Enseignement de Thich Nhat Hanh, publié en anglais dans la revue ‘Tricycle’

« Si nous ne sommes pas vraiment présent.e, nous ne sommes pas vraiment en vie », extrait d’enseignement offert par Thich Nhat Hanh l’hiver 2012
Notre plus grande crainte est qu’à notre mort, nous devenions ‘rien’. Beaucoup d’entre nous croient que toute notre existence est limitée à une période particulière, notre ‘durée de vie’. Nous croyons que cela commence à notre naissance – quand, de rien, nous devenons quelque chose – et que cela se termine lorsque nous mourons et retournons à ‘rien’. Nous sommes donc emplis de cette peur d’anéantissement.
Mais si nous regardons en profondeur, nous pouvons avoir une compréhension très différente de notre existence. Nous voyons que la naissance et la mort ne sont que des notions ; elles ne sont pas réelles. Le Bouddha a enseigné qu’il n’y a ni naissance ni mort. Notre croyance que ces idées sur la naissance et la mort sont réelles crée une puissante illusion qui nous cause beaucoup de souffrance. Lorsque nous comprenons que nous ne pouvons pas être détruits, nous sommes libérés de la peur. C’est un immense soulagement. Nous pouvons profiter de la vie et l’apprécier d’une manière nouvelle.
Quand j’ai perdu ma mère, j’ai beaucoup souffert. Le jour de sa mort, j’ai écrit dans mon journal : « Le plus grand malheur de ma vie est arrivé. » J’ai pleuré sa mort pendant plus d’un an. Puis, une nuit, alors que je dormais dans mon ermitage, une cabane située derrière un temple, à mi-hauteur d’une colline couverte de théiers dans les hauts plateaux du Vietnam, j’ai rêvé de ma mère. Je me suis vu assis avec elle partageant une merveilleuse conversation. Elle semblait jeune et belle, ses cheveux tombant sur ses épaules. C’était vraiment agréable d’être assis et de lui parler comme si jamais elle n’était morte.
Quand je me suis réveillé, j’ai eu la très forte sensation de n’avoir jamais perdu ma maman. J’avais un sentiment très évident que ma mère était toujours avec moi. J’ai alors compris que l’idée d’avoir perdu ma mère n’était que ça : une idée. Il était tout à fait clair à ce moment-là que ma maman était toujours vivante en moi et qu’elle le serait toujours.
J’ai ouvert la porte et je suis sorti. Tout le flanc de la colline était baigné du clair de lune. En marchant lentement dans cette douce lumière à travers les rangées de théiers, j’ai constaté que ma mère était bel et bien toujours avec moi. Ma maman était la lumière de la lune qui me caressait comme elle l’avait si souvent fait, très doucement, très tendrement. Chaque fois que mes pieds touchaient la terre, je savais que ma mère était là avec moi. Je savais que ce corps n’était pas seulement le mien mais une continuation vivante de ma mère et de mon père, de mes grands-parents et arrière-grands-parents et de tous mes ancêtres. Ces pieds que je voyais comme ‘mes’ pieds étaient en fait ‘nos’ pieds. Ensemble, ma mère et moi laissions des empreintes dans le sol humide.
Dès ce moment, l’idée d’avoir perdu ma maman n’avait plus lieu d’être. Il me suffisait de regarder la paume de ma main, de sentir la brise sur mon visage ou la terre sous mes pieds pour me rappeler que ma mère est toujours avec moi, accessible à tout moment.
Lorsque vous perdez un être cher, vous souffrez. Mais si vous savez regarder en profondeur, vous avez une chance de réaliser que sa nature est véritablement celle de la non-naissance, de la non-mort. Il y a la manifestation, et il y a la cessation de la manifestation pour avoir une autre manifestation. Il faut être attentif pour reconnaître les nouvelles manifestations d’une personne. Mais avec de la pratique et des efforts, vous pouvez y arriver. Soyez attentif au monde qui vous entoure, aux feuilles et aux fleurs, aux oiseaux et à la pluie. Si vous parvenez à vous arrêter et à regarder en profondeur, vous reconnaîtrez votre bien-aimé se manifestant encore et encore sous de nombreuses formes. Vous libérerez votre peur et votre douleur et retrouverez la joie de vivre.
