La retraite en ligne “Action du Cœur” s’est déroulée en février dernier, à l’initiative du Village des Pruniers et à l’intention des activistes. Andrew Rock a participé à la retraite et nous en partage les points forts et ses impressions, issues du journal de bord qu’il a rédigé au cours de ces cinq journées.
Jour 1
Le premier jour, l’Enseignement du Dharma a été offert par Frère Phap Lai. En guise d’introduction, il nous interroge : “Qu’est-ce qu’une action qui vient du cœur?” et “Qu’est-ce que l’Action Juste?”. Quand on voit où nous mène l’extraction, l’exploitation et la consommation de la société industrielle, il est particulièrement difficile d’aller à contre-courant, contre les intérêts particuliers de certains et l’apathie des autres. Nous pouvons aller à contre-courant en faisant face à notre souffrance avec compassion, en revenant sur l’île de notre véritable soi et en souriant au moment présent. Notre joie et notre douleur ne sont pas séparées – nous les embrassons toutes les deux. Phap Lai nous exhorte à “ne pas être en colère contre notre colère, ni avoir peur de notre peur, ou nous désespérer de notre désespoir”. Il nous invite à ne pas abandonner notre solitude, ne pas la laisser “seule avec elle-même”. Notre souffrance nous offre l’occasion de faire preuve de perspicacité et de compassion. Frère Phap Lai nous rappelle le potentiel de bien-être qui est nous, et nous fait faire un rapide tour du Noble Sentier Octuple, en commençant par la Vue Juste, la vision de l’inter-être. En tant que militants, ce n’est pas en laissant éclater notre colère que nous réveillerons les gens, mais plutôt en cherchant à les aider à comprendre ce qui se passe et, avant toute chose, à prendre conscience que toutes les personnes, les animaux, les plantes, les minéraux et la planète sont interconnectés, qu’ils ne font qu’un.
Jour 2
C’est Kaira Jewel Lingo qui nous proposa la méditation guidée du matin, suivie par la lecture d’une des “Lettres d’ Amour à la Terre Mère.” de Thây. C’est alors que je prends conscience que je ne les ai jamais lues et je prends l’engagement d’y remédier à très brève échéance !
Il y a des ateliers dans l’après-midi. Je suis panéliste dans l’atelier Earth Holder (Gardiens de la Terre) proposé par notre famille “Regional Community Builders”. Nous sommes neuf, originaires d’Angleterre, d’Irlande, du Pérou et du Midwest américain, ainsi que des côtes est et ouest, en plus de l’Enseignant du Dharma John Bell, de la coordinatrice de Earth Holder Simona Coayla-Duba et de Sara Henry, membre du Care Taking Council (Comité qui prend soin de la Sangha). Les questions que nous abordons sont les suivantes : Qu’est-ce qu’une pratique de Gardien de la Terre ? Comment la communauté des gardiens de la terre a-t-elle vu le jour et s’est-elle développée au sein de la communauté du Village des Pruniers ? Pourquoi la justice environnementale et l’équité raciale sont-elles si importantes pour la préservation de la Terre ? Comment peut-on créer un groupe local de Gardiens de la Terre ? Quels sont certains des obstacles possibles, et quelle est l’importance de la communauté ? Nous prenons également l’occasion de partager quelques exemples de notre pratique en action au sein du mouvement “Gardiens de la Terre”. C’est dans ce cadre que Alex Nunn nous relate l’histoire fascinante de sa participation à l’occupation du centre de Londres durant cinq journées, lors de l’action menée par le mouvement ‘Extinction Rebellion’ en 2019. Il agissait alors en tant que gardien du bien-être, apportant une énergie de paix et de calme, même lorsque la police se déplaçait pour vider les rues par la force et procéder à l’arrestation des activistes.
Ce soir-là (en France, il s’agissait de l’après-midi), Larry Ward nous offre un Enseignement particulièrement puissant sur le thème du changement que nous connaissons actuellement et qui, selon lui, est aussi profond que celui que peut connaître un organisme unicellulaire se transformant en un organisme pluricellulaire. Au beau milieu de l’effondrement actuel, c’est l’occasion de briser les formations mentales de l’avidité, de la haine et de l’ignorance et d’accéder à la réalité de l’inter-être. Il est essentiel que nos changements soient ancrés dans la pratique spirituelle, dans la transformation de la conscience. Dans le cas contraire, nous ne ferions que reproduire ce que nous connaissons actuellement. Les doutes que nous ressentons actuellement sont une invitation à regarder plus profondément.
