« Selon les dires du Tathâgata, tous les concepts ne sont pas des concepts et tous les êtres vivants ne sont pas des êtres vivants. »
La traduction du Soutra du Diamant présentée ci-dessous est une traduction par Thich Nhat Hanh à partir du Soutra 235 de l’édition révisée Taisho du Canon Chinois. Maître Kumarajiva le traduisit du sanskrit en chinois à partir du Vajracchedika Prajnaparamita Sutra, au début du Ve siècle.Vajracchedika en sanskrit signifie le diamant capable de trancher (toute affliction).
Depuis toujours, ce soutra est considéré comme l’un des soutras mahayanistes fondamentaux de l’Ecole de Méditation, contenant une signification très profonde. il nous montre comme briser et transcender les concepts qui nous emprisonnent dans l’illusion, la souffrance, la naissance, la mort, et en particulier, les quatre idées sur le moi, l’être humain, l’être vivant et la durée d’existence, désignés par le mot forme dans ce soutra. Pour saisir l’essence de sa signification, vous pouvez vous aider du livre Le Silence foudroyant de Thich Nhat Hanh.
Le Soutra du Diamant a été publié dans le livre Chants du Coeur, Thich Nhat Hanh (Editions Sully 2009). Il est récité régulièrement dans les centres de pratique du Village des Pruniers tout autour du monde, faisant partie des sessions d’assise et de chants quotidiens.
Soutra du Diamant, l’Epée Précieuse qui tranche toute affliction
« Ainsi ai-je entendu le Bouddha enseigner, un jour où il demeurait encore au monastère d’Anathapindika dans le Parc de Jeta non loin de Shravasti, dans sa communauté de mille deux cent cinquante bhikshus. Ce jour-là, à l’heure des aumônes, le Bouddha mit sa robe, prit son bol et alla dans la ville de Shravasti, allant de maison en maison afin d’y mendier sa nourriture. Lorsqu’il eut recueilli tous les dons, il revint au monastère pour y prendre son repas de midi. Après avoir mangé, le Bouddha rangea son bol et sa robe, se lava les pieds, disposa son coussin et s’assit.
Aussitôt, le Vénérable Subhuti se leva de son siège, découvrit son épaule droite, posa le genou gauche à terre et, joignant les mains en signe de respect, s’adressa au Bouddha :
” Honoré-par-le-Monde, un être tel que vous est rare. Vous offrez toujours un soutien particulier aux bodhisattvas et vous leur confiez votre oeuvre d’Eveil. Honoré-par-le-Monde, si les fils et les filles de bonne famille veulent donner naissance à l’esprit le plus sublime, le plus accompli et le plus éveillé qui soit, en quoi devraient-ils prendre refuge et que devraient-ils faire pour maîtriser leur esprit ?
– Voici, répondit le Bouddha, comment les bodhisattvas mahasattvas maîtrisent leur esprit en méditant : quel que soit le nombre d’espèces d’êtres vivants (qu’ils soient nés d’un œuf, d’une matrice, de l’humidité ou spontanément ; qu’ils aient une forme ou non ; qu’ils aient une perception ou non ; ou que l’on ne puisse dire s’ils sont dotés d’une perception ou non), nous devons tous les conduire à l’ultime Nirvana afin qu’ils soient libérés. Et pourtant, lorsque ces êtres en nombre infini, illimité et innombrables sont libérés, en vérité, nous ne voyons aucun être libéré. Pourquoi cela ? Subhuti, si un bodhisattva avait encore l’idée d’un soi, d’un être humain, d’un être vivant ou d’une durée de vie, il ne saurait être un authentique bodhisattva. ” (C)
” En outre, Subhuti, lorsqu’un bodhisattva pratique la générosité, il ne s’attache à aucun objet, quel qu’il soit ; autrement dit, il est libre de la forme, du son, de l’odeur, du goût, de tout objet tangible ou de tout dharma. Tel est, Subhuti, l’esprit dans lequel un bodhisattva, libre de la forme, pratique la générosité. Pourquoi ? Si un bodhisattva pratique la générosité sans s’attacher à la forme, le bonheur qui en résultera sera inimaginable et incommensurable. Qu’en penses-tu, Subhuti ? Est-il possible de concevoir ou de mesurer l’espace qui s’étend à l’Est ?