Le présent est libre de la peur
Quand nous ne sommes pas pleinement présents, nous ne vivons pas vraiment. Nous ne sommes pas vraiment là, ni pour nos proches, ni pour nous-mêmes. Si nous ne sommes pas là, où sommes-nous ? Nous courons, courons, courons, même pendant notre sommeil. Nous courons parce que nous essayons d’échapper à notre peur.
Nous ne pouvons pas profiter de la vie si nous consacrons notre temps et notre énergie à nous soucier de ce qui s’est passé hier et de ce qui se passera demain. Si nous avons peur tout le temps, nous passons à côté du fait merveilleux que nous sommes en vie et que nous pouvons être heureux en ce moment. Dans la vie de tous les jours, nous avons tendance à croire que le bonheur n’est possible que dans le futur. Nous recherchons toujours les ‘bonnes’ conditions qui ne sont pas encore réunies pour nous rendre heureux. Nous ignorons ce qui se passe sous nos yeux. Nous recherchons quelque chose qui nous permettra de nous sentir plus solides, plus sûrs, plus sécurisés. Mais nous avons constamment peur de ce que l’avenir nous réserve – peur de perdre notre emploi, nos biens, les gens que nous aimons autour de nous. Alors nous attendons et espérons ce moment magique – toujours dans le futur – où tout sera comme nous le souhaitons. Nous oublions que la vie n’est disponible que dans le moment présent. Le Bouddha a dit : « Il est possible de vivre heureux dans le moment présent. C’est le seul moment dont nous disposons.

Crédit photo: Todd R. Forsgren, Moucherolle à bec bateau (Megarynchus Pitangua), 2012
Ici et Maintenant
Je suis chez moi, je suis arrivé.e
Il n’y a qu’ici et maintenant
Bien solide, vraiment libre
Dans la terre pure, je m’établis
Lorsque nous revenons à l’ici et au maintenant, nous reconnaissons les nombreuses conditions de bonheur qui existent déjà. La pratique de la pleine conscience consiste à revenir à l’ici et au maintenant pour être profondément en contact avec nous-mêmes et avec la vie. Nous devons nous entraîner à le faire. Même si nous avons une grande intelligence et que nous saisissons tout de suite le principe, nous devons nous entraîner à vivre réellement de cette manière. Il nous faut nous entraîner à reconnaître les nombreuses conditions de bonheur qui existent déjà.
Le poème ci-dessus peut être récité en inspirant et en expirant. Vous pouvez mettre en pratique ce poème lorsque vous vous rendez à votre bureau en voiture. Peut-être n’êtes-vous pas encore arrivé.e à votre bureau mais, même en conduisant, vous êtes déjà arrivé.e à votre véritable maison, l’instant présent. En arrivant au bureau, vous êtes également dans votre véritable maison. Au bureau, vous êtes également dans l’ici et le maintenant. Le simple fait de répéter le premier vers du poème, « Je suis arrivé.e, je suis chez moi », peut vous procurer un grand bonheur. Peu importe que vous soyez en position assise, en train de marcher, d’arroser le potager ou de nourrir votre enfant, il est toujours possible de pratiquer la phrase « Je suis arrivé.e, je suis chez moi. J’ai couru toute ma vie ; je ne vais plus courir ; je suis maintenant déterminé.e à m’arrêter et à vivre vraiment ma vie. »
Lorsque nous pratiquons l’inspiration et que nous disons « Je suis arrivé.e », et que nous arrivons vraiment, c’est une réussite. Être en pleine présence, 100% en vie, c’est une véritable réussite. Le moment présent est devenu notre véritable maison. Lorsque nous expirons et disons « Je suis chez moi » et que nous nous sentons vraiment chez nous, nous n’avons plus à avoir peur. Nous n’avons plus besoin de fuir.
Nous répétons ce mantra, « Je suis arrivé.e, je suis chez moi », jusqu’à ce que cela nous semble réel. Nous répétons l’inspiration, l’expiration et les étapes jusqu’à ce qu’à nous sentir fermement ancré.e.s dans l’ici et le maintenant. Les mots ne doivent pas être un obstacle – ils ne font que faciliter la concentration et le maintien de la vision profonde. C’est la vision profonde qui nous permet de rester chez nous, et pas les mots.