“La pratique de la pleine conscience ne consiste pas simplement à s’asseoir“, nous dit-il. Nous pratiquons le calme afin de descendre plus profondément, en commençant par le corps, afin qu’à travers le corps nous puissions reconnaître notre expérience humaine et pratiquer avec elle. La méditation est la pratique qui consiste à toucher profondément notre connexion à tout ce qui est, afin de nous rendre à même de mener une vie planétaire. La pleine conscience nous enseigne les aptitudes à la résilience, qui se manifestent dans la qualité de notre présence. Se réveiller ne signifie pas fuir vers un endroit meilleur, mais s’éveiller à ce lieu-ci et à tout ce qu’il contient, de sorte que “la terre entière devienne mon monastère”.
Jour 3
Le troisième jour, nous assistons à une interview en direct de Sœur Chan Khong ; elle vit aux côtés de Thay au monastère du Vietnam où il réside actuellement, là où il devint moine à l’âge de seize ans. L’entretien est mené par le journaliste et pratiquant Jo Confino, du Village des Pruniers. Sœur Chan Khong évoque sa vie, entièrement consacrée à l’action en pleine conscience sous la direction spirituelle de Thay. C’est au Viêt Nam, en pleine guerre, qu’elle a entrepris cette action, qui s’est poursuivie sans relâche depuis lors, comme elle le décrit dans son livre inspirant, “La force de l’amour”.
Le soir, nous avons assisté à un témoignage à propos de l’éthique mondiale durant lequel cinq pratiquants laïcs nous ont fait part de leur pratique concernant l’un des cinq entraînements à la pleine conscience, témoignant aussi de ce que cet entraînement signifie dans leur vie. Librement et avec intensité, ils décrivent comment ils ont rencontré leur souffrance sur le chemin et la façon dont ils ont cherché, et souvent rencontré, la transformation et la guérison grâce à leur pratique de la pleine conscience à travers les cinq entraînements.
Jour 4
Nous entamons la journée avec une cérémonie : Un nouveau départ avec la Terre Mère, dirigée par notre Sœur aînée, Sœur Chan Duc. Elle récite le magnifique Gatha d’ouverture d’une voix douce et légère, bien que claire et forte :
Celui qui s’incline et celui devant lequel il s’incline
Ont tous deux la nature du vide
La communication entre eux est donc sublime et parfaite.
Le lieu de notre Éveil est la toile d’Indra
Reflétant tous les bouddhas dans l’univers
Et avec ma personne devant chaque bouddha,
Je prends refuge durant toute ma vie.
Tout est dit, n’est-ce pas ?
Plus tard dans la journée, notre famille de partage du Dharma se retrouve une nouvelle fois en ligne, sous la guidance de Frère Phap Huy, Frère Radiance.
Bien que notre famille de partage (la famille Ginkgo), soit majoritairement composée de Nord-Américains de l’Est, deux retraitantes se joignent à nous, un peu plus tard. Elles viennent de la région du lac Victoria, en Ouganda, et débarquent de façon inattendue sur notre rivage virtuel après s’être perdues dans les méandres de l’Internet à la recherche d’une connexion. Aujourd’hui, la plupart de nos échanges portent sur le premier Entraînement à la Pleine Conscience, le “respect de la vie”. Gillian, une agricultrice biologique du Vermont, est troublée lorsqu’elle récolte un plateau de germes de sarrasin, mettant fin à leur jeune vie. Nous nous inclinons devant sa gentillesse et sa sensibilité, et nous évoquons l’importance de la gratitude et de la pleine conscience lorsque nous prélevons la vie pour notre propre nourriture. Nous abordons également les enseignements qu’offre Thây quant à l’inter-être, selon lesquels la vie et la mort sont constituées l’une de l’autre et ne sont pas séparées.
Aujourd’hui, nous assistons à un panel d’invités spéciaux : Christiana Figueres et Gail Bradbrook, facilité par Frère Phap Linh. Christiana a présidé et facilité la réunion de la COP 21 des Nations Unies qui a abouti aux accords de Paris sur le climat.
Gail Bradbrook est une scientifique, cofondatrice d’Extinction Rebellion. Phap Linh qualifie Gail et Christiana de “prophètes de l’ère à venir“, une ère dans laquelle nous ne serons plus gouvernés par la raison pure, coupés de notre corps et de nos émotions. “Vous êtes toutes deux des scientifiques, dit-il, mais vous ne craignez pas de faire intervenir l’émotion.”
