Bouddhisme engagé / Le prochain Bouddha sera une communauté, pas un individu

Sœur Lực Nghiêm répond à la question : Comment une communauté vivant en pleine conscience peut-elle jouer un rôle dans le leadership spirituel, et comment peut-elle répondre aux multiples crises de notre époque en donnant l’exemple du changement ?

Le Parlement des religions du monde (PoWR) est une organisation visant à cultiver l’amitié et la compréhension mutuelle entre les traditions spirituelles du monde afin de parvenir à un monde plus pacifique, plus juste et plus durable. Il trouve ses racines dans l’exposition universelle de 1893 à Chicago (Illinois, États-Unis), où la première réunion historique du Parlement a créé une plateforme mondiale pour le dialogue et l’engagement interconfessionnels. De nombreux spécialistes considèrent le discours de Swami Vivekananda comme un événement révélateur qui a déclenché l’essor des religions orientales en Occident.

Le lien entre Thầy, le Village des Pruniers et le Parlement a commencé en 1993 lorsque Thầy, avec d’autres leaders spirituels, a contribué à une proposition qui a conduit à la publication de Vers une éthique globale : une première déclaration, une puissante déclaration d’unité dans notre monde de plus en plus fracturé. Elle nous rappelle que les chefs religieux ont aujourd’hui la responsabilité vis-à-vis de leurs fidèles, de transformer la violence, l’oppression, la discrimination et la guerre. « Après deux guerres mondiales et la fin de la guerre froide, l’ébranlement des fondements du communisme et du colonialisme, l’humanité est entrée dans une nouvelle phase de son histoire… l’humanité a besoin d’une vision de peuples vivant pacifiquement ensemble. » En 2009, lors d’une transmission en direct sur internet, Thầy a présenté les Cinq Entraînements à la Pleine Conscience comme une proposition viable et non sectaire pour une éthique mondiale au PoWR de Melbourne, en Australie. Aujourd’hui, alors que la religion peut être une force qui divise plus qu’elle n’unifie et que les jeunes s’identifient de plus en plus comme athées ou spirituels mais non religieux, la tradition du Village des Pruniers se sent faite pour cette époque.

Nous avons été honorés de pouvoir apporter les enseignements de Thầy et du Village des Pruniers au PoWR une nouvelle fois. Invitées par l’Elijah Interfaith Institute, Sœur Lực Nghiêm du Village des Pruniers (France) et Sœur Trì Nghiêm du monastère de Magnolia Grove (Mississippi, États-Unis) se sont jointes à un groupe de vingt chefs religieux réunis pour le PoWR à Chicago en août 2023. Ce groupe s’est réuni tous les après-midis pour partager et écouter les expériences et les perspectives des uns et des autres en tant que leaders religieux et spirituels. Nos contributions au Parlement ont notamment consisté à proposer la pratique du Renouveau avec la Terre pendant la cérémonie de repentance climatique, dirigée par Sœur Trì Nghiêm, et une autre session plénière, Friendship Across Faiths Initiative (Amitié Inter religieuse) , où Sœur Lực Nghiêm a parlé de l’amour que nous devons avoir dans nos cœurs pour que le dialogue soit possible, en partageant des exemples et des expériences d’amitié issus de son pèlerinage pour la paix en Ukraine, au printemps 2022.

Nous nous sommes réunis pour explorer ce que signifie pour chacun d’entre nous d’être un “leader religieux” et, dans ce contexte, nous avons tous été invités à rédiger un article sur l’un de nos “génies religieux”, un terme proposé par les directeurs de l’Institut pour décrire le leader religieux ou spirituel qui nous inspire le plus.

Un bouddha ne suffit pas. Nous avons besoin de nombreux bouddhas


Discours de Thích Nhất Hạnh lors du PoWR 2009 à Melbourne, Australie.

Sœurs Lực Nghiêm et Trì Nghiêm lors de la cérémonie de repentance climatique du PoWR ; photo avec l’aimable autorisation de Sœur Lực Nghiêm

Pourquoi parlons-nous d’une communauté plutôt que d’un chef religieux ?

Notre maître, Thích Nhất Hạnh, nous a toujours dit qu’en tant que pratiquants bouddhistes, notre carrière individuelle est la carrière de la Sangha, qui consiste à diffuser le Dharma, l’enseignement de l’amour et de la compréhension, par nos actions quotidiennes du corps, de la parole et de l’esprit. 

