L’article de cette semaine vous propose une sélection de conversations issues du podcast “The Way Out is In” (l’issue est à l’intérieur), qui traite de la pratique de la pleine conscience pendant les fêtes de fin d’année et la période de Noël. Sœur Jina, frère Phap Huu et Jo Confino vous guident vers la transformation de la solitude, l’apprentissage de la flexibilité en établissant des limites saines et l’accès à la vision profonde de l’inter-être, pour notre bien-être, celui de nos proches, de tous les êtres et de la Terre.

Jo Confino: Quelqu’un a dit un jour : « Si vous pensez être éveillé, passez une semaine avec votre famille à Noël. » Je voudrais donc m’adresser à celles et ceux qui écoutent ce podcast, qui redoutent les réunions de famille, qui ont le sentiment, surtout en cette période de polarisation, que les membres de leur famille ont des opinions politiques complètement différentes des leurs. Peut-être avez-vous l’impression de ne pas faire partie de la famille. Ou peut-être vous sentez-vous dans l’obligation d’y aller, alors qu’en réalité vous détestez chaque minute que vous y passez. Que suggérez-vous de faire lorsque vous arrivez à une réunion de famille ? Bien sûr, cela ne concerne pas seulement la Noël ou le Nouvel An, mais aussi toutes les occasions qui vous amènent à côtoyer des personnes avec lesquelles vous ne souhaitez vraiment pas être, des rassemblements où vous vous rendez par responsabilité ou par devoir. Quelle est la meilleure façon d’être pleinement présent.e dans ces moments difficiles ?
Sœur Jina, avez-vous une idée de la manière dont on peut être pleinement présent.e dans un lieu où l’on se trouve avec d’autres personnes, alors que tout ce que l’on souhaite réellement, c’est s’enfuir en hurlant ?
Revenir chez soi, en soi-même
Soeur Jina: Eh bien, je porterais mon attention sur mon esprit, car tout se passe dans l’esprit ; cela n’a rien à voir avec les personnes qui sont présentes. C’est ma réaction à la situation qui me fait ressentir cela, et non la situation elle-même. Les autres personnes présentes dans la pièce sont très, très heureuses d’être là. Donc, en revenant à moi-même et à ma respiration, ce que je fais, c’est rompre le contact, pour ainsi dire, avec la souffrance – la souffrance des autres – et ainsi éviter de nourrir et laisser croître ce sentiment en moi, afin de pouvoir revenir à moi-même.
Comme je l’ai coupé à la source, cela va se calmer. Je me sentirai plus calme. Je peux voir la situation, et je peux voir que chaque personne est telle qu’elle est en raison de causes et de conditions. Et je suis comme je suis en raison de causes et de conditions. Qui suis-je pour juger les autres ? Quels sont leurs rêves ? Quels sont leurs espoirs ? Quelles sont leurs peurs ? Je pense donc que le problème ne vient pas des autres, mais de moi-même, et c’est une bonne chose, car je peux y remédier.
Jo Confino: Magnifique. Merci chère Soeur. Frère Phap Huu, que voudriez-vous rajouter ?
Faire preuve de souplesse et établir des limites pour notre bonheur
Frère Phap Huu: Il est important d’apprendre à faire preuve de souplesse. C’est une excellente attitude à adopter, être flexible, apprendre à être ouvert. À une seule reprise dans ma vie monastique, j’ai été autorisé à rentrer chez moi pour Noël, car je m’étais déchiré le ligament croisé antérieur en jouant au football avec les frères et j’ai dû suivre une très longue rééducation, et les conditions exigeaient que je sois au Canada.
C’était mon premier Noël à la maison en 12 ans environ. Et comme pour beaucoup de mes amis, les fêtes sont le moment où toute la famille se réunit. J’allais y aller, et je savais qu’il y aurait de la viande, de l’alcool, un karaoké (les familles vietnamiennes adorent le karaoké). J’allais aussi rencontrer la nouvelle génération d’enfants nés dans ma famille élargie. J’allais donc les rencontrer pour la première fois.
J’avais certaines attentes, ainsi que certains souhaits, quels qu’ils soient, mais j’ai toujours gardé à l’esprit cette phrase qu’on m’avait enseignée dans ma vie monastique : « Quand tu rentres chez toi, apprends seulement à être un fils, apprends à être un frère, apprends à être un membre aimant de ta famille plutôt qu’à te présenter en disant : « Je suis moine, vous devez vous adapter à moi. » Parce que là, tout tourne autour de moi, moi, moi et moi.
J‘étais très flexible avec tous les enfants. C’était l’époque où la Wii, la console Nintendo, et GarageBand faisaient leur apparition. C’était un événement majeur. Conformément à mes préceptes, je ne suis pas censé jouer aux jeux vidéo, mais c’était le seul moyen pour moi d’entrer en contact avec ces enfants de 7, 12, 13 et 15 ans, alors j’ai décidé de me lancer. Je les ai aussi aidés à jouer de la guitare, par exemple. Ce fut une période très joyeuse et l’une des rares occasions où j’ai pu jouer le rôle d’oncle pour beaucoup d’entre eux.
Le temps file et, en tant que moine, je n’ai pas souvent l’occasion d’être à la maison. Certains de ces enfants sont maintenant au lycée, mais ils se souviennent toujours de la capacité d’adaptation du moine que je suis. Ils disaient que j’étais cool parce que je savais m’intégrer et être avec eux. Ils ne se sentaient pas jugés. Ils savaient tous ce qu’est un moine : nous devons nous incliner devant lui, être respectueux, etc. J’aurais pu entretenir cette image, et notre lien aurait été totalement rompu. Mais j’ai réussi à me laisser aller un peu, sans me perdre pour autant.
Bien sûr, j’ai des limites, et je pense que chacune et chacun nous pouvons avoir des frontières pour notre bonheur. Si une discussion n’est pas nourrissante, il est possible de s’excuser avec tact, sans pour autant rabaisser les autres personnes, les membres de la famille ou les amis. Tout est question de communication et de langage corporel. Et ce qui est très important, c’est l’esprit, ce dont parlait sœur Jina : comment revenir à nous-mêmes ? Est-ce que nous jugeons cette personne trop sévèrement, ou simplement la voyons-nous telle qu’elle est ? C’est la capacité de cette personne, c’est sa limite. Nous n’avons pas besoin de le dire, nous la voyons simplement telle qu’elle est et nous la rencontrons là où elle est.