Les deux dimensions de la réalité
Si nous parvenons à être chez nous, à habiter vraiment l’ici et le maintenant, nous avons déjà la solidité et la liberté qui constituent le fondement de notre bonheur. Il est alors possible de voir les deux dimensions de la réalité, l’historique et l’ultime.
Pour représenter les deux dimensions de la réalité, nous utilisons les images de la vague et de l’eau. Si l’on considère la dimension de la vague, la dimension historique, nous constatons que la vague semble avoir un début et une fin. Comparée à d’autres vagues, la vague peut être haute ou basse. La vague peut être plus ou moins belle que les autres. La vague peut être là ou pas là ; elle peut être là maintenant et absente plus tard. Toutes ces notions sont présentes lorsque nous abordons la dimension historique : la naissance et la mort, l’être et le non-être, le haut et le bas, le va-et-vient, etc. Mais nous savons que lorsque nous touchons la vague plus profondément, nous touchons l’eau. L’eau est l’autre dimension de la vague. Elle représente la dimension ultime.
Dans la dimension historique, nous parlons en termes de vie, de mort, d’être, de non-être, de haut, de bas, d’aller et de venir, mais dans la dimension ultime, toutes ces notions sont levées. Si la vague est capable de toucher l’eau en elle-même, si la vague peut vivre la vie de l’eau en même temps, alors elle n’aura pas peur de toutes ces notions : début et fin, naissance et mort, être ou non-être ; la non-peur lui apportera la solidité et la joie. Sa véritable nature est celle de la non-naissance et de la non-mort, du non-début et de la non-fin. C’est la nature de l’eau.
Chacune et chacun d’entre nous est semblable à cette vague. Nous avons notre dimension historique. Nous parlons en termes de début d’existence à un certain moment et de fin d’existence à un autre moment. Nous croyons que nous existons maintenant et que nous n’existions pas avant notre naissance. Ces idées nous enferment, et c’est pourquoi nous avons peur, nous sommes pris par la jalousie, par l’envie, nous avons en nous tous ces conflits et toutes ces afflictions. Or, si nous sommes capables d’arriver, d’être plus solides et plus libres, il nous sera possible de toucher notre véritable nature, la dimension ultime de nous-mêmes. En touchant cette dimension ultime, nous nous libérons de toutes ces notions qui nous ont fait souffrir.
Lorsque la peur perd un peu de son pouvoir, nous pouvons examiner en profondeur son origine dans la perspective de la dimension ultime. Dans la dimension historique, nous voyons la naissance, la mort et la vieillesse, mais dans la dimension ultime, la naissance et la mort ne sont pas la véritable nature des choses. La véritable nature des choses est libre de la naissance et de la mort. La première étape consiste à pratiquer dans la dimension historique, et la deuxième étape réside dans la pratique de la dimension ultime. La première étape consiste à accepter que la naissance et la mort existent, tandis que la seconde, parce que nous sommes en contact avec la dimension ultime, nous permet de réaliser que la naissance et la mort proviennent de notre propre esprit conceptuel et non d’une quelconque véritable réalité. En étant en contact avec la dimension ultime, nous sommes en mesure d’être en contact avec la réalité de toute chose, qui ne connaît ni naissance ni mort.
La pratique de la dimension historique est très importante pour parvenir à pratiquer dans la dimension ultime. Pratiquer dans la dimension ultime signifie être en contact avec notre nature de non-naissance et de non-mort, comme une vague est en contact avec sa véritable nature d’eau. Nous pouvons poser la question métaphorique suivante : « D’où vient la vague et où va-t-elle aller ? ». Et nous pouvons répondre de la même manière : « La vague provient de l’eau et retournera à l’eau. » En réalité, rien ne vient et rien ne part. La vague est toujours de l’eau, elle ne ‘vient’ pas de l’eau et elle ne ‘va’ nulle part. Elle est toujours de l’eau ; aller et venir ne sont que des constructions mentales. La vague n’a jamais quitté l’eau ; dire que la vague « vient » de l’eau n’est donc pas vraiment correct. Comme elle est toujours eau, on ne peut pas dire qu’elle « retourne » à l’eau. Au moment même où la vague est une vague, elle est déjà eau. Naissance et mort, aller et venir ne sont que des concepts. Lorsque nous sommes en contact avec notre nature de non-naissance et de non-mort, nous n’avons pas peur.