Thầy avait l’habitude de dire : « Les gens ne profitent pas seulement de mes discours, ils profitent de l’énergie collective de la Sangha. C’est pourquoi je n’accepte les invitations à parler que si je peux emmener ma Sangha avec moi ». 

Thầy n’aurait pas pu toucher des millions de personnes sans sa communauté. La construction d’une communauté était au cœur de son travail.

Il en va de même pour le Bouddha, qui est parti à la recherche des cinq amis spirituels qui avaient pratiqué l’ascétisme avec lui auparavant. Juste après avoir atteint la pleine illumination, le Bouddha Shakyamuni a donné son premier enseignement, Tourner la roue du Dhamma (Dhammacakkappavattana Sutta), à ses cinq anciens compagnons dans le Parc aux cerfs près de Varanasi. À partir de là, de plus en plus de personnes se sont jointes à lui et l’ont suivi, une évolution qui se poursuit aujourd’hui.

Le pouvoir de la paix et de la compréhension grâce à la vie en communauté

La fraternité, la sororité et l’adelphité sont les éléments les plus importants de notre pratique et de notre vie communautaire. La capacité à vivre en harmonie avec les autres est primordiale.

Le plus grand talent est de savoir comment vivre en harmonie avec les autres.


Thích Nhất Hạnh

La vie communautaire comme modèle de construction de la paix

Le Village des Pruniers, en France, une communauté résidentielle monastique et laïque, est une communauté vivante qui cultive la paix, l’harmonie et la guérison (collective et individuelle) depuis sa création en 1982 (1). Nous avons pu constater qu’en arrivant sur le site du Village des Pruniers (ou dans l’un de nos centres de pratique de la pleine conscience à travers le monde), les gens ressentent instantanément un changement dans leur corps et dans leur esprit.

Grâce à l’énergie collective de la pleine conscience générée au cours des quarante et une dernières années par des pratiques simples mais très puissantes, les visiteurs du Village des Pruniers en bénéficient directement. Intégrée de manière subtile, cette énergie de paix et de douce conscience de chaque instant nous aide à toucher et à reconnaître ce qui se passe au plus profond de notre conscience. 

Lorsque, en tant que communauté, nous nous engageons à pratiquer la méditation marchée, à suivre notre respiration, à ralentir et à nous arrêter au son de la cloche, nous développons une puissante énergie collective de conscience et de concentration qui, à elle seule, crée un espace de sécurité pour tout le monde. C’est dans le moment présent que nous construisons l’avenir.

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Pleinement conscients de ce qui se passe ici et maintenant, il devient plus facile d’agir de manière à soutenir la bonté, la beauté, la compassion, la paix et la réconciliation. Nous nous abstenons de prononcer des paroles blessantes ou qui sèment la discorde, ou d’agir d’une manière dont nous savons qu’elle perpétuera le cycle de la violence et de la souffrance. La manière dont nous sommes encouragés à nous parler les uns aux autres en utilisant une parole attentive et habile, à agir avec calme et aisance, à regarder la réalité à travers le prisme de l’impermanence, du non-soi et de l’inter-être, a un impact immédiat sur la qualité de notre être et de notre présence. Notre état de conscience, notre prise de conscience, est au cœur de la réponse aux crises de notre temps. Nous n’avons pas besoin d’un état de faire ou de réagir, mais d’un état d’être. Nous devons savoir calmer notre corps et notre esprit et apprendre à être un véritable être humain, et non un humain en train de faire.

La saveur du zen et de la résilience

Notre tendance naturelle en tant qu’êtres humains est de toujours chercher le bonheur dans l’avenir. Cette tendance à courir après les choses ou à les fuir nous éloigne du moment présent, le seul moment que nous ayons à vivre, un moment qui mérite d’être reconnu et vécu, embrassé et soigné et qui contient une potentialité illimitée.

Développer la capacité à demeurer dans le présent, instant après instant, tout au long des jours, des mois et des années, même et surtout si c’est désagréable ou insupportable, nous donne la force et la résilience dont nous avons tous besoin pour ne pas nous contenter de réagir aux nombreuses crises qui secouent le monde aujourd’hui, mais plutôt pour y répondre avec le pouvoir de la clarté et du calme. Ce n’est que lorsque notre esprit est calme que nous pouvons voir la situation clairement et connaître la ligne de conduite la plus sage. Tel est le pouvoir de la pleine conscience : elle nous donne la clarté nécessaire pour prendre les mesures qui s’imposent.

