Un an après la transition de Thay, trois de nos aînés monastiques nous partagent leurs souvenirs avec Thay
La journée du Popcorn
Sœur Thao Nghiem souligne dans ce récit de la journée du Popcorn le sens de la créativité et de la joie de Thay.
C’était au tout début de la maladie de Thay. La sangha n’avait pas été en présence de Thay depuis un moment parce qu’il se reposait et récupérait un peu à l’ermitage. La sangha trouvait le manque de Thay et Thay pensait aussi beaucoup à la sangha. Thay ne voulait pas que la sangha s’inquiète pour lui. Il avait souhaité avoir une journée monastique avant, afin que la sangha puisse le voir à l’ermitage dans un état d’esprit paisible. Il voulait également entendre la communauté chanter le nouveau Sutra de la Sagesse qui mène à l’Autre Rive, que le frère Phap Linh venait juste de mettre en musique.
Thay avait pris des dispositions minutieuses pour se préparer à cette journée. Je ne sais pas comment Thay est venu à penser à ça mais un jour il a émis l’idée qu’on lui achète une machine à popcorn. Soeur Chan Khong et les autres frères et soeurs qui étaient là furent tous très surpris par cette idée de Thay. Aucun de nous n’aurait imaginé avoir un jour une machine a popcorn au monastère, trop difficile à trouver, quel modèle, ou la mettre, etc… Mais Thay nous dit “allez-y, achetez ça pour Thay. Je paierai. J’ai de l’argent qui vient de la vente de mes calligraphies.” Cela nous a suffi pour comprendre que Thay tenait vraiment à cette idée, alors Soeur Dinh Nghiem se mit a chercher une vraie machine à popcorn sur internet et en trouva une. Elle était rouge, pas trop grande, avec des petites roulettes pour la déplacer.
Le jour où la machine fut livrée, le maître et ses disciples l’ouvrirent avec empressement pour voir à quoi elle ressemblait. Après l’avoir montée nous nous rendîmes compte qu’un coté de la vitre en verre s’était cassé pendant le transport. Les préposés la recouvrirent d’un film plastique en attendant. A présent que la machine était là, Thay dit, “Allons sur internet, pour apprendre à faire le popcorn.”
Frère Phap Huu, Soeur Nho Nghiem, Frère Phap Ao, Frère Phap Nguyen, et moi-meme avions été désignés membres du comité de test du popcorn ! Les clients étaient Thay, Soeur Chan Khong, et Soeur Dinh Nghiem. Le moment où nous avons versé l’huile et les grains de maïs à popcorn, pour voir si tout marchait bien, fut vraiment palpitant. Et d’un coup les grains commencèrent à éclater et à déborder de la petite casserole à l’intérieur de la machine. Oh, c’était tellement amusant ! Thay rit, les sœurs applaudirent et les quatre d’entre nous qui avions fait le popcorn se mirent à sauter de joie!
On offrit a Thay le premier bol de popcorn et nous étions tous très impatients de le gouter à notre tour. Thay suggéra même de faire des recherches pour voir si on pouvait ajouter un peu de sel et de caramel pour que le popcorn ait plus de saveur. Les préposés au popcorn s’affairèrent à faire sauter les paquets les uns après les autres mesurant les bonnes quantités et calculant le temps nécessaire. Durant les jours qui suivirent, nous avons mangé du pop-corn jusqu’à satiété et nous avons même dû en envoyer au Hameau Nouveau pour nous aider à le finir.
Quelques jours plus tard, Thay envoya une lettre, invitant la sangha à venir pour une journée monastique et à manger du popcorn. Dans l’intervalle, Thay rappela aux préposés de sortir la machine à popcorn tous les jours et de s’entrainer à son utilisation pour pouvoir faire une belle démonstration devant la sangha.
Quelques jours avant le jour J, Thay dût se rendre à l’hôpital pour un contrôle. Lorsque les médecins lui conseillèrent de rester plus longtemps, Thay dit : “Je ne peux pas. J’ai un rendez-vous pour la journée du pop-corn avec mes élèves”. Les préposés durent supplier Thay de rester et prirent contact avec la sangha pour reporter la journée monastique afin que Thay puisse prendre soin de sa santé en toute tranquillité.
Puis vint le jour où la sangha se réunit enfin. Nous étions tous très excités. Depuis midi, les préposés avaient préparé le chariot à pop-corn, un réchaud pour caraméliser le sucre, un peu de sel et un seau pour y mettre le popcorn. Nous étions tous inquiets, car la communauté était venue en nombre et nous ne pourrions pas en faire assez en temps et en heure. Thay avait prévu le bon moment pour sortir le chariot à popcorn pour un effet maximum.