Christiana sent qu’un changement de paradigme est en train de se produire, en faveur des valeurs plus traditionnellement féminines que sont le leadership collectif, la compassion et la réflexion à long terme. Elle est encouragée par la montée en puissance de si nombreuses jeunes femmes à des postes de responsabilité, dont beaucoup sont encore adolescentes. “Nous avons besoin de 100% de notre potentiel et de nos capacités autour de la table ; jusqu’à présent, nous n’en avons utilisé que 50%.”
Phap Linh soulève la question de la joie. “Vous élevez et inspirez les autres. Sachant ce que vous savez, (à savoir que nous sommes encore bien loin de déployer tous les efforts nécessaires pour atteindre les objectifs climatiques de Paris visant à maîtriser le réchauffement de la planète, et le nombre d’espèces qui ont déjà disparu), comment faites-vous pour garder vivante cette joie en vous” ?
“C’est la joie qui est le fondement de tout“, dit Gail, “pas l’espoir“. Elle fait appel à la cérémonie pour célébrer la vie, elle se donne la permission de profiter de la vie. La joie “vient d’un lieu d’innocence et d’humilité. C’est offrir un service“, souligne-t-elle au sujet de son travail.
Jour 5
Tandis que, dans la grande salle de méditation du Hameau du Haut du Village des Pruniers, se déroule la Cérémonie de Transmission des Cinq Entraînements à la Pleine Conscience, mon cœur se réchauffe et je souris. C’est là que Nancy et moi étions allés un dimanche matin, il y a des années, alors que Thây était encore pleinement actif, bien avant son accident vasculaire. Après le déjeuner ce jour-là, Thây avait apporté une pomme dans la salle de méditation, l’avait coupée en plusieurs tranches et l’avait partagée avec nous tous.
Aujourd’hui, treize pratiquants reçoivent la transmission des entraînements en présentiel dans la salle de méditation, et une centaine d’autres la reçoivent en ligne. L’assemblée compte approximativement 150 monastiques et laïcs dans la salle du Village des Pruniers, et 450 autres retraitants en ligne. C’est une belle matinée ensoleillée au Village des Pruniers, et la salle de méditation est baignée de lumière. Elle est véritablement illuminée par le bois blond des murs et du plafond, les robes dorées et brunes des moines et moniales assis en rangs par ordre d’ordination, et nourrie du bonheur de tous. Les chants bien connus, offerts par tant de voix entraînées et en harmonie, constituent une véritable source de joie. Une fois encore, il me revient à l’esprit que “la communication entre nous est sublime et parfaite” et que “notre centre de pratique est la toile d’Indra“.
Oui, le véritable bonheur n’est pas seulement possible, il est disponible ici et maintenant, à chaque instant, offert si librement par les miracles de la vie et de la pleine conscience, par la gloire brillante de cette planète encore si belle, et par l’amour que nous portons tous en nos cœurs.
Bien que nous ne soyons pas dans les mêmes fuseaux horaires et provenions de continents distincts, et même si notre rencontre s’est faite via des liaisons zoom différentes, tout a été tissé en une seule et même toile d’harmonie et d’inspiration. Elle a été remplie de musique et de chants, de méditations guidées et de Partages du Dharma, d’échanges profonds et d’écoute tout aussi profonde. Ces moments ont permis de célébrer et de construire une véritable communauté. Cette immense toile n’a en rien été affectée par l’énormité des défis auxquels nous sommes confrontés, ni par les pertes subies, ni par le chagrin, la colère, le désespoir et la détresse que nous ressentons souvent. En revanche, la situation nous a montré un chemin à suivre ensemble, un chemin fait de pleine conscience et de joie, de compréhension et de compassion, de pratique et d’action. L’action du cœur.
Je m’incline en signe de gratitude.
En 2011, Andrew Rock a reçu la transmission des quatorze entraînements à la pleine conscience auprès de Thây, au monastère de Blue Cliff. Il a reçu le nom de ‘True Collective Healing’ (‘Vraie Guérison Collective’), qui reflète magnifiquement son aspiration la plus profonde. Andrew est un bâtisseur de sangha régional au sein de la communauté Plum Village Earth Holder (Gardiens de la Terre du Village des Pruniers), et est également inscrit à la formation pour les bouddhistes engagés socialement, que propose le Centre Zen Upaya. Avec son épouse Nancy Natilson (Truly Living Together : Vraie Vie partagée), il vit à Tampa, en Floride, et en Nouvelle-Écosse, au Canada. Tous deux sont membres de longue date de la Communauté de Pleine Conscience de Floride.
- Pour découvrir les prochaines retraites en ligne proposées par le Village des Pruniers, rendez-vous sur le site en suivant ce lien
Participer à la conversation