Les communautés du Village des Pruniers du monde entier proposent des retraites tout au long de l’année à des milliers de personnes, ce qui signifie que ceux qui vivent au Village des Pruniers ont beaucoup à faire.

Notre défi est d’apporter la saveur du zen au cœur de ce que nous faisons. Nous faisons de notre mieux pour cultiver le calme, la clarté et la présence attentive, même lorsque nous organisons et tenons de grandes retraites. La qualité de notre être est ce qui rendra nos actions efficaces et significatives : si nous perdons notre paix en marchant d’un bâtiment à l’autre, si nous nous perdons dans les soucis ou dans l’action, si nous “n’avons pas le temps” de suivre notre respiration, de ralentir et de calmer nos émotions fortes, alors ce que nous offrons n’aura pas la même saveur. Lorsque, grâce à l’énergie de la pleine conscience et de la concentration, tous les résidents de la communauté, qu’ils soient laïcs ou monastiques, parviennent à apporter la saveur du zen dans leurs actions quotidiennes du corps, de la parole et de l’esprit, alors nous disposons d’une base solide pour offrir diverses retraites aux activistes, aux politiciens, aux enseignants, aux artistes, aux adolescents, aux jeunes adultes, aux familles, aux hommes d’affaires, aux praticiens de la santé mentale et aux membres des communautés BIPOC et LGBTQIA+, pour n’en nommer que quelques-uns. 

Lorsque les moines partent en tournée d’enseignement, nous n’y allons jamais comme une simple goutte d’eau. Nous y allons en tant que rivière. Nous y allons en tant que groupe, parce que ce que nous offrons aux gens est plus que nos mots – nous offrons notre présence, notre pratique, notre fraternité et notre énergie collective de la pleine conscience. Lorsque l’harmonie, la joie et l’amour purs règnent dans le groupe, c’est notre cadeau le plus précieux. Nous l’appelons le “Dharma vivant”, par comparaison avec le Dharma parlé et le Dharma écrit.

Dans les années à venir, les circonstances demanderont aux communautés et responsables spirituels et religieux, d’être comme des montagnes solides et des rivières rafraîchissantes.

Il est essentiel que nous soyons capables de ralentir et de toucher le calme en nous-mêmes si, en tant que responsables spirituels, nous voulons rester une source d’inspiration et être utiles.

Contempler notre esprit, embrasser le moment présent

Nous devons comprendre et voir les racines de ce qui cause la souffrance afin de cesser d’en créer d’autres. Avec le soutien collectif d’une communauté de personnes qui partagent l’éthique exprimée dans les Cinq Entraînements à la Pleine Conscience et les Quatorze Entraînements à la Pleine Conscience et qui mènent une vie quotidienne basée sur les enseignements du Bouddha sur les Six Harmonies (partager l’espace de vie et les ressources quotidiennes, partager l’éthique et les valeurs, harmoniser les points de vue et partager les idées, prendre des décisions par consensus et s’engager dans des moyens de résoudre les conflits), nous construisons une communauté où chaque situation est une occasion de rencontrer les autres et nous-mêmes afin que nous puissions commencer à reconnaître toutes les différentes stratégies de l’esprit pour faire face à la réalité.

Au cours de milliers d’années d’évolution, nous, les humains, avons développé notre capacité à obtenir ce que nous voulons, à obtenir ce dont nous pensons avoir besoin et à obtenir ce qui, selon nous, nous apportera le bonheur. Parallèlement, nous avons généralement fait de notre mieux pour éviter les sentiments et les émotions désagréables, en fuyant la peur, le désespoir, la tristesse et la colère. Lorsque nous interagissons avec les personnes avec lesquelles nous vivons, nous pouvons nous voir plus clairement. Nos schémas de réactivité et nos comportements de survie, par exemple, commencent à émerger et nous commençons à voir ce qui nous était auparavant caché.

Ce n’est qu’en comprenant notre esprit que nous pouvons sérieusement commencer à parler de contribuer à un changement dans le monde. 