Je me souviens encore de la façon dont nous avons préparé ce pop-corn dans une pièce à l’arrière de l’ermitage, depuis laquelle nous pouvions regarder vers les trois cyprès (Thay les appelait souvent les “trois frères aînés de la sangha”). La sangha s’était réunie pour chanter le Sutra de la Sagesse qui mène à l’autre Rive. Le son était très puissant et merveilleux. Puis le frère Phap Ao conduisit Thay à l’extérieur, dans son fauteuil roulant, pour écouter le chant de la sangha. De l’intérieur, je pouvais voir quelques frères et sœurs qui n’arrivaient pas à chanter et se contentaient juste de regarder. Quelques-uns se cachaient derrière d’autres … pour pleurer.
Après une brève introduction, Thay nous fit signe de sortir la machine et de faire du pop-corn pour que la sangha puisse la voir. Tout le monde put manger du pop-corn. C’était un cadeau de Thay, mis en œuvre par les préposés. Thay était si heureux de voir la sangha et la sangha était heureuse et émue de voir Thay. Le fait que le pop-corn soit délicieux ou non n’était pas important. La chose la plus précieuse ce jour-là fut que chacun reçut l’amour de notre maître.
Plus tard, la machine à pop-corn fût déplacée au Hameau Nouveau et, de temps en temps, nous la sortîmes pour faire du pop-corn pour la sangha. Tout le monde apprécia et repensa à ce jour mémorable.
Lire le récit complet de Sœur Thao Nghiem en cliquant ici. (L’article est en anglais)
Un médicament puissant de Thay
Frère Phap Hai se souvient d’un événement qui illustre bien le fait que pour Thay, la compassion n’était pas toujours synonyme de douceur.
J’ai beaucoup souffert en tant que jeune moine. Un jour, j’ai décidé de partager avec Thay une douleur profonde que je portais en moi. Thay a bu son thé, a regardé par la fenêtre et puis il a toussé. Alors qu’il toussait je me suis dit « oh, zut… » (quand Thay toussait de la sorte, nous savions que nous allions nous prendre un coup de marteau -métaphoriquement bien sûr). Thay a posé sa tasse, s’est tourné vers moi et m’a dit « Novice Phap Hai, pourquoi es-tu venu voir Thay pour lui poser des questions auxquelles tu as déjà la réponse ? Va et fais ce que tu sais que tu dois faire ! » C’est le seul enseignement qu’il m’a donné !
Alors, je me suis levé, je l’ai salué et je suis parti. J’avais espéré que Thay me dirait quelque chose comme : “Oh, mon pauvre, comme je te plains…etc.” donc j’étais un peu en colère contre Thay.
J’avais juste 22 ans et en sortant donc de la chambre de Thay, je me souviens d’avoir donné des coups de pieds dans les graviers de l’allée du Hameau Nouveau. Pendant les 2 enseignements du Dharma suivants, chaque fois que le regard de Thay croisait le mien, il me lançait un petit sourire. J’ai un peu honte d’admettre que cela m’a pris quelques semaines pour comprendre le cadeau que Thay m’avait offert. Thay savait comment repérer nos compétences et comment arroser notre confiance en notre capacité à nous transformer. Et c’est vrai, je savais exactement ce que je devais faire. Je n’en avais juste pas envie. Thay savait cela et m’avait offert exactement ce dont j’avais besoin à ce moment-là dans ma pratique : la confiance en ma capacité à comprendre et à résoudre les problèmes par moi-même. Ce fut l’enseignement le plus fort et le plus précieux que je reçus de mon maître et je lui en suis profondément reconnaissant. Ce fut à ce moment-là que Thay devint véritablement mon enseignant et non plus un personnage que j’écoutais de loin pendant les enseignements du Dharma, ou que je servais, mais sans avoir avec lui une véritable relation.
Bien que les autres puissent nous aider et nous soutenir, au final, en tant que pratiquants, nous devons être capables, par nous-mêmes, de savoir regarder profondément et de comprendre notre situation afin de pouvoir véritablement transformer notre souffrance. Thay nous a fait cadeau de ces outils.
Lire le récit complet du frère Phap Hai en cliquant ici. (l’article est en anglais)
Ouvrir une pépinière
La nature nourricière de Thay brille dans le souvenir de la sœur Dinh Nghiem qui s’occupait des chrysanthèmes avec Thay.
