Témoignage / Racines

Dans cet article, Frère Phap Ly, moine d’origine normande qui pratique au Village des Pruniers depuis une quinzaine d’années, partage son expérience lors de son récent voyage au Vietnam à l’occasion des cérémonies de commémoration en l’honneur de Thay.

Cher Thay, chère Sangha,

Une fois n’est pas coutume, je me sens inspiré à mettre en mots ce que j’ai vécu lors du voyage au Vietnam de janvier et février dernier à l’occasion du passage de Thay au sein de la communauté des ancêtres spirituels de notre lignée.

Je ressentais que le temps était propice pour moi de me faire une idée du pays, de la culture, après avoir vécu plus de quinze ans dans notre communauté du Village des Pruniers.

Dès notre arrivée au temple racine, nous nous sommes connecté avec Thay et nos ancêtres en franchissant les 3 portes ouvrant sur l’étang en demi lune, symbole de Tu Hieu. Une visite guidée de Thay Man Tue qui a passé son noviciat au temple racine a permis de mettre des lieux bien concrets sur les récits liés à nos ancêtres spirituels : comme par exemple le récit du jour le vénérable Nhat Định fondateur de Tu Hieu, le maître de Thay et notre oncle maître, est allé au marché acheter un poisson pour sa maman malade, ce qui choqua les villageois. Ainsi que des lieux plus insolites comme le cimetière des eunuques, le lieu le plus calme et frais pour étudier et se reposer…

Toucher la Terre devant Thay et nos ancêtres sur cette terre chargée spirituellement m’a permis de créer un lien plus intime et tangible avec eux, de réaliser un peu plus la place importante qu’ils ont en moi et par conséquent faire fleurir ma gratitude pour eux. J’ai pu aussi lâcher un reste de ressentiment que je me suis surpris de ressentir envers Thay, l’enfant en moi qui ne s’était pas senti suffisamment aimé et compris. Cela m’a permis de renouveler mon lien avec lui…

Ces cérémonies ont aussi été la joie de retrouver de nombreux frères et sœurs monastiques qui ont séjourné au Village des Pruniers il y a plus de 10 ans: échange d’accolades, sourires et appréciations d’être là les uns pour les autres grâce à Thay.

Certains d’entre nous ont aussi eu la chance de faire une retraite de trois jours retraçant le parcours de Thầy et son impact sur chacun d’entre nous, monastiques et laïcs, une belle manière de se préparer spirituellement pour les grandes cérémonies à venir.

Nous avons retrouvé plus tard une partie de ces retraitants pour un pèlerinage sur les traces de Thay : pouvoir sentir concrètement les lieux où Thay a vécu comme son village natal, l’institut bouddhique de Bảo Loc où Thay à été envoyé par son maître pour ses études, l’ermitage des Feuilles Odorantes de Palmier. Les anecdotes liées à ces lieux nous permettant de nous sentir toujours plus proche de notre maître. Et aussi d’autres endroits liés à notre lignée comme le temple racine de maître Lieu Quan, la pagode au pilier unique de Ha Noi ( logo du Village des Pruniers ) , les magnifiques paysages de Trang An où notre ancêtre Trần Nhân Tông s’est réfugié avec son armée pour se protéger et vaincre les armées mongoles , la montagne Yen Tu, haut lieu spirituel du Vietnam où ce même roi s’est fait ermite après avoir renoncé à son trône et à fondé la lignée Truc Lam ( forêt de bambous ). 

Ce fut l’occasion pour certains d’entre nous d’escalader les quelques milliers de marches du pied de la montagne au sommet et d’expérimenter le quotidien de notre ancêtre sur cette montagne enveloppée par la brume où règne une atmosphère mystique et mystérieuse…

Ce pèlerinage terminé, nous nous sommes dispersés dans toutes les directions pour célébrer le nouvel an vietnamien. Notre grande sœur Dinh Nghiem, frère Bienveillance et moi-même sommes parti le célébrer dans notre monastère en Thaïlande. Une occasion pour nous de retrouver d’autres frères et sœurs perdus de vue et faire la connaissance de beaucoup d’autres dans la joie des festivités, chants, rires et nourritures de l’occasion…

Nous sommes enfin reparti de Saïgon non sans prendre le temps de baigner dans la ferveur des quartiers populaires où nous logions grâce à la famille de sœur Tảo Nghiem. Et cerise sur le gâteau, nous avons pu rencontrer le vénérable Thay Minh Nghia dans son temple à quelques rues de notre logement. Ce vénérable a recueilli une partie de nos frères et sœurs après leur expulsion du monastère de Bat Nha en novembre 2009 et offert à notre communauté la nonnerie de Tram Tich ( aujourd’hui Phuong Xuan ) . Il était aussi toujours présent en tant que témoin pour les grandes ordinations au Village des Pruniers. J’ai été très touché par son affection à notre égard par de simples gestes comme éplucher des bananes et nous les offrir l’une après l’autre avec toute son affection de grand-père monastique. Cela m’a rappelé cette même énergie d’amour que Thay émanait lorsque l’on partageait un repas avec lui. Notre visite aurait pu s’arrêter là si le vénérable ne nous avait pas aussi invité à prendre le petit déjeuner le lendemain dans le petit restaurant où Thầy lui-même avait mangé lorsqu’il était étudiant à Saïgon dans les années cinquante.

Thay nous relatait souvent cette histoire : il était malade, affamé, sans le sou et avait donc commandé un soupe de riz toute simple pour se rassasier. La soupe manquant de saveur, il avait voulu ajouter du poivre mais la poivrière, mal refermée, s’est répandue dans sa soupe. La soupe était devenue immangeable, et Thay, lâchant prise, n’a pas pu apaiser sa faim.

Thay est lui-même revenu dans ce restaurant presque soixante ans après comme nous avons pu le voir sur la photo conservée par les propriétaires des lieux. Ceux ci ont aussi conservé la table où Thay s’est assis et nous avons pu ainsi apprécier notre petit déjeuner en faisant bien attention à ne pas verser trop de poivre…

Il était alors temps de rentrer après cinq semaines devenues des moments légendaires…

Il est difficile de partager en quelques mots toutes les impressions que ce voyage m’a apporté.  Ce que je constate aujourd’hui est qu’il m’a rechargé spirituellement, l’énergie de Thầy et de nos ancêtres spirituels se faisant ressentir plus que jamais! Ce fut aussi une occasion unique de connecter avec nos frères et sœurs monastiques et laïcs des quatre coins du globe, toutes et tous une belle continuation de Thầy. Il ne reste plus qu’à reproduire cette occasion dans le futur…