Il n’y a pas de patron 

Comme dans les “entreprises”, les moines du Village des Pruniers ont besoin de tenir de nombreuses réunions pour préparer les retraites et prendre toutes sortes de décisions relatives à la vie de la communauté. Nos réunions sont un laboratoire où nous explorons nos propres cœurs et esprits ! Une seule personne parle à la fois et tous les autres écoutent sans les interrompre. Nous invitons une cloche à sonner pour nous aider à revenir à nous-mêmes et à respirer ensemble en cas d’émotions fortes. Nous prenons le temps de demander à chacun de donner son avis, car nous savons que l’action la plus puissante repose sur la perspicacité et la sagesse collectives du groupe. Les yeux de la communauté voient beaucoup plus clair que les yeux d’un seul individu, quelle que soit la qualité de ses idées. L’action collective n’est pas une action visant à renforcer notre ego, à prendre part à la bataille de la compétitivité et de la surenchère, ou à obtenir plus de célébrité, de pouvoir et de succès. Dans le bouddhisme, nous considérons ces dynamiques comme des aspects des trois principales racines de la souffrance : l’illusion/l’ignorance, la haine/la violence, l’avidité/le désir.

En vivant chaque jour avec un groupe de personnes de générations, d’origines, de pays et de cultures différents, nous rencontrons souvent des défis et des difficultés, mais aussi de la beauté et de l’espoir. Personne n’essaie d’imposer son point de vue aux autres ou de faire pression pour qu’une certaine décision soit prise, même s’il s’agit d’une personne âgée de la communauté. Il n’y a pas de chef qui prenne les décisions pour la communauté. Il s’agit toujours d’une décision fondée sur le consensus du conseil des moines et des moniales pleinement ordonnés. L’organe de décision est la communauté elle-même.

Le leadership compatissant est un art (2) : l’art d’être présent à l’autre, de l’écouter et d’essayer de le comprendre. Nous essayons de comprendre les espoirs et les joies de l’autre, ainsi que ses peurs et ses souffrances. Ce n’est souvent que lorsque la compréhension entre les membres de la communauté est suffisante qu’une décision peut être prise de manière harmonieuse ; souvent, presque tout le monde doit abandonner ses idées et ses points de vue originaux pour laisser la décision être façonnée par la conscience collective. C’est alors qu’une grande action est possible, car chacun se sent partie prenante, inclus, plein d’énergie et d’enthousiasme.

C’est pourquoi Thầy a toujours suggéré aux hommes politiques, aux PDG et aux chefs d’entreprise de se réunir au sein de leur équipe ou de leur société pour pratiquer l’art d’être ensemble : respiration consciente, méditation sur la marche, méditation sur l’alimentation, et “juste s’écouter” les uns les autres, “juste être présents” les uns pour les autres. Nous devons introduire le calme, la raison et l’éthique dans le monde de l’entreprise et dans les parlements politiques afin de soutenir les décisions qui ont un sens face aux nombreux problèmes complexes de notre époque. Si nous voulons la paix, nous devons être la paix.

La joie de prendre refuge 

Prendre refuge dans la Sangha, une communauté de pratiquants, n’est pas seulement une idée : cela fait partie de notre cheminement spirituel vers le lâcher-prise. Nos sociétés modernes civilisées ont valorisé l’individualisme et la grandeur individuelle, ce qui nous a conduits au désastre de voir les autres comme des rivaux ou des ennemis potentiels. En conséquence, nous avons du mal à respecter les autres, à accepter l’altérité et les différences. La fréquence et l’intensité de la violence qui en résulte, que ce soit dans les rues, dans des guerres civiles apparemment sans fin ou dans l’exploitation des animaux, des humains et de la Terre, est un symptôme qui montre à quel point nous avons perdu le contact avec la réalité que nous ne faisons qu’un, que nous sommes tous interconnectés dans la merveilleuse toile de la vie.

Nous avons souvent des perceptions erronées et des idées fixes, généralement fondées sur la croyance erronée d’une identité propre séparée, d’un être humain supérieur aux autres domaines de la vie et sans lien avec eux. La capacité de se défaire de nos perceptions erronées et de nos idées fixes nous offre une joie de type supra-mondain. La joie de lâcher prise est comme la délivrance d’un fardeau sur nos épaules, que nous avions besoin de tant de force pour porter. Soudain, en lâchant prise, ce poids s’est envolé. En un instant, nous nous sentons plus légers et libres. Quelle bénédiction !

