Extrait d’une interview de notre maître en date du 25 septembre 2003 réalisée par Krista Tippett à la suite d’une retraite prenant place aux USA. Vous pouvez lire l’interview dans son entier (en anglais) en cliquant ici.
Tippett : Je regarde la violence qui a marqué le monde à l’époque où vous étiez un jeune moine – il y avait la Guerre Froide ; il y avait un certain type de violence et d’hostilité. Beaucoup de choses ont changé, ont disparu, notamment les terribles menaces et les sources des pires combats. Et aujourd’hui, nous avons à sa place de nouveaux types de guerres et de nouveaux types d’ennemis. J’aimerais vraiment savoir si, alors que vous vous penchez sur cette période de votre vie, y a-t-il une différence significative entre la violence actuelle et la violence d’alors ? Y a-t-il un progrès ou est-ce le même schéma qui se répète ?
Thich Nhat Hanh : Oui, vous avez raison. C’est le même schéma qui se répète.
Tippett : Cela vous désespère-t-il ?
Thich Nhat Hanh : Non, parce que je constate qu’il y a des personnes capables de comprendre, qui sont suffisamment éveillées et qu’en se rassemblant, elles peuvent offrir leur lumière et nous montrer le chemin, et ainsi il y a une chance de transformation et de guérison.
Tippett : Vous savez, dans une retraite comme celle-ci, vous avez rassemblé autour de vous des centaines de personnes qui participent à titre individuel à ce type de formation à la pleine conscience. Et vous ne parlez pas seulement de paix ici – il y a un sentiment de paix.
Mais la question cynique qui se pose alors est la suivante : ces individus peuvent-ils faire la différence ? Il semble que nous vivions à une époque de violence collective, de terreur collective et d’actes collectifs de rétribution. Quel est votre point de vue sur l’effet de votre travail ?
Thich Nhat Hanh : La paix commence toujours par soi-même en tant qu’individu, et en tant qu’individu, on peut aider à construire une communauté de paix. C’est ce que nous essayons de faire. Et lorsque votre communauté de quelques centaines de personnes connaît la pratique de la paix et de la fraternité, vous pouvez alors devenir le refuge de beaucoup d’autres personnes qui viennent à vous et profitent de la pratique de la paix et de la fraternité. Ils vous rejoindront alors, et la communauté s’agrandira de plus en plus, et la pratique de la paix et de la solidarité sera offerte à beaucoup d’autres personnes. Et c’est ce qui se passe.
Tippett : Et vous en faites l’expérience …
Thich Nhat Hanh : Oui, parce que lorsque je suis arrivé en Occident, j’étais tout seul, et j’étais conscient que je devais construire une communauté. Et il n’y avait pas du tout de bouddhistes à l’époque. J’ai donc travaillé avec de nombreuses personnes et j’ai suggéré la pratique de la respiration consciente, de la marche en pleine conscience, des assises en pleine conscience. Peu à peu, nous avons créé une communauté de pratiquants.
Tippett : Votre enseignement est-il différent si vous vous adressez à des membres du Congrès, à des réalisateurs d’Hollywood ou à des agents de la force publique ?
Thich Nhat Hanh : La pratique serait la même. Mais nous avons besoin d’amis qui nous montrent comment un certain groupe de personnes mène sa vie et quels types de souffrances et de difficultés ils rencontrent dans leur vie, afin que nous puissions comprendre. Et après cela, seulement après cela, nous pourrions offrir l’enseignement et la pratique appropriés. C’est pourquoi nous continuons à apprendre, chaque jour, par la pratique et le partage.
L’individu doit s’éveiller au fait que la violence ne peut mettre fin à la violence ; que seules la compréhension et la compassion peuvent neutraliser la violence, parce qu’avec la pratique de la parole aimante et de l’écoute compatissante, nous pouvons commencer à comprendre les gens et les aider à éliminer les perceptions erronées qui les habitent, parce que ces perceptions erronées sont à la base de leur colère, de leur peur, de leur violence, de leur haine.
Et écoutez profondément. Vous pourriez être en mesure d’éliminer les perceptions erronées que vous avez en vous-même, à votre égard et à l’égard d’autrui. La pratique de base pour éliminer le terrorisme et la guerre est donc d’éliminer les perceptions erronées, et cela ne peut se faire avec des bombes et des armes à feu. Il est très important que nos dirigeants politiques en prennent conscience et appliquent les techniques de communication.
Nous vivons à une époque où nous disposons de moyens de communication très sophistiqués, mais la communication est devenue très difficile entre les individus et les groupes de personnes. Un père ne peut pas parler à son fils, une mère ne peut pas parler à sa fille, un mari ne peut pas parler à sa femme. C’est la raison pour laquelle il y a des guerres et de la violence. C’est pourquoi le rétablissement de la communication est le travail de base pour la paix. Nos dirigeants politiques et spirituels doivent concentrer leur énergie sur cette question.
Tippett : Mais je pense que certains diraient – les personnes en position de pouvoir diraient qu’elles ne peuvent tout simplement pas attendre que cette communication ait lieu ou que ce changement se produise ; qu’elles doivent également agir maintenant.
Thich Nhat Hanh : S’ils ne peuvent pas communiquer avec eux-mêmes, s’ils ne peuvent pas communiquer avec les membres de leur famille, s’ils ne peuvent pas communiquer avec les gens de leur propre pays, ils n’ont aucune compréhension qui servira de base à une action juste, et ils commettront beaucoup d’erreurs.