– Non, Honoré-par-le-Monde.
– Subhuti, l’espace qui s’étend à l’Ouest, au Sud, au Nord, en haut et en bas peut-il être conçu ou mesuré ?
– Certes non, Honoré-par-le-Monde.
– Subhuti, si un bodhisattva ne se fonde sur rien lorsqu’il pratique la générosité, le bonheur qui en résultera sera aussi vaste que l’espace. Il ne pourra être conçu ou mesuré. Subhuti, les bodhisattvas devraient laisser leur esprit demeurer dans les instructions que je viens de donner. Qu’en penses-tu Subhuti ? Est-il possible de reconnaître le Tathâgata par sa forme corporelle ?
– Non, Honoré-par-le-Monde. Dans ce que le Tathâgata appelle forme corporelle, il n’est en réalité point de forme corporelle.
– Subhuti, là où réside la forme, réside encore l’illusion. Si tu peux voir la nature de non-forme de la forme, alors tu vois le Tathâgata.
– Honoré-par-le-Monde, demanda le Vénérable Subhuti au Bouddha, dans les temps à venir, lorsque les gens entendront ces paroles, auront-ils vraiment foi et confiance en elles ?
– Ne parle pas ainsi, Subhuti, répondit le Bouddha. Cinq cents ans après l’entrée du Tathâgata au Nirvana, il y aura encore des personnes qui continueront d’observer les préceptes et de pratiquer pour accroître les mérites. Lorsqu’elles entendront ces enseignements, elles auront foi et confiance et les reconnaîtront comme vérité.”
” Ces personnes, sachons-le, ont déjà semé des graines bénéfiques non seulement durant la vie d’un Bouddha, voire même de deux, trois, quatre ou cinq, mais en vérité, durant la vie de milliers de Bouddhas. Celui qui, durant une seule seconde, engendre une foi pure en écoutant ces paroles, celui-là sera CONNU et VU par le Tathâgata, et il atteindra un bonheur sans limite. Pourquoi ? Parce qu’une telle personne n’est plus emprisonnée dans l’idée d’un soi, d’un être humain, d’un être vivant ou d’une durée d’existence, ni dans l’idée du Dharma ou du non-Dharma, ni dans l’idée d’une forme ou d’une non-forme.
Pourquoi ?”
” Si elle est encore emprisonnée dans l’idée du Dharma, elle est encore emprisonnée dans l’idée d’un soi, d’un être humain, d’un être vivant ou d’une durée d’existence. Si elle est encore emprisonnée dans l’idée du non-Dharma, elle est également emprisonnée dans l’idée d’un soi, d’un être humain, d’un être vivant ou d’une durée d’existence. C’est pourquoi, non seulement il ne faut pas s’attacher au non-Dharma, mais il ne faut pas non plus s’attacher au Dharma. Telle est la signification cachée de la parole du Tathâgata : ‘Bhikshus, sachez-le, le Dharma que je vous délivre est pareil à un radeau. Il faut savoir abandonner même le Dharma, sans parler du Non-Dharma.'” (C)
” Dans les temps anciens, lorsque le Tathâgata pratiquait encore sous la guidance du Bouddha Dipankara, avait-il atteint un état particulier ? demanda le Bouddha à Subhuti.
– Non, Honoré-par-le-Monde. Dans les temps anciens, lorsque le Tathâgata pratiquait encore avec le Bouddha Dipankara, il n’avait rien atteint.
– Qu’en penses-tu, Subhuti ? Un bodhisattva embellit-il la terre de Bouddha ?
– Non, Honoré-par-le-Monde. Pourquoi ? En fait, embellir la Terre de Bouddha ne signifie pas embellir la Terre de Bouddha. C’est pourquoi c’est appelé embellir la Terre de Bouddha.