Comme le dit Thầy, nous devons guérir de notre illusion de séparation. Nous devons transformer nos erreurs passées – tant individuelles que collectives – en revenant à notre mère commune, la Terre, pour comprendre de l’intérieur, à travers nos sensations corporelles, que nous sommes tous interconnectés et que mon bonheur n’est pas séparé du vôtre. Ce faisant, nous transformons lentement et doucement notre douleur et nos luttes individuelles et collectives en action. C’est la manifestation la plus magique d’une guérison globale transformatrice sur Terre.

Aller au-delà du “toi et moi”

Lorsque nous prenons refuge dans les Trois Joyaux – le Bouddha, le Dharma et la Sangha – nous ne prenons pas refuge dans des doctrines, des écritures ou un gourou, mais dans un mode de vie, une façon de vivre ensemble comme un seul corps. Nous cessons de nous considérer comme une cellule distincte du corps, avec des besoins et des exigences spécifiques. Nous faisons clairement l’expérience qu’être plutôt que faire est la contribution la plus importante que nous puissions apporter à la communauté. Nous allons au-delà de l’idée de “même et différent”, au-delà de la pensée dualiste du “toi et moi”. Nous libérons notre esprit de la pensée, de la comparaison, du jugement ou de la critique. 

Cette expérience de l’unité permet à chacun d’entre nous d’élargir les frontières insaisissables de notre “moi unique et séparé”, qui est à l’origine de la plupart des souffrances de nos pays modernes et industrialisés : compétition, désirs insatiables, désespoir, solitude, épuisement et indignité, qui ont tous conduit à l’exploitation et à la destruction continues de notre relation avec la Terre et les autres. La joie, l’amour et l’espoir qui naissent du sentiment d’être vraiment en vie et de vivre la réalité de la solidarité sont comme une flamme dans nos cœurs qui illumine nos journées et celles des personnes avec lesquelles nous vivons et travaillons. Nous devenons la lumière.

Où est la solution ?

Elle doit commencer par nous, l’espèce humaine ! Le problème et la solution ne sont pas à l’extérieur de nous, ils se trouvent tous deux à l’intérieur. Thầy fait prendre conscience de cette vérité avec le mantra “La sortie est à l’intérieur”.

Nous pensons souvent que les causes de notre colère, de notre jalousie, de notre peur, etc. viennent de l’extérieur, de conditions externes. Mais en regardant profondément dans notre esprit et nos émotions, nous nous apercevons que tout vient de l’intérieur.

Nous avons tous des graines d’amour, de compassion, de pardon, de paix, de courage et de sagesse stockées au plus profond de notre conscience ; elles n’attendent que les bonnes conditions pour se manifester. Parfois, il nous suffit de nous éloigner et de prendre du recul par rapport à notre routine, notre environnement ou notre zone de confort pour toucher ces graines et apprendre à pratiquer “l’arrosage sélectif” dans notre vie quotidienne. C’est exactement ce que nous faisons dans une communauté qui vit en pleine conscience : nous arrosons nos bonnes graines pour qu’elles puissent se développer et nous nous abstenons d’arroser les graines malsaines dans notre conscience. Nos conversations, ce que nous lisons et ce que nous regardons aux informations peuvent soit arroser des graines d’espoir et de joie, soit des graines de haine, de colère, de violence et de désespoir.

Lorsque nous sommes attentifs à ce qui se passe dans notre esprit, notre corps et nos émotions, nous pouvons reconnaître le chemin qui mène à la souffrance et celui qui mène au bonheur, et nous pouvons alors pratiquer “l’attention appropriée” pour prendre soin de notre santé mentale et physique.

Nous avons le choix et la possibilité de dire “stop” et de choisir de nourrir les belles graines et les qualités du cœur et de l’esprit.

Nous avons besoin de beaucoup plus de communautés comme le Village des Pruniers dans le monde, des communautés où nous pouvons cultiver l’inclusion, l’amour, la joie et la paix. Il n’est pas nécessaire que ces communautés soient “bouddhistes”, il suffit qu’elles appliquent la bonté et la sagesse à tous les aspects de la vie quotidienne. L’ouverture d’esprit, la curiosité envers nous-mêmes, envers les autres, envers la Terre nourricière et envers toutes les créatures exigent la capacité de se défaire de nos connaissances intellectuelles, de laisser tomber les notions et les concepts que nous avons peut-être emmagasinés en nous et qui façonnent notre perception de la réalité.