Cher Thay, il était rare que vous soyez au Village des Pruniers en France pendant l’automne, car c’était la saison des longs voyages en Amérique du Nord ou en Asie du Sud-Est. Mais cet automne-là, vous étiez resté ici avec nous et ce fut l’automne le plus extraordinaire et le plus agréable pour nous tous.
Vous consacriez beaucoup de temps pour nous guider lors de marches en pleine conscience dans le Hameau du Bas, sous les allées de peupliers aux feuilles dorées. Vous vous arrêtiez souvent au Hameau Nouveau pour nous inviter à marcher sur la colline aux pruniers, là où l’air était imprégné du parfum des prunes mûres. Habituellement, nous ne cueillions pas les prunes mais les laissions mûrir et tomber naturellement sur le sol. À cette époque, les prunes devenaient vraiment sucrées et juteuses. Mais certaines sœurs préféraient manger les prunes croquantes et non mûres, alors Thay a ouvert une bouteille en plastique, l’a attachée à une tige de bambou et a utilisé cet outil fait de ses mains pour récolter les prunes croquantes – c’était très efficace et pratique.
Au Hameau du Haut, Thay aimait particulièrement marcher en pleine conscience dans la forêt de chênes rouges. De loin, j’ai toujours pensé qu’il s’agissait d’une forêt de fleurs couleur rouge flamme. À l’Ermitage, chaque pot de fleur, chaque arbre était heureux car il recevait chaque jour les soins de Thay. La fin de l’automne en France est la saison des chrysanthèmes. Thay attendait que les pots des grands chrysanthèmes ronds et pourpres fleurissent, ainsi que les élégants chrysanthèmes dont les pétales s’enroulent vers l’intérieur et l’extérieur, telles des mains de bodhisattvas illustrant des mantras.
Ce matin-là, dans le jardin de l’Ermitage, Thay fit le tour pour rassembler tous les chrysanthèmes fanés de l’année précédente, tandis que je rassemblais tous les vieux pots en plastique. Sous la direction de Thay, je préparai les pots avec de la terre pour replanter les chrysanthèmes. Assis sur une chaise en fer blanche sous le tilleul, Thay travaillait tranquillement avec une paix et un plaisir profonds. Quand un pot était terminé, vous me le passiez pour que j’y ajoute une autre couche d’engrais. À la fin, nous avons ouvert le tuyau d’arrosage pour arroser tous les pots en même temps.
C’était comme être un petit enfant il y a longtemps dans mon jardin à la maison. Je ne remarquais que mes deux mains qui jouaient joyeusement avec la terre. Parfois, je levais les yeux pour voir ce que faisaient les mains de Thay. Les derniers rayons de soleil de l’année essayaient de percer les feuilles pour toucher doucement vos deux mains. Ils voulaient aussi donner un coup de main à Thay ! De temps en temps, quelques feuilles mortes tombaient doucement sur vos épaules, comme pour attirer votre attention : “Cher Thay, nous sommes là, laisse-nous jouer avec toi !” Ces feuilles dansaient lentement jusqu’à vos pieds, puis à la terre, pour former un tapis d’or pâle. Dans quelques jours ou une semaine, le tapis doré serait plus épais et plus doux pour que Thay puisse y poser ses pas en pleine conscience.
De l’autre côté de l’Ermitage, les pins que Thay avait plantés dans le passé étaient maintenant grands et forts. Ils conservaient leurs robes vertes pour la saison. L’Ermitage en automne est plein de couleurs et de formes et cette année-là, Thay était là. La terre, le ciel et les arbres étaient tous excités et rivalisaient pour montrer leurs plus beaux tableaux de couleurs afin que vous puissiez en profiter.
Il n’y avait pas assez de pots pour que Thay puisse continuer à rempoter. J’ai dû aller au Hameau Nouveau pour trouver d’autres pots. Finalement, cet après-midi-là, des pots et des pots entouraient le maître et le disciple – plus d’une centaine. Soudain, j’ai eu l’image que dans deux mois seulement, ces tiges de chrysanthèmes allaient devenir fortes et en pleine santé, et produire de nombreuses grandes fleurs rondes. Excitée, je vous ai alors dit : “Cher Thay, si nous réussissons tous les deux, nous pourrions ouvrir une pépinière !”
Thay a souri joyeusement.
Je me suis sentie si heureuse à ce moment-là, comme si nous venions d’ouvrir une pépinière !
Lire le récit complet de sœur Dinh Nghiem’s en cliquant ici. (l’article est en anglais)
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