– Ainsi, Subhuti, dit le Bouddha, les bodhisattvas mahasattvas devraient donner naissance à un esprit pur et clair dans le sens de cet enseignement. Pour donner naissance à cet esprit, il ne faut s’attacher ni à la forme, ni au son, ni à l’odeur, ni au goût, ni à l’objet tangible, ni à l’objet de la perception. Il faut faire naître cet esprit seulement dans l’esprit qui ne demeure nulle part.“
” Subhuti, lorsqu’un bodhisattvas donne naissance au sublime esprit d’Eveil, il doit abandonner tous les concepts. Il ne doit s’attacher ni à la forme, ni au son, ni à l’odeur, ni au goût, ni à l’objet tangible, ni à l’objet de la perception. Il doit faire naître seulement l’esprit qui ne demeure nulle part.“
” Selon les dires du Tathâgata, tous les concepts ne sont pas des concepts et tous les êtres vivants ne sont pas des êtres vivants. Subhuti, le Tathâgata ne dit pas de mensonges et n’a qu’une seule parole. il parle avec justesse et précision. Il dit la vérité et ses paroles sont en accord avec la réalité telle qu’elle est. Si nous disons que le Tathâgata a réalisé un enseignement, Subhuti, cet enseignement n’est ni réel, ni illusoire.”
“Subhuti, un bodhisattva qui dépend encore de l’objet de la perception pour pratiquer la générosité est semblable à quelqu’un qui chemine dans l’obscurité : il ne peut rien discerner. En revanche, lorsqu’un bodhisattva ne dépend plus de l’objet de la perception pour pratiquer la générosité, il est comme quelqu’un à la vue pénétrante qui va sous la lumière éclatante du soleil. Celui-là peut voir toute forme et toute couleur.”(C)
“Ne crois surtout pas, Subhuti, que le Tathâgata pense : ‘je conduirai tous les êtres vivants à la rive de la libération.’ Pourquoi ? Il n’y a aucun être vivant que le Tathâgata conduise jusqu’à l’autre rive. Si le Tathâgata pensait qu’il en existait, il serait encore emprisonné dans l’idée d’un soi, d’un être humain, d’un être vivant ou d’une durée d’existence. Ce que le Tathâgata appelle soi, Subhuti, est fondamentalement dépourvu d’un soi, mais les êtres ordinaires pensent qu’il y a un soi. Ces êtres ordinaires, Subhuti, le Tathâgata ne les considère pas comme des êtres ordinaires. C’est pourquoi il les appelle êtres ordinaires.”
“Qu’en penses-tu, Subhuti ? Quelqu’un devrait-il visualiser le Tathâgata à travers les trente-deux belles marques ?
– Certes, Honoré-par-le-Monde. il faut utiliser les trente-deux belles marques pour méditer sur le Tathâgata.
– Si tu affirmes, reprit le Bouddha, utiliser les trente-deux belles marques pour contempler le Tathâgata, alors un Chakravartin, Monarque Universel, serait-il lui aussi un Tathâgata ?
– Honoré-par-le-Monde, dit Subhuti, j’ai compris l’enseignement. Nul ne devrait se servir des trente-deux belles marques pour méditer sur le Tathâgata.”
Alors, l’Honoré-par-le-Monde énonça ce gatha :
“Celui qui me cherche dans une forme
Ou me poursuit à travers un son,
celui-là pratique une voie erronée
Et ne peut voir le Tathâgata.”(C)
” Subhuti, si tu penses que le Tathâgata a atteint l’esprit le plus sublime, le plus accompli et le plus éveillé qui soit, et qu’il n’a pas besoin de toutes les formes, tu te trompes. Ne crois rien de cela, Subhuti. Ne crois pas que lorsque quelqu’un donne naissance au sublime et insurpassable esprit d’Eveil, il lui soit absolument nécessaire de percevoir tous les phénomènes comme non-être et néant. Non, ne pense pas ainsi. Celui qui donne naissance au sublime et insurpassable esprit d’Eveil ne soutient pas pour autant que tous les phénomènes sont non-être et néant.”
Après qu’ils eurent entendu le bouddha exposer ce soutra, le Vénérable Subhuti, les bhikshus, les bhikshunis, les laïcs hommes et femmes, les dieux et les asura, tous emplis de joie et de confiance, entreprirent de mettre ces enseignements en pratique. » (C-C)
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