Si nous voulons un monde de beauté, de gentillesse et de solidarité pour la prochaine génération, nous devons tous cultiver ces graines en nous aujourd’hui. La gentillesse, la compassion, la compréhension, la beauté, l’amour, l’attention et la simplicité devraient être les critères des décisions politiques en faveur d’une planète saine et de tous les êtres qui la peuplent.

Conscience collective et individuelle

Une communauté qui vit en pleine conscience est un terrain propice à la compréhension, à la transformation et à la guérison, tant au niveau personnel qu’à une plus grande échelle. Lorsque chacun se réfugie à la fois en soi et dans le collectif, nos capacités de discernement et d’action sont renforcées.

Lorsque nous comprenons l’illusion de notre esprit et que nous cessons d’essayer d’éviter les sentiments désagréables en cherchant désespérément le bonheur à l’extérieur de nous-mêmes, nous posons les bases de la résilience et de la paix en nous et dans le monde.

Ce n’est pas toujours facile, mais avec l’énergie de la pleine conscience et de la concentration, soutenue par chaque membre de la communauté qui regarde profondément en lui-même pour mieux se comprendre et qui apporte au groupe son héritage ancestral et spirituel, nous construisons une communion magique, une réunion, un rassemblement de la famille humaine : une famille aimante.

L’amour généré par les joies et les larmes, l’amour enraciné dans la source profonde de la vie, nous fait considérer la vie comme un miracle – nous la chérissons et la respectons comme le don le plus précieux que nous ayons. Ce respect de la vie devrait être le fondement des décisions politiques nationales et internationales. La capacité des communautés religieuses et spirituelles à prendre part à ces décisions dépend d’un changement de conscience individuel et collectif, afin que nous puissions nous rassembler, parler ensemble et nous écouter les uns les autres ; c’est ainsi que nous pourrons construire le monde que nous voulons voir.

(1) Pour plus de commodité pour le lecteur, j’utiliserai notre communauté racine en France appelée ” Village des Pruniers ” comme sujet principal de cet article, en gardant à l’esprit que chacun de nos onze monastères pratique et vit de la même manière, en appliquant les mêmes principes.

(2) Exemples d’actions de Thầy dans les années 1950 qui ont soutenu l’unité et mis en valeur son art du leadership : 

– En 1954, Thầy, âgé de vingt-huit ans, a été nommé directeur des études de l’Institut Ấn Quang à Saigon. À l’époque, la pauvreté et la misère régnaient dans le pays : tout le monde cherchait désespérément de la nourriture, des vêtements et un abri, et l’attitude du “chacun pour soi” régnait. Thầy s’efforça de changer cette attitude : il fit abattre les murs des dortoirs afin que les moines vivent, étudient, travaillent, pratiquent et jouent ensemble, apprenant ainsi à prendre soin les uns des autres.

– 1956 : Thầy devient rédacteur en chef du magazine officiel de l’association bouddhiste à Saigon. Il réunit alors tous les différents groupes bouddhistes pour promouvoir la paix et réduire la souffrance. Mais il y a beaucoup d’opposition, surtout de la part des chefs religieux, qui craignent de perdre leur position et leur “pouvoir” s’ils se joignent à une entité plus grande.

Sœur Lực Nghiêm

Sœur Lực Nghiêm a été ordonnée en 2008 par Thích Nhất Hạnh au Village des Pruniers, en France, et a reçu la lampe du Dharma en 2016. Sœur Lực Nghiêm a proposé des retraites en Israël/Palestine et continue à organiser des opportunités pour les jeunes Palestiniens de venir au Village des Pruniers pour expérimenter la pratique de la pleine conscience dans un esprit d’amitié, de joie et de compassion. En 2016, Sœur Lực Nghiêm a lancé une Happy Farm dans le Hameau du Bas et s’est rapprochée des agriculteurs et épiceries biologiques locaux pour aider sa communauté à manger plus localement et de manière plus biologique. Elle cherche toujours à améliorer et à approfondir sa relation avec la Terre mère et à être en contact avec les souffrances du monde afin de trouver des réponses en elle-même et au sein de sa communauté. Sœur Lực Nghiêm est la cofondatrice et l’un des principaux membres des Gardiens de la Terre (la communauté francophone du Earth Holder Community). Elle aspire fortement à suivre le chemin de la spiritualité, en explorant l’art de fusionner la contemplation et l’action, et en se donnant de l’espace pour entendre et explorer sa musicalité et son amour pour les montagnes.


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What is Mindfulness

Thich Nhat Hanh January 15, 2020

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