Sans venir, sans partir
Pour beaucoup d’entre nous, les notions de naissance et de mort, ‘venir et partir’, sont la cause de nos plus grandes souffrances. Nous pensons que la personne que nous aimons est venue à nous de quelque part et qu’elle est maintenant partie ailleurs. Mais notre véritable nature est faite de ni venue ni départ. Nous ne venons de nulle part et nous n’irons nulle part. Lorsque les conditions sont suffisantes, nous nous manifestons d’une certaine manière. Lorsque les conditions ne sont plus suffisantes, nous cessons de nous manifester de cette manière. Cela ne veut pas dire que nous n’existons pas. Si nous avons peur de la mort, c’est parce que nous ne comprenons pas que les choses ne meurent pas vraiment.
On pense souvent que l’on peut éliminer ce que l’on ne veut pas : on peut brûler un village, on peut tuer une personne. Mais détruire une personne ne la réduit pas à néant. Ils ont tué le Mahatma Gandhi. Ils ont tué Martin Luther King, Jr. Mais ces personnes demeurent présentes parmi nous aujourd’hui. Elles continuent d’exister sous de nombreuses formes. Leur esprit perdure. C’est pourquoi, lorsque nous regardons profondément en nous-mêmes, dans notre corps, nos sensations et nos perceptions, lorsque nous regardons les montagnes, les rivières ou une autre personne, nous devons être capables de voir et toucher la nature de non-naissance et de non-mort. C’est l’une des pratiques les plus importantes de la tradition bouddhiste.
Trouver des bases solides
Dans notre vie quotidienne, notre peur nous amène à nous perdre. Notre corps est là, mais notre esprit est éparpillé. Parfois, nous nous plongeons dans un livre, et le livre nous emporte loin de notre corps et de la réalité où nous nous trouvons. Puis, dès que nous sortons la tête du livre, nous nous laissons à nouveau emporter par les soucis et les peurs. Il est rare que nous revenions à notre paix intérieure, à notre clarté, à la nature de bouddha qui est en chacun de nous, afin d’être en contact avec notre mère la Terre.
De nombreuses personnes oublient leur propre corps, vivant dans un monde imaginaire. Ces personnes ont tant de projets et de peurs, tant d’agitations et de rêves, qu’elles ne vivent pas dans leur corps. Lorsque nous sommes en proie à la peur et que nous cherchons comment en sortir, nous ne sommes pas en mesure de voir toute la beauté que nous offre la Terre Mère. La pleine conscience nous rappelle de revenir à notre inspiration et d’être pleinement avec elle, tout comme avec l’expiration. Ramenez votre esprit à votre corps et demeurez dans le moment présent. Regardez profondément, droit devant vous, ce qui est merveilleux dans le moment présent. Notre Terre Mère est si puissante, si généreuse et si soutenante. Votre corps est une véritable merveille. Lorsque vous avez pratiqué et que vous êtes solide comme la terre, vous pouvez faire face à vos difficultés directement, et elles commencent à se dissiper.
Comment pratiquer
Respirer dans le moment présent
Prenez un moment pour apprécier la pratique simple de la respiration en pleine conscience : « En inspirant, je sais que j’inspire ; en expirant, je sais que j’expire ». Si vous pratiquez ainsi avec un peu de concentration, vous serez en mesure d’être véritablement présents. Dès que vous commencez à pratiquer la respiration consciente, votre corps et votre esprit commencent à se rassembler. Il ne faut que 10 à 20 secondes pour accomplir ce miracle, l’unité du corps et de l’esprit dans le moment présent. Et nous en sommes toutes et tous capables, même un enfant.
Comme l’a dit le Bouddha, « le passé n’existe plus, le futur n’est pas encore là ; il n’y a qu’un seul moment où la vie est disponible, et c’est le moment présent ». Méditer en respirant en pleine conscience, c’est ramener le corps et l’esprit au moment présent afin de ne pas manquer le rendez-vous avec la vie.
Extraits du livre de Thich Nhat Hanh La peur, conseils de sagesse pour traverser la tempête.