Le 8 octobre dernier, Kaira Jewel Lingo (Enseignante du Dharma dans la tradition du Village des Pruniers) a offert un partage avec Phap Luu (Frère Courant du Dharma) au Monastère de Deer Park, sur le thème de la pratique de la pleine conscience en période de division. Ceci s’intègre à une série en ligne mensuelle consacrée au Bouddhisme engagé. (Le lien YouTube est en anglais mais, en sélectionnant les options ‘auto translate’, vous pouvez accéder aux sous-titres automatiques de la langue de votre choix).
Conscience d’une crise multiple
Kaira Jewel Lingo: Pour moi, les élections récentes (notre préoccupation actuelle) sont aussi une métaphore de la catastrophe climatique et de tous les événements météorologiques extrêmes auxquels nous sommes confrontés. Tous ces faits nécessitent la même attention. Nous entrons tout juste dans une époque où les choses sont déstabilisées. Quel que soit le vainqueur des élections, cette question restera au centre de nos préoccupations. Il y aura de plus en plus de réfugiés climatiques, de plus en plus de personnes dont la vie sera bouleversée par le manque d’eau, la chaleur extrême, tant les incendies que les inondations, et je pense que ce qui prime avant toute chose, la clé à la survie à travers cette période de turbulences, c’est de parvenir à se relier à d’autres personnes.
Incarner la compréhension profonde de l’inter-être dans les choix que nous posons
C’est l’une des raisons pour lesquelles nous souhaitons vivre dans ce centre afin d’avoir un moyen de nous ancrer au quotidien. Il s’agit bien de l’objectif de nos vies, être profondément ancrés dans la pratique spirituelle, et lorsque nous sommes connectés à la terre, nous cultivons de la nourriture, nous mettons d’autres personnes en connexion avec la Terre. Nous bâtissons une communauté où nous prenons soin les uns des autres. Nous sommes occupés à semer un avenir viable, une manière simple, très intentionnelle et écologique d’être avec la Terre, en termes de bâtiment et d’architecture. Nous cherchons par exemple à utiliser l’énergie solaire et le moins d’énergie possible en termes de construction. Nous voulons vivre en intégrité avec ce que nous savons être notre interconnexion avec le monde et offrir aux personnes qui viennent pratiquer la possibilité d’y toucher.
Une des choses que nous pouvons également considérer comme une pratique à notre époque est de vivre plus simplement nous-mêmes. Comment pouvons-nous vraiment mettre en pratique dès maintenant tout ce qui va aider l’humanité entière, l’ensemble de notre planète, à faire en sorte que cela fonctionne ? Cela veut dire qu’il faut consommer moins. Je sais que ce n’est pas toujours facile, mais quand on vit en communauté, ou à la campagne, il est possible de vivre plus simplement. Je ne dis pas que tout le monde doit s’installer à la campagne, mais la question est de savoir ce que chacun d’entre nous peut faire pour y parvenir dans sa vie quotidienne.
Je pense que tout cela est en grande partie lié à notre façon de consommer. Nous (les États-Unis) sommes le pays le plus gourmand de la planète en termes d’utilisation des ressources de la planète. Nous sommes à l’origine d’une pollution dont souffrent réellement d’autres personnes dans d’autres régions du monde, alors qu’ils n’en sont pas responsables. Outre bâtir une communauté, nous devons également nous questionner sur la façon dont nous prenons nos décisions en accord avec le style de vie auquel nous croyons, car c’est notre façon de vivre qui nous permettra de soutenir ce changement. De nombreuses personnes le font, par exemple en installant des panneaux solaires, en conduisant des voitures moins polluantes, en mangeant plus bas dans la chaîne alimentaire. Tout cela fait une énorme différence. Il est vraiment important de se rassembler avec d’autres afin de renforcer ces choix.
Guérir les causes profondes de la surconsommation et de la division
Frère Courant : Je reviens souvent à ce que vous avez dit sur le fait que nous sommes le pays le plus avide de la planète. Ayant grandi en Amérique, je vois deux types de traumatismes pour lesquels nous n’avons pas vraiment consacré notre énergie à guérir : l’esclavage des peuples africains et l’éradication des peuples autochtones sur cette terre. Parce que nous n’avons pas guéri ou réconcilié ces traumatismes, cela se manifeste dans la polarisation dans laquelle nous nous trouvons. Toutes ces choses en sont les conséquences. La guérison n’advient pas rapidement. La destruction peut se produire très rapidement, mais la guérison prend beaucoup de temps. Cela nécessite un effort concerté. Sur le moment, il est plus facile de simplement manger, de consommer, car la guérison prend beaucoup de temps. Comment pouvons-nous développer la patience afin que, en tant que corps collectif, et en commençant par nous-mêmes, nous parvenions à induire ce processus de guérison ?
