Sœur Hien Nghiêm répond à la question, lors d’une session de questions et réponses durant la retraite internationale en ligne des ambassadeurs Wake Up, en mai 2020.
Question : Entre travailler et prendre soin de soi, comment trouver l’équilibre si vous êtes vraiment passionné par votre travail ?
Réponse de Sœur Hien Nghiem :
Je vous remercie pour cette question. Je vais faire de mon mieux pour partager mon expérience. Je suis moi aussi toujours en chemin avec cette recherche d’équilibre. Ma vie entière est un travail en cours.
Le travail, c’est aussi la vie
Je pense que ce qui m’a le plus aidée, c’est de réaliser que le travail est également la vie, que ce n’est pas quelque chose de séparé. Ce n’est pas comme si j’allais travailler le matin et que ma vie commençait au retour. Je pense que c’est cette prise de conscience qui m’a aidée à quitter mon emploi précédent, parce que j’ai réalisé que mon travail en rédaction était trop toxique. J’ai compris que je ne pouvais pas être un être humain à part entière en faisant ce travail. Et ça offre une grande perspective. Aujourd’hui au Monastère, lorsque j’effectue différentes tâches liées à la méditation en pleine conscience et au Dharma, ou que je nettoie les toilettes ou jardine, je me dis : “Wow, c’est vraiment la vie, contrairement à ce qui se passait dans la salle de rédaction”. Je me sens donc très chanceuse et je ne cesse de me le rappeler.
Suis-je encore capable de travailler en liberté ?
Quand je suis accaparée par quelque chose, je m’interroge en ce sens : “Suis-je encore capable de travailler en liberté ?”. Puis je me demande : “Serais-je heureuse de mourir demain ? Est-ce que j’ai le sentiment d’avoir bien vécu cette journée, d’avoir mis mon énergie dans les directions qui ont le plus de sens ?”. Ces questionnements sont très utiles parce qu’un des aspects à mettre en œuvre tient à savoir “ce que nous allons faire et ce que nous n’allons pas faire“. C’est déjà très important.
Et puis le deuxième aspect, c’est : “Quand allons-nous le faire et quand ne le ferons-nous pas ?” Là, il s’agit d’être une personne libre, de se maîtriser et de choisir la vie que l’on veut vivre et comment on va la vivre. Cela demande un certain recul et de la réflexion.
Vivre une journée équilibrée
En février de cette année, j’ai pris deux ou trois jours pour examiner les six mois à venir et m’interroger : “Comment ai-je envie de vivre mon temps, quelles sont mes valeurs les plus profondes, mes aspirations les plus profondes ? Et comment, chaque jour, puis-je réaliser mon rêve à long terme, tout en vivant une journée équilibrée ?”. En tant que pratiquants, en tant que méditants, il me semble essentiel que nous nous donnions le temps de prendre du recul et de faire le point sur notre vie. “Suis-je bien avec mon corps en ce moment ? Suis-je satisfaite/satisfait de ma santé ? Est-ce que je fais assez d’exercice ? Suis-je en accord avec mon rêve ? Chaque journée est-elle une étape vers la réalisation de mon rêve ? Suis-je heureuse/heureux dans mes relations ? Est-ce que j’investis suffisamment de temps dans les relations qui comptent le plus pour moi ?” Nous devons donc prendre du temps, et il se peut que cela nécessite plus d’une journée, mais nous devons consacrer du temps à examiner réellement tous ces domaines de notre vie et voir s’ils sont équilibrés et si nous menons le genre de vie que nous voulons vivre.
Etablir une stratégie pour notre vie
Le monastère m’a vraiment aidée parce que nous avons un programme qui est agréable et équilibré. Je ne sais pas si vous avez un bon programme durant le confinement, mais c’est un sacré défi. Selon Thắy, la discipline de la planification consiste à avoir une stratégie pour notre vie : “Le matin, je vais faire ceci et cela ; chaque jour, je vais faire de l’exercice ; chaque jour, je vais essayer de sortir et d’être avec la nature, même si c’est juste être avec un seul arbre dans mon jardin ; Je vais m’asseoir et respirer avec lui pendant un moment”. Nous avons tous besoin d’une stratégie. Si nous nous contentons d’être libres et tranquilles et de laisser la vie couler, nous serons bousculés par la vie et nous ne serons pas vraiment souverains de notre propre royaume et de la façon dont nous vivrons nos journées. Nous pourrions avoir du mal à réaliser nos aspirations et les choses qui seraient les plus épanouissantes pour nous.
