Alors que nous nous apprêtons à célébrer le jour de continuation de notre maître Thây le 11 octobre, nous aimerions vous offrir ce partage de Soeur Giác Nghiêm, une de nos Soeurs aînées francophones bien aimée. Elle nous transporte au Village des Pruniers dans ses débuts, à cet univers magique où elle côtoie Thây dans une atmosphère intime, simple et joyeuse.
Penser au Village des Pruniers à ses débuts, c’est comme ouvrir un livre Sacré et Merveilleux où Paix et Bonheur marchent main dans la main.
Imaginez un chemin de campagne bordé à droite de chênes aux troncs épais et bruns, semblables à de grandes pattes, qui feront dire à Thay qu’une haie d’éléphants nous accueille. À gauche, le chemin débouche sur un champ très vaste où repose une ferme à notre gauche. Un tilleul encore jeune ouvre l’accès aux bâtiments. Une grande grange se transformera en hall de méditation comme par miracle.
Le bâtiment qui suit abrite en son sein Le Maître : Thay à l’étage et des enfants qui partagent les lieux. L’entrée, semble un petit salon sobrement meublé, avec une cheminée. C’est là que Thay me recevra pour notre premier entretien au Village.
Contre l’escalier qui monte à l’étage, une alcôve, fermée par un rideau avec des lits très simples : quatre moellons, une planche en bois pour sommier, un tapis de yoga, un petit oreiller, et une légère couverture, voici le lieu qui m’offre le repos : je ne peux dire la joie qui m’habite devant cette grande simplicité.
De chaque côté de l’entrée, deux chambres protègent des familles vietnamiennes nombreuses, joyeuses, dont le rire des enfants réjouit nos cœurs.
Juste en face de l’entrée un autre bâtiment de pierres recèle le cœur de la communauté qui vit là, la salle à vivre, à la fois salle à manger, cuisine, lieu de réunion… où notre Thay prépare le thé en toute simplicité qu’il nous offre avec un geste de grande douceur. Thay est vrai, Thay est Amour.
Au fond de cette pièce une porte s’ouvre sur une petite salle de méditation dont l’autel est une cheminée. Toute la petite communauté se réunit là pour méditer. Là, tout est bonheur. Une porte s’ouvre sur un vaste champ couvert d’un nuage blanc, semblable à la voie lactée, tissé de fleurs de carottes sauvages mêlées aux fleurs bleu ciel des chicorées, et je pense en secret : “Dieu a posé son doigt sur cette terre précieuse. Je suis chez moi, je suis arrivée”.
Thay est là, sa présence attentive embaume le jardin, Thay retire les fleurs fanées et chaque fin de journée, les arrose avec soin.
À l’arrivée, j’ai rencontré dans le jardin Thay et sœur Cao Fleurette qui venaient à ma rencontre; nous sommes en 1985, Sœur Fleurette a de longs cheveux, de beaux yeux au regard profond et pleins de compassion.
Depuis je pousse doucement auprès de ces deux arbres merveilleux.
C’était des retrouvailles. J’avais eu le bonheur de les rencontrer quelques mois auparavant à Lyon, chez le Dr Do Trong Le, un ami acupuncteur qui m’avait offert de venir écouter le premier enseignement que notre Maitre donnait en français chez lui. À cette époque je cherchais désespérément un Maître pour m’aider dans ma Voie spirituelle.
La rencontre profonde s’était faite pendant l’enseignement, lorsque Thay avait tenu une feuille de papier blanc devant lui et avait dit “Dans cette feuille, se trouve tout l’univers”. La joie m’avait envahie, j’avais trouvé le Maître que je cherchais, celui qui me comprendrait. La Porte du Dharma était grande ouverte.
Lorsque je relis “Sur les traces de Siddhartha”, j’éprouve toujours une grande émotion au moment où Sujata dans le petit matin part à la recherche du Bouddha et qu’ils se rencontrent ….
Ma vie spirituelle reprenait son cours dans la paix.
Pendant cette première retraite, un jour, je n’ai pas participé à la marche méditative autour du hameau du haut, je m’étais assise sous le tilleul pour écrire. À la fin de la méditation marchée, Thay s’était approché doucement de moi et m’avait demandé amicalement:
– Que faites-vous, Soeur Élisabeth ?
– Cher Thay, depuis que je vous ai rencontré, j’ai mis en application vos enseignements à l’hôpital où je travaille avec mes patients. J’ai une vie très active et je n’ai pas le temps d’écrire ces pratiques, alors, ici, aujourd’hui, j’ai choisi de prendre le temps de les écrire. Pardonnez-moi, s’il vous plaît.
– Continuez, me dit notre Maitre, et offrez-moi votre travail.
À partir de ce jour, toutes les pratiques de pleine conscience que j’ai appliquées dans mon travail à l’hôpital, furent écrites et offertes à Thay et au chef de service de l’hôpital où j’exerçais, qui généreusement, voyant les résultats sur les patients, m’avait donné “Carte blanche” pour exercer cette pratique !!!
C’était en 1985. Oh! Le bonheur.
Chaque jour nous avions un travail méditatif à partager avec la Sangha. À cette époque Thay imprimait ses enseignements puis disposait les feuilles du futur livre sur une table. En pleine conscience, nous marchions doucement autour de la table, collectant une à une les feuilles, suivant notre respiration et nos pas, puis nous déposions les feuilles réunies attendant d’être transformées en livre, au bout de la table. Puis nous recommencions, avec le sourire, à donner naissance au livre suivant.
“Un pas j’inspire, je prends une feuille, un pas j’expire, je souris.
Un pas j’inspire, un livre va naître
Un pas j’expire, je souris” ….
Voici maintenant une expérience étonnante de mes débuts dans la pratique. Le travail méditatif en communauté me plaisait beaucoup. Tout le monde participait, Thay également. Un matin, une jeune femme s’approcha de moi et me demanda de couper du pain “en Pleine Conscience” ajouta-t-elle sérieusement.
“J’inspire, voici le pain, j’expire (Ciel, comment coupe-t-on le pain “en Pleine Conscience”) pas d’expiration… un doute sans fond est là. Et la question ne cesse de revenir. Cela ressemble à quoi couper du pain “En Pleine Conscience” ??? La dame revient un peu plus tard, rien ne s’est passé…. Gentiment elle me libère de mon arrêt sur image. Lorsque l’intellect domine, le doute apparaît…
Nombreux sont les beaux souvenirs au Village des Pruniers.
Enseignement
Assis dans la Paix,
Aux pieds de Thay,
À l’ombre des grands chênes
Vénérables,
Au Hameau du Bas.
Têtes brunes, Têtes blondes,
Tournées vers sa lumière,
Le Nectar du Dharma