Je pense aux cérémonies que j’ai pu vivre en 2007 au Vietnam et au type de cérémonies que nous pouvons organiser. Comment pouvons-nous induire cette guérison ? Tout simplement parce que, toutes et tous, nous aimons cette terre. Celles et ceux d’entre nous dont les ancêtres ont colonisé cette terre, ceux d’entre nous qui ont des ancêtres autochtones, ceux d’entre nous qui ont les deux, ceux d’entre nous qui ont été amenés à travailler pour construire ce pays, comment pouvons-nous guérir ? C’est une grande question.
Kaira Jewel Lingo : C’est une question extrêmement importante. Il s’est passé beaucoup de choses pour moi lors de ces cérémonies de guérison au Vietnam : elles m’ont ramenée précisément à l’esclavage, au génocide des peuples autochtones, aux chasses aux sorcières des femmes aux États-Unis. Pour les personnes qui n’étaient pas présentes ou n’étaient pas informées, nous pouvons préciser que Thây a organisé trois grandes cérémonies commémoratives, de trois jours chacune. Une à Hanoi, une autre à Saigon et la troisième à Hoi Ann City. Quelque 10 000 personnes ont participé à chacune de ces cérémonies. C’était la première fois que les Vietnamiens avaient l’occasion de pleurer leurs morts perdus pendant la guerre. Ils ont pu exprimer le nom des personnes qu’ils avaient perdues, le lieu de leur mort et la manière dont elles étaient mortes. C’était la première reconnaissance publique et l’occasion d’exprimer réellement le chagrin. Un maître tantrique organisait ces cérémonies avec Thây et ses élèves chantaient. Nous nous sommes joints aux chants. Nous sommes simplement entrés dans la salle du Bouddha et avons chanté toute la nuit. Nous étions là, ils chantaient, et nous pratiquions pour envoyer de l’énergie, en maintenant cet espace.
Un grand nombre de choses très profondes se sont produites et elles sont en quelque sorte inexplicables, comme des choses surnaturelles où il était clair que les esprits ou les énergies de ces personnes étaient, eh bien, quelque chose se passait pour nous tous. L’une des choses que Thây disait aux personnes qui suivaient les cérémonies depuis chez elles était que tout le monde devait pratiquer les cinq entraînements à la pleine conscience, au minimum durant ces trois jours. Thây invitait ainsi à parler avec amour aux membres de notre famille, à vivre de manière saine pendant ces trois jours pour rendre possible cette guérison du collectif. Je pense que c’est une autre chose que nous pouvons tirer de cette expérience en cette période électorale, et en toute période de conflit et de difficulté : réfléchir vraiment à la manière dont nous pouvons nous purifier. Mangeons d’une manière qui purifie, parlons d’une manière qui purifie, agissons avec notre corps, notre parole et nos pensées d’une manière qui soit purificatrice afin que nous puissions être aussi préparés et prêts que possible à servir et à être des canaux pour que s’y manifeste la guérison.
Je me souviens, lors de ces séances de chants, avoir ressenti un sentiment très profond de connexion avec les ancêtres des Amériques et avoir vraiment compris à quel point ce que nous faisions là-bas (lors de ces cérémonies pour aborder les souffrances de la guerre) semblait très en lien avec moi. Toutes les souffrances de l’esclavage, du génocide des autochtones, des chasses aux sorcières ; j’ai fait cette prise de conscience que tout cela peut être guéri ici aussi. Il y avait tellement d’énergie spirituelle qui se rassemblait que cela évoquait en moi ce que je porte, ce que nous portons toutes et tous ; ce traumatisme de notre histoire commune. Je me suis retrouvée à prier pour toutes les victimes de ces holocaustes. Cela m’a fait réfléchir : comment pouvons-nous organiser ces cérémonies de guérison de masse aux États-Unis ?
Je sais qu’un groupe de bouddhistes japonais a organisé des pélerinages vers tous les sites de la côte où étaient acheminés les bateaux d’esclaves et où se trouvaient les marchés d’esclaves ; parfois ces pélerinages allaient aussi vers des arbres où avaient eu lieu des lynchages. Il y a aussi des rituels qu’ils pratiquent. Il y a des prières, il y a le magnifique musée de Montgomery qui rend hommage à ceux qui ont été lynchés à travers le pays. Plus de 3 600 lynchages. Il existe un monument portant le nom de chacune de ces personnes et les dates auxquelles elles ont été lynchées. Je pense donc qu’il est possible de ‘masser’ ces nœuds dans la conscience collective par le biais de cérémonies et j’ai souvent pensé qu’il serait agréable de réfléchir à la manière de mettre en place ce type de cérémonie ici.
Ressources
- Les Cinq Entraînements à la Pleine Conscience
- Je suis chez, je suis arrivé(e): Cérémonies de Guérison au Vietnam
- Le site internet de Kaira Jewel Lingo