet ou de la situation peut être exactement le même, mais l’état d’esprit détermine la façon dont nous percevons la situation. Par la pratique, nous pouvons entraîner notre esprit à être dans un état plus spacieux : calme, positif, et en mesure de percevoir la situation avec plus de clarté, d’équanimité et un certain sens des réalités possibles.
Lorsque l’on a tendance à être facilement morose et à se laisser aller au désespoir, et que l’on y ajoute les souffrances du passé, notre humeur habituelle rend encore plus difficile la gestion et la transformation de la situation. Nous devons alors adopter une vision et une pensée justes. Nous nous entraînons à être conscients de ce que nous pensons et à respirer avec cela, à détendre et transformer la situation en une vision plus équilibrée, en reconnaissant les bonnes conditions qui sont encore à notre disposition. Nous pouvons nous rappeler ceci : “ Souris. Fais le choix d’un regard positif ”. Il est tout à fait possible de créer de nouvelles habitudes positives et conscientes. C’est certainement possible avec la pratique de la parole aimante et de l’écoute profonde envers nous-mêmes. L’attitude positive et la gratitude deviennent lentement une nouvelle habitude consciente.
Vous pouvez pratiquer la phrase suivante : “ Tu crois ? ” “ Tu crois vraiment cela ? ”
À ma demande, Thay [le maître zen Thich Nhat Hanh] m’a un jour écrit une calligraphie qui disait : “ You think so ? ”(Tu crois vraiment cela ?) Poser cette question est une excellente pratique pour faire le point sur nos perceptions. Elle nous aide à réexaminer nos points de vue et nos perceptions les plus profondément ancrés, afin que nous puissions nous découvrir sous des angles différents et à des niveaux plus profonds.
Mon cheminement spirituel m’a placée dans des situations où je me voyais contrainte de céder et d’abandonner, couche après couche, certains points de vue, perceptions et attitudes qui me semblaient autrefois bien solides et inébranlables. Lâcher les opinions bien ancrées m’a permis de m’accepter et d’être acceptée par les autres ; d’éprouver de la joie, d’être en accord avec elle, et de ne pas m’accrocher à ma souffrance.
En pratiquant le questionnement intérieur avec la question “Tu crois vraiment cela ?”, j’ai beaucoup appris sur ma façon de concevoir la souffrance. “C’est ma souffrance ! Tu ne la comprends pas. Ma douleur est plus grande que la tienne.”
Il faut beaucoup de courage pour libérer et abandonner notre négativité.
Essayons cette pratique. Supposons par exemple que vous ayez une pensée négative à votre égard, telle que : “C’est affreux !” ou “J’ai été vraiment stupide de dire cela.”
Respirez, souriez et interrogez-vous : “Tu crois vraiment cela ?”.
Continuez à respirer, à sourire et à écouter pendant un moment.
Est-ce que quelque chose a changé ?
“Tu crois vraiment cela ?“
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