La pratique de l’inter-être en période de Noël
Jo Confino: Je me pose une question à propos de l’enseignement de Thay, qui porte entièrement sur l’inter-être. En fait, c’est lui qui a inventé l’expression “inter-être”, aujourd’hui largement répandue, selon laquelle tout est interconnecté, rien ne peut être considéré isolément de tout le reste. Il semble donc un peu étrange, quand on y réfléchit bien, que les gens se sentent seuls, isolés, alors qu’ils font en réalité partie de cet extraordinaire réseau de la vie.
Je me demande simplement s’il existe des pratiques quotidiennes, en dehors de celles dont vous avez parlé, (comme revenir à la respiration, aux causes et conditions, apprécier le soleil, qui sont autant de moyens de se connecter), mais existe-t-il d’autres pratiques développées par Thay ou datant de l’époque du Bouddha qui aident vraiment à se connecter à cette sensation d’être en lien avec tout, afin que la solitude puisse d’une certaine façon se dissiper ?
Frère Phap Huu, y a-t-il un exercice ou des pratiques susceptibles de soutenir les personnes dans cette situation ?
Frère Phap Huu: Une pratique plus formelle, mais très profonde et significative dans le bouddhisme, consiste à toucher la terre. Lorsque nous touchons la terre, nous faisons preuve d’humilité. Il s’agit d’un mouvement de prosternation : notre front, nos bras, nos jambes, tout notre corps touche le sol. C’est un geste qui nous rend très humbles, car en tant qu’êtres humains, nous avons généralement tendance à penser que nous sommes les meilleurs. Nous pensons que nous sommes les maîtres de tout.
Cette pratique consistant à toucher la terre est une pratique qui nous invite à faire preuve d’humilité. Il existe une méditation que nous récitons avant ou pendant l’action de toucher la terre. Normalement, nous joignons nos paumes, symbolisant l’union du corps et de l’esprit. Puis nous les portons à notre front. Cela a deux significations. La première est liée à la pratique des racines. Nous savons que notre moi ne peut exister seul, mais qu’il existe à travers toute notre lignée ancestrale. Dans la culture vietnamienne, nous disons que nos ancêtres restent au niveau de notre tête. Ainsi, porter nos paumes jointes à notre front revient à inviter nos ancêtres biologiques et spirituels à être avec nous.
Nous descendons ensuite nos paumes au niveau du cœur : reconnaissant l’unité des différentes lignées, le passé qui se manifeste dans le présent. Nous nous inclinons ensuite et ouvrons nos mains pour exprimer notre intention d’ouverture. Notre maître a rassemblé les pratiques des Cinq Touchers de la Terre, et des Trois Touchers de la Terre. Les textes sont très profonds et très beaux. Ils sont liés au fait de nous voir avec la terre, de nous voir avec nos ancêtres, de voir la beauté et la laideur. De voir tout cela ici, puis de faire le vœu, dans le moment présent, de nous transformer pour eux, d’être le changement pour le monde.
C’est donc un élément. Et bien sûr, il existe une pratique plus quotidienne que nous pouvons mettre en œuvre : la marche méditative, qui consiste à être vraiment en contact avec les sons, les odeurs, la terre.
Nous avons également une pratique qui consiste à embrasser les arbres, ce qui peut sembler un peu bizarre dans un parc public. (rires) Mais, vous savez quoi ? Nous sommes vivant.e.s et cet arbre est là. J’ai vu des frères pratiquer véritablement l’étreinte des arbres. Je me souviens que lorsque nous sommes allés dans les forêts de séquoias en Californie, Thay a invité tous les moines et toutes les moniales, environ 12 ou 15 personnes, à s’étreindre afin de former un cercle complet autour de l’arbre. Nous avons simplement pris trois inspirations et expirations profondes. À ce moment-là, je me suis senti tout petit, mais aussi comme faisant pleinement partie de ce magnifique cosmos. Et je me suis dit : « Waouh. Merci. » La gratitude s’est manifestée, ainsi que la connexion et les racines. L’arbre me nourrit, mais je peux aussi nourrir l’arbre.
Nous pouvons toutes et tous trouver quelque chose de très simple pour nous sentir en connexion. Lorsque nous mangeons, nous prenons généralement un moment pour joindre nos mains et exprimer notre gratitude. C’est aussi une façon de nous sentir en harmonie avec tout ce qui nous soutient.

Jo Confino: Frère Phap Huu, Sœur Jina, merci beaucoup pour ces paroles. À vous qui lisez ces conversations, si vous vous sentez seuls ou seules, surtout en cette période de l’année, nous sommes de tout cœur avec vous. Nous espérons que ces paroles vous ont apporté un peu de réconfort et que, au cours des jours et des semaines à venir, vous trouverez la paix, le calme, un sentiment d’enracinement, ainsi que de l’amour et de la gratitude pour vous-mêmes.

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