Savourer les meilleurs moments de notre journée
S’il nous arrive parfois de ne pas parvenir à identifier ce qui nous apporte le plus d’épanouissement, voici un exercice qui pourra nous aider : à la fin de la journée, avant de nous endormir, nous pouvons prendre quelques instants. Assis sur le lit, nous fermons les yeux et passons en revue notre journée afin de voir où est passé notre temps. Il nous arrive en effet d’être emportés par quelque chose, happés par des choses diverses et perdre beaucoup de temps dans des domaines qui ne nous sont pas particulièrement enrichissants. Et puis il y a tous ces moments que nous avons tendance à sous-estimer (comme prendre le temps de nous asseoir tranquillement pour partager un repas avec un colocataire ou nous accorder une promenade dans le parc), parce qu’ils ne semblent pas porteurs d’efficacité pour notre journée. Or, ils peuvent se révéler profondément gratifiants et nourrissants. C’est en tout cas ce que j’ai pu découvrir sur moi-même, lorsque je me suis entraînée à faire cet exercice de réflexion à la fin de chaque journée. J’ai alors compris que les moments où j’avais pu rire avec d’autres personnes et être dans la nature constituaient toujours les meilleurs de ma journée. C’est alors que j’ai appris à véritablement savourer ces moments revisités avant d’aller dormir ; ce qui m’a permis de toucher à la profonde aspiration d’intégrer ce type de moments à chacune de mes journées idéales.
Je serai heureuse/heureux quand…
Quand nous avons un grand rêve ou un travail qui nous nourrit vraiment et nous inspire, qui nous enthousiasme profondément, nous pouvons tomber dans le genre d’objectif ou de quête de “je serai vraiment heureuse ou heureux quand ceci ou cela”… C’est un peu comme si nous disions “je ne peux accéder au bonheur maintenant. Je ne serai heureuse ou heureux que lorsque j’aurai terminé ce projet ou ce dossier”, pas vrai ? Et comme on pense que le bonheur ne nous sera vraiment accessible qu’une fois cette tâche ou projet terminés, on a l’impression de perdre quelque chose dans le moment présent. Et c’est ce à quoi nous devons vraiment être vigilants et prêter attention. “Est-ce que je repousse mon bonheur jusqu’à avoir pu accomplir cette chose ?” Pour moi, cela m’aide vraiment d’avoir à l’esprit cette question : “Et si je venais à mourir demain ?”. C’est un peu comme me suggérer : “Et si ce projet ne se terminait jamais, mais que je puisse me dire que j’en ai vécu chaque heure ? Il a été enrichissant, gratifiant et j’ai pu être moi-même tout en le réalisant”. C’est donc la pleine conscience qui nous permet de savoir quand nous sommes dans ce genre d’énergie de recherche et c’est aussi la pleine conscience qui nous permet de nous confronter à la réalité et de nous rendre compte de la situation : “Ok, non. Comment puis-je faire cela différemment ?”
Le travail d’un pratiquant
Il faut donc se demander “Comment est mon corps quand je travaille ? Et qu’en est-il de mes repas ? Est-ce que je veille à consommer de bons nutriments tout au long de la journée ? Et mon exercice physique ? Comment sont mes relations ?” Si tout cela est en équilibre, alors notre travail peut être épanouissant, efficace et productif. Nous pouvons dire qu’il s’agit du travail d’un pratiquant, car nous sommes présents pendant que nous l’effectuons. Et puis je pense que nous pouvons parfaitement accomplir tout le travail intérieur quand nous sommes face à l’écran, puisque beaucoup d’entre nous travaillent au moyen d’un ordinateur. Il y a toutes sortes de choses qui se passent devant l’écran : Nous pouvons pratiquer la générosité, la concentration, nous entraîner au lâcher prise, et à vraiment écouter les personnes avec lesquelles nous collaborons. Le travail est lui aussi une pratique. Dans ce domaine, nous nous exerçons à travers les courriers électroniques, les projets, et nous ne pouvons véritablement le faire que lorsque nous sommes nous-mêmes dans un bon état d’esprit.
Quoi qu’il arrive, gardez votre joie
Il est particulièrement utile d’avoir une cloche, quel que soit le type de cloche. Cela peut être votre morceau de musique préféré dont vous sélectionnez un petit extrait ou une cloche normale ou bien le carillon d’une horloge comme celles que nous avons au Village des Pruniers. Il est vraiment précieux d’avoir quelque chose au moins toutes les demi-heures. Sinon, nous oublions complètement que nous avons un corps pendant que nous travaillons face à l’ordinateur. La sonnerie est donc un élément clé pour conserver cette liberté lorsque nous travaillons. Quant à la joie, il est essentiel de la préserver. Quoi qu’il arrive, maintenez votre joie. Et si la sonnerie ne vous apporte pas de joie, trouvez quelque chose qui vous en procure, car la vie est trop courte. Elle est trop courte et nous devons offrir notre joie au monde.
Merci pour cette question.
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