“[…] quand j’ai ouvert mon coeur, j’ai pu cesser de voir les idées en noir et blanc. C’est comme si j’étais un cheval avec des œillères. Puis, soudain, quelqu’un les a enlevées et j’ai pu voir le monde d’une manière plus large qui englobait même le point de vue de cette personne. Comme la terre, je pouvais embrasser toutes sortes de belles choses, y compris les fleurs et les oiseaux – mais également les champignons pourris, eux aussi.”
Dans cette réponse tirée d’une séance de questions-réponses à destination des ambassadeurs de Wake Up, Frère Pháp Lưu explique comment cultiver la vue juste permet d’améliorer les relations difficiles.
Question : Comment puis-je communiquer avec des personnes qui ont des perspectives et des valeurs différentes des miennes ?
Réponse du frère Chân Pháp Lưu (frère Source):
Dans le passé, lorsque j’écoutais quelqu’un d’autre qui avait une opinion très forte sur un sujet qui me tenait à cœur, j’avais du mal à communiquer avec lui. Je cherchais simplement à “effacer” cette personne, à l’exclure de ma vie et à trouver des personnes qui partageaient mon point de vue.
Mais lorsque j’ai rencontré mon maître, Thắy, et que j’ai rejoint la Sangha en tant que moine, j’ai vu qu’il arrivait que les personnes exprimant une opinion différente de la mienne soient mes frères et sœurs aînés. Dans la mesure où je me suis engagé à vie, en tant que moine, à vivre dans la communauté, je savais que je ne pouvais pas si facilement écarter ces personnes et les exclure de ma vie, car lorsque je venais prendre mon petit déjeuner, elles étaient toujours là. Quand j’allais à l’enseignement du Dharma, elles étaient encore présentes, à côté de moi. Et parfois, lorsque je me rendais dans la chambre de quelqu’un, l’une de ces personne y était également.
Je me suis dit : “Qu’est-ce que je peux faire ?” Je ne pouvais pas simplement prétendre que cette personne n’était pas là ou que son opinion n’existait pas. Ma deuxième tendance a alors été de vouloir polémiquer avec elle, afin d’essayer de la convaincre par mon raisonnement que ma façon de voir les choses était la bonne et que la sienne était manifestement fausse. Si je parvenais à démontrer la supériorité de mon point de vue, cette personne n’aurait d’autre choix que celui de s’en aller en disant : “Oui, oui, vous avez raison, Frère Phap Luu. Merci de m’avoir montré la lumière ; je vous en suis très reconnaissant”. Mais j’ai découvert que cela n’arrivait généralement pas non plus – en fait, je ne pense pas que cela soit jamais arrivé. J’ai donc vite compris que cette stratégie ne fonctionnait pas non plus très bien.
Depuis lors, le Dharma m’appris à progressivement abandonner mon point de vue. Cela peut parfois faire peur, surtout lorsque nous sommes convaincus, de tout notre cœur, que notre point de vue est le bon. Au début, on peut avoir l’impression de découvrir un grand vide sous nos pieds. C’est comme si nous allions tomber dans un gouffre et devenir comme cette autre personne que nous voulons écarter, parce que son opinion est manifestement fausse.
Mais lorsque j’ai laissé tomber mes croyances, j’ai découvert que la réalité était tout autre. J’ai fini par comprendre que mes propres pensées à l’égard de cette personne étaient en fait fermées. J’ai réalisé que la souffrance que je ressentais dans mes interactions avec elle était en réalité liée à la façon dont je m’accrochais à ma propre opinion. Je ne permettais pas à mon cœur de s’ouvrir suffisamment pour laisser entrer cette personne, même avec son point de vue.
Cela ne signifiait pas non plus que j’adoptais son avis ou qu’une partie de moi devait mourir. Au contraire, lorsque j’ai ouvert mon cœur, j’ai pu cesser de voir les idées en noir et blanc. J’ai compris que j’étais comme un cheval avec des oeillères. Soudain, quelqu’un les a enlevées et j’ai pu voir le monde d’une manière plus large, englobant même le point de vue de cette personne. Comme la terre, je pouvais embrasser toutes sortes de belles choses, y compris les fleurs et les oiseaux, mais aussi les champignons pourris. Lorsque j’ai permis à cette personne d’entrer, même avec son point de vue différent, j’ai en fait appris quelque chose de nouveau sur ma propre façon de voir le monde. Ce que j’ai découvert, c’est que mes frères et sœurs faisaient partie de moi et n’étaient pas séparés. Ils constituaient en réalité une partie de quelque chose à l’intérieur de moi que je pouvais apprendre à connaître.
Ce matin, en prenant mon petit-déjeuner, m’est venue à l’esprit une chanson que j’aimais bien quand j’étais adolescent. Elle contient ce passage : “Il n’y a personne qui part”. Cela signifie que dans ce monde, personne ne part. Nous sommes tous ici ensemble et d’une certaine manière, malgré tous les points de vue, toutes les opinions, nous partageons le même air. Nous partageons la même terre sous nos pieds. Au final, nous mangeons tous les mêmes plantes. Si nous voulons apprendre à vivre réellement ensemble, il faut trouver un moyen d’avancer. Parce que se disputer et s’ignorer mutuellement ne fonctionne pas vraiment à long terme. Ce n’est pas vraiment durable.
Nous disons que la vue juste est la liberté vis-à-vis de toute vue. Ainsi, vous pouvez peut-être laisser vos conversations être un miroir de ce qui se passe réellement dans votre esprit, pour voir pourquoi vous êtes encore personnellement prisonnier d’une certaine vue ou opinion. Le fait d’abandonner mes propres points de vue et de m’ouvrir aux autres m’a permis d’intégrer toutes sortes de perspectives, de manière à parvenir à la liberté.